Les chroniques économiques de Bernard Girard

25.6.13

Malade, la recherche en sciences sociales? Oui, mais…



La recherche en sciences humaines et sociales va mal. On nous le dit de partout, les pétitions se multiplient. Manque de crédits, doctorants qui ne trouvent pas d’emploi au sortir de leurs études, chercheurs qui n’arrivent pas à s’imposer au plan mondial, les motifs d’inquiétude ne manquent pas. Et pourtant… pour qui vient de passer quelques jours dans un colloque international, comme je viens de faire, au milieu de 500 chercheurs venus d’un peu partout en Europe, réunis pour parler de sujets éminemment d’actualité : l’économie écologique et la responsabilité sociale des entreprises, le paysage parait bien moins sombre. Et c’est de ce que j’ai vu pendant ces quelques journées que je voudrais vous parler ce matin.

Un nombre toujours plus grand de chercheurs
Première remarque : nous étions plus de 500 et les organisateurs avaient reçu plus de 1000 propositions de communication sur un sujet qui reste, malgré son intérêt, relativement étroit. C’est un signe de la véritable explosion des effectifs de la recherche en Europe. Explosion dont témoignent les chiffres. Il n’y avait pas au début des années 60, plus de 3000 chercheurs dans les sciences humaines et sociales, il y en avait en 2002 près de 30 000 et ces effectifs ont sans doute encore grossi depuis.

Cette expansion s’explique par des changements institutionnels. La recherche n’est plus confinée dans les établissements spécialisés, du type CNRS, INED, INA… elle concerne les enseignants devenus enseignants-chercheurs de l’Université et, depuis peu, des écoles de commerce.

Cette expansion s’explique de plusieurs manières :
  • -       par la multiplication des financeurs. Dans les années cinquante, seules quelques institutions, comme la Fondation Ford, la Communauté Européenne Charbon Acier, quelques rares grandes entreprises, comme Renault, finançaient la recherche. D’où des ressources faibles. Aujourd’hui, les financeurs se sont multipliés, organismes publics français et européens, grandes entreprises, régions… ont des programmes de recherche ;
  • -       par l’évolution du cadre administratif : les performances en matière de recherche sont devenues un des critères d’évaluation des établissements d’enseignement supérieur. Des établissements qui n’avaient jamais eu la moindre ambition en matière de recherche s’y sont mis. C’est notamment le cas des écoles de commerce qui ont mis en place des programmes d’incitation à la recherche : elles proposent à leurs professeurs qui arrivent à publier dans des revues de qualité des primes qui peuvent être importantes : il n’est pas rare qu’elles soient de plusieurs milliers d’euros ;
  • -       par le développement de véritables équipes de recherche qui associent des enseignants et des chercheurs chevronnés et des doctorants qui cherchent à se financer.
Mais cette expansion n’a pas été sans conséquences. Elle a, d’abord, conduit à une réduction des budgets. Non que ceux-ci aient globalement diminué, ils sont augmenté, et même de manière significative au fil des années, mais comme il a fallu les partager entre un plus grand nombre d’acteurs, chacun a eu moins. Ce qui s’est traduit par une modification souterraine mais bien réelle des pratiques. Dans les disciplines qui s’appuient sur des enquêtes, on a souvent réduit le nombre de personnes rencontrées, on a choisi des méthodes plus économiques en ressources. Un peu partout, on a pratiqué cette maladie scientifique que Jacques Le Goff a appelé la colloquite, l’organisation de colloques qui ne coûte somme toute pas très cher puisque chaque participant contribue financièrement, avec l’aide de l’institution dont il dépend, aux frais.

Christophe Charle, un spécialiste de ces questions, analyse dans le détail ce phénomène et ses conséquences :
Faute d’obtenir des crédits de moyen et long terme pour mener à bien de véritables enquêtes, nombre de chercheurs se rabattent sur la solution plus aisée d’organiser des rencontres où chaque participant propose un morceau de recherche déjà faite ou qu’il a été incité à avancer en fonction de la rencontre (quand il ne répète pas, sous une variante, un travail déjà proposé dans un autre cadre). Dans les cas les plus favorables, les crédits, s’ils sont importants, permettent plusieurs rencontres, où les écoutes critiques successives donnent la possibilité d’ajuster les communications à une problématique plus cohérente qu’elle ne l’était au départ et d’aboutir, sinon à un véritable livre collectif comme celui qu’aurait produit une véritable enquête de longue haleine, du moins à un ouvrage à plusieurs voix sans trop de cacophonie. 
Malheureusement, dans beaucoup de cas, soit il n’y a pas de produit final, soit le produit reste un patchwork disparate où le meilleur côtoie le pire. Cette « colloquite » ne constitue nullement une bonne allocation des ressources. Il serait facile de montrer que l’ensemble des budgets cumulés alloués aux aides des multiples tables rondes (voyages, séjours, repas, frais administratifs, temps d’organisation) aurait permis de créer quelques appels d’offres pour financer des recherches collectives de plusieurs années, alors que ces rencontres ponctuelles, souvent sans lendemain, ne contribuent qu’à la prospérité du secteur des transports et à la subvention déguisée de quelques éditeurs spécialisés. (Christophe Charle, « L’organisation de la recherche en sciences sociales en France depuis 1945 : bref bilan historique et critique », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2008, n°5)
Cette expansion des effectifs a également conduit à une spécialisation accrue : les sous-disciplines se sont multipliées, chacun cherchant à trouver un terrain, une niche où se distinguer. Avec pour chacune, tous les outils nécessaires pour exister : revue savante, colloques…

Cette spécialisation peut avoir des aspects positifs : elle permet d’approfondir des sujets, mais elle a aussi tendance à cloisonner, segmenter. Les différentes sous-disciplines communiquent peu entre elles et les grandes synthèses se font rares.

Une recherche qui n'anime plus le débat public ?
Ces grandes synthèses alimentaient le débat public, amenaient leurs auteurs à intervenir dans la presse. Leur disparition a conduit à une sorte de renfermement de la recherche sur elle-même, sur ses valeurs, ses pratiques, ses méthodes. Ecrire pour un grand éditeur comme le faisaient sociologues et historiens, je pense à Le Roy Ladurie,  Furet, Bourdieu, Touraine, Boudon… forçait à une écriture plus accessible. Les auteurs gommaient les aspects les plus arides de leur travail, allégeaient leur bibliographie, limitaient les développements méthodologiques. Toutes choses que l’on retrouve dans les publications contemporaines, que l’on trouve d’autant plus que plusieurs facteurs contribuent à rendre ces textes plus difficilement accessibles :
  • -       ils sont publiés dans des revues savantes que l’on ne trouve pas facilement dans le commerce,
  • -       ils sont de plus en souvent en anglais, devenu dans nombre de disciplines la langue de la recherche,
  • -       de nombreuses disciplines, je pense à l’économie mais aussi à certains segments de la sociologie, voire de l’histoire sont tentés par la mathématisation rendant de fait les communications illisibles pour le public cultivés,
  • -       ils obéissent aux règles très strictes de ces publications qui forcent à la rigueur mais rendent la lecture pesante.
Le rôle de ces revues est d’ailleurs souvent critiqué par les chercheurs eux-mêmes. Il faut dire qu’elles jouent aujourd’hui un rôle capital dans leurs carrières puisqu’elles sont au cœur du système d’évaluation. La valeur d’un chercheur se mesure aujourd’hui au nombre de publications et à la qualité des revues dans lesquelles il publie, celles-ci étant classées en quatre catégories. Et l’on assiste à des effets pervers, à la fabrication d’une sorte de conformisme professionnel : les auteurs souhaitant publier dans une revue recherchant à citer ceux qui y ont été déjà publiés, à se mettre dans leur pas pour mieux séduire les évaluateurs. Un peu comme la candidate d’un concours de beauté qui ayant compris que les juges préféraient les blondes aux yeux bleus se ferait teindre les cheveux pour mieux les séduire.
Il serait certainement inexact de dire que les sciences humaines et sociales contemporaines fuient le débat public, elles y contribuent en apportant leur expertise mais elles ne l’animent plus comme elles pouvaient le faire dans les années soixante. Et lorsqu’elles interviennent dans le débat, c’est souvent en position d’accusé. On conteste leurs résultats, on met en doute leur probité, on s’interroge sur leur financement, les conflits d’intérêt qu’ils peuvent faire naître.

Cette attitude est d’autant plus paradoxale que ce retour de la recherche sur ses fondamentaux, sur la rigueur intellectuelle a eu des effets positifs sur la qualité moyenne de la production.

Des doctorants de qualité
Je disais que nous étions plus de 500 à participer à ce colloque sur l’économie écologique. Difficile dans ces conditions de tout entendre. Il faut faire des choix au risque d’être déçu mais aussi d’être agréablement surpris. En fait, il y avait dans ce colloque, comme souvent, le meilleur et le pire. Le meilleur ce fut, souvent, les travaux en cours qui font découvrir des sujets que l’on ne connaît pas ou qui proposent un angle nouveau. Plusieurs étaient passionnants. D’autant plus passionnants qu’ils reposent en général sur une  méthodologie solide.

La multiplication des enseignants chercheurs a eu pour effet positif d’améliorer l’encadrement des doctorants, la piétaille de la recherche, tous ces étudiants qui passent quelques années sur le terrain. D’où, dans de nombreuses disciplines, l’amélioration de la qualité des thèses, plus longues, mieux construites, plus rigoureuses. Le jeune doctorant qui veut terminer sa thèse dans des délais raisonnables doit aujourd’hui participer à des colloques, publier dans des revues, se frotter au jugement de ses pairs, ce qui ne peut qu’améliorer la qualité de son travail.

Cette plus grande rigueur intellectuelle aurait du faciliter l’intégration des docteurs dans le tissu économique. Ce n’est malheureusement pas le cas. Les entreprises françaises continuent de s’en méfier. Et l’administration ne fait pas mieux :
La France, écrivait tout récemment le Monde, se distingue des autres pays de l'OCDE par son très faible nombre de docteurs dans la fonction publique : à peine 300 titulaires de doctorats l'intègrent chaque année sur 13 000 diplômés. Moins de 2 % des cadres du public sont titulaires d'un doctorat, contre 35 % aux Etats-Unis ou en Allemagne. (Les grands corps de l'Etat apprécient peu les docteurs, Le Monde| 25.05.2013)
Alors même que les docteurs ont développé des compétences dont on besoin les entreprises :
  • -       capacité d’initiative et autonomie : un jeune doctorant qui veut réaliser sa thèse doit apprendre à se débrouiller, à aller sur le terrain, à rencontrer des gens, à mener des interview. A l’inverse de ce que l’on a tendance à croire, ils ne sont pas la tête dans les nuages mais bien plutôt dans le concret ;
  • -       rigueur intellectuelle : les jurys de thèse sont impitoyables pour qui ne respecte pas une méthodologie, qui ne cite pas ses sources, qui ne respecte pas les règles très strictes des publications universitaires ;
  • -       connaissance de l’anglais et capacité à s’exprimer en public dans cette langue.
Administrations et entreprises ne mesurent pas combien ces colloques, dont je disais à l’instant les limites, sont formateurs pour qui y participe. Celui de l’ESEE dont je parle était, comme beaucoup d’autres colloques internationaux, tout en anglais. Ce qui ne va de soi pour personne. A part les britanniques, les Américains et quelques norvégiens, la plupart des participants ne maîtrisaient qu’imparfaitement la langue de Shakespeare. Ce qui peut, d’ailleurs, poser problème lorsque l’on ne saisit que la moitié de ce que veut dire celui qui s’exprime. Mais où fait-on pareil effort ? où voit on des jeunes gens qui maîtrisent mal le globish, cet anglais international, travailler des heures durant pour réaliser des transparents à peu près compréhensibles et les commenter dans une langue qui n’est pas la leur ? et si, lorsque l’on participe à l’un de ces colloques, on est un peu effrayé de la qualité de l’anglais de beaucoup, on ne peut que se dire que ce doit être bien pire ailleurs, là où la maîtrise de cette langue n’est pas nécessaire pour développer des idées un peu complexes.

Pour conclure
Je disais au tout début de cette chronique que la recherche en sciences humaines et sociales allait mal en France. C’est un diagnostic qu’à peu près tous ceux qui s’intéressent à ces questions font. Ces difficultés doivent être relativisées. Jamais cette recherche n’a occupé autant de monde. Les budgets pour chacun se sont réduits et la course au financement détourne beaucoup de chercheurs de leur travail, mais le plus significatif est sans doute la profonde transformation du rôle de la recherche dans nos sociétés. Hier des intellectuels peu nombreux mais de renom pouvaient animer, orienter le débat public, forcer les politiques, la société civile à ouvrir les yeux. Aujourd’hui, les mêmes sont engoncés dans un travail, plus discret mais sans doute plus rigoureux, laissant à d’autres, intellectuels médiatiques, le soin d’occuper la scène. Le public y perd, la science y gagne peut-être.




18.6.13

John Locke ou une société du travail



Les Presses Universitaires de France viennent de publier la traduction en français d’un tout petit opuscule de John Locke, le philosophe britannique du 17ème siècle qui a, on le sait, inspiré Jean-Jacques Rousseau : Que faire des pauvres ? Le texte est court, une trentaine de pages, et à première lecture, il suscite un certain émoi. On y retrouve, en effet, présentés de manière très brutale tous les thèmes réactionnaires sur l’oisiveté des pauvres, sur la nécessité de les sanctionner, Locke parle de les fouetter, pour les inciter à travailler et à se rendre utile à la société.

Comme il s’agit d’un des philosophes les plus importants de la fin du 17ème  siècle et que les PUF ne sont pas un repère de fieffés réactionnaires, on relit le texte et la préface qu’en donne Serge Milano, universitaire et haut fonctionnaire spécialiste des questions de pauvreté. Et l’on comprend mieux pourquoi, en ces temps de réflexion sur l’âge de départ à la retraite, de chômage massif des jeunes et d’effritement de l’Etat providence, un éditeur sérieux ait choisi de nous faire connaître ce texte.

Une société du tout travail
Ce texte commence par souligner le poids des pauvres dans le royaume d’Angleterre. Poids considérable qui augmente les impôts. « On ne saurait, dit Locke, mettre en doute la multiplication des pauvres et la hausse de l’impôt nécessaire pour les secourir. » Tous les contemporains concordent : les pauvres avaient envahi l’Angleterre. Ils venaient de partout et créaient une véritable insécurité. Insécurité d’autant plus vive qu’étant très sévèrement punis, on pouvait être condamné à mort pour un vol, ils n’avaient guère de raison de faire preuve de retenue.

Il faudra attendre la deuxième moitié du 18ème siècle pour que Beccaria recommande de proportionner la peine au délit. A la fin du 17ème siècle, on n’en est pas là. On cherche des solutions pratique sans vraiment s’attacher à comprendre le phénomène. Pour Locke, tout vient du « relâchement de la discipline et (de) la corruption des mœurs, la vertu et l’industrie allant de pair tout comme le vice et l’oisiveté. » Il faudra attendre Malthus pour qu’un siècle plus tard soit proposée une explication démographique de cette explosion de la pauvreté.

Ce n’est donc pas du coté de l’analyse du phénomène que ce livre est intéressant, mais du coté de la solution qu’il propose : la mise au travail des pauvres. Locke, traitant de la pauvreté, invente une société du tout travail, cette société dans laquelle nous vivons et dont nous sentons bien qu’elle touche à ses limites tant il paraît aujourd’hui difficile de donner du travail à tous.

Locke fait une typologie des pauvres : il y a ceux qui ne peuvent pas travailler et ceux qui sont volontairement oisifs, qui pourraient travailler et ne le veulent pas. S’il faut aider les premiers, il faut forcer les seconds à travailler. Et quand je dis forcer, il s’agit bien de cela : il parle, pour ceux qui vivent dans les régions maritimes, et il y en a beaucoup en Angleterre, de travaux forcés dans les galères. Pour les autres, il propose la création de manufactures textiles qui les occupent et les rémunèrent. Il s’agit de mettre les pauvres, tous les pauvres au travail. Les hommes, mais aussi les femmes et les enfants. Il veut créer des écoles d’industrie pour les enfants pour les « rendre sobres et industrieux pour le restant de leurs jours », mais aussi pour libérer leurs mères et leur permettre de travailler. Il procède même à un calcul : « Le remède le plus efficace que nous puissions concevoir (…) est (…) que des écoles d’industrie soient établies dans chaque paroisse, où seront obligés d’aller les enfants de tous ceux qui demandent des secours, âgés de 3 à 14 ans, tant qu’ils habitent avec leurs parents et que les inspecteurs des pauvres ne leur attribuent pas d’autre emploi pour gagner leur vie. Par ce moyen la mère sera soulagée d’une grande partie des difficultés qu’elle rencontre pour élever ses enfants à la maison et elle sera donc libre de travailler. »  Il s’agit donc, on l’a compris, de mettre les enfants au travail pour donner aux mères la possibilité de travailler elles aussi.

Plus de deux siècles de théorie économique nous font deviner qu’il y a là un loup. Locke nous dit que le commerce n’a jamais été aussi prospère en cette fin de 17ème siècle. Soit, mais si l’on avait effectivement créé toutes ces manufactures textiles, si l’on avait employé tous ces pauvres, les manufactures existantes auraient certainement souffert de cette concurrence et créé du chômage. Mais, là n’est pas l’important. L’essentiel est ailleurs : dans l’invention d’une société du tout travail où celui-ci est conçu tout à la fois comme un moyen de lutter contre la pauvreté, de subvenir à ses besoins, de domestiquer, discipliner la société. Locke l’explique sans fard. Les manufactures qu’il appelle de ses vœux ressemblent comme deux gouttes d’eau à des maisons de correction, voire à des prisons.
En publiant ce texte, les PUF nous renvoient à un des fondements de notre société : le rôle ambigu du travail et notre attitude tout aussi ambiguë à son égard : quand nous n’en avons pas nous faisons tout pour en avoir un, mais dés qu’on en a un, on ne rêve que de s’en dégager, d’échapper à ses contraintes et de retrouver la liberté.

Le programme libéral
 Ce texte de Locke n’est que l’un des multiples pamphlets et essais publiés en cette fin de 17ème siècle sur cette question. S’il nous intéresse plus que d’autres, on le doit à la personnalité de Locke, à sa place au Panthéon philosophique mais aussi à son rôle dans le développement des théories de l’éducation moderne : il est l’un des pères de la pédagogie, Jean-Jacques Rousseau s’en est largement inspiré. Or, on retrouve dans ce texte des traces de cette préoccupation. Dans ces écoles, on nourrira les enfants mieux que chez eux, on leur remplira, c’est son expression, le ventre de pain, et on les habituera à travailler dés le plus jeune âge. Le travail est formateur mais pas seulement.

Sorti du milieu des philosophes, on connaît aujourd’hui surtout Locke pour sa théorie des droits de propriété qui a fondé le libéralisme moderne. En étant très schématique, sa thèse revient à dire : je suis propriétaire de mon corps et des actions qui en découlent, de ce que je fais avec lui. Dans un passage célèbre de son deuxième Traité du gouvernement, il se demande quand l’indien devient propriétaire des fruits qu’il cueille ou des animaux qu’il chasse : quand il y applique son travail, quand il les cueille ou quand il les attrape. C’est à ce moment là que ces biens de la nature qui appartenaient à tous deviennent les siens. Cela paraît peu de choses, mais c’est capital : la propriété individuelle n’est ni le produit d’une convention ni le fruit d’un vol, d’une rapine, d’une appropriation violente : elle devient légitime ou, plutôt, il devient illégitime de vouloir s’approprier la propriété d’autrui dés lors qu’elle est le fruit de son travail. Les droits de propriété sont fondés. On ne peut prétendre, comme Proudhon, qu’ils sont du vol.
La question des pauvres comme celle de la propriété sont étroitement liées. C’est ce même travail que Locke veut imposer aux pauvres, pour les discipliner, comme je le disais à l’instant, pour soulager ceux qui ont un travail et paient un impôt de la charge de les soutenir mais aussi pour leur donner la possibilité d’accéder à la propriété. C’est tout le programme libéral qui se met ainsi en place dans ces textes de la fin du 17ème siècle, programme dont nous ne sommes pas sortis. C’est tout cela que nous rappelle ce texte.

Si l’on essayait le cannibalisme ?
Je le disais à l’instant, ce texte de Locke n’est que l’un des multiples essais et pamphlets qui auront été publiés à cette époque sur la question des pauvres. Une question qui a de tous temps intéressé tous ceux qui se préoccupent de questions sociales et a donné lieu bien plus tard, au 19ème siècle, à des travaux qui ont été pour beaucoup à l’origine de nos sciences sociales. On dit que l’ethnologie a été inventée par la baron de Gerando, un philanthrope qui a, sous l’Empire, développé une technique d’observation directe des pauvres. Plus tard, des industriels et des sociologues ont inventé la technique des budgets ouvriers tandis que des médecins s’inquiétaient de l’impact de la pauvreté sur la santé des adultes et des enfants. Mais il faut bien le dire, tout cela est un peu tristounet. Les pauvres font rarement sourire. Et moins encore les solutions pour les sortir de leur misère.

Dieu merci, il y a eu Jonathan Swift pour nous sortir de cette mélancolie. Quelques années après que Locke ait publié son petit texte et sans doute exaspéré par la prolifération des pamphlets de toutes sortes sur le sujet, l’auteur de Gulliver a proposé sa solution au problème de la pauvreté « pour, je le cite, empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à charge à leurs parents et à leur pays et pour les rendre utiles au public. » Ce texte est connu, mais comment résister de le citer une nouvelle fois ?
En voici donc le début :

« C’est une triste chose pour ceux qui se promènent dans cette grande ville ou voyagent dans la campagne, que de voir les rues, les routes et les portes des cabanes encombrées de mendiantes que suivent trois, quatre ou six enfants tous en haillons et importunant chaque passant pour avoir l’aumône. Ces mères, au lieu d’être en état de travailler pour gagner honnêtement leur vie, sont forcées de passer tout leur temps à mendier de quoi nourrir leurs malheureux enfants, qui, lorsqu’ils grandissent, deviennent voleurs faute d’ouvrage, ou quittent leur cher pays natal pour s’enrôler au service du prétendant en Espagne, ou se vendent aux Barbades.
Tous les partis tombent d’accord, je pense, que ce nombre prodigieux d’enfants sur les bras, sur le dos ou sur les talons de leurs mères, et souvent de leurs pères, est, dans le déplorable état de ce royaume, un très-grand fardeau de plus ; c’est pourquoi quiconque trouverait un moyen honnête, économique et facile de faire de ces enfants des membres sains et utiles de la communauté, aurait assez bien mérité du public pour qu’on lui érigeât une statue comme sauveur de la nation.
Mais ma sollicitude est loin de se borner aux enfants des mendiants de profession ; elle s’étend beaucoup plus loin, et jusque sur tous les enfants d’un certain âge, qui sont nés de parents aussi peu en état réellement de pourvoir à leurs besoins que ceux qui demandent la charité dans les rues.Pour ma part, ayant tourné mes pensées depuis bien des années sur cet important sujet, et mûrement pesé les propositions de nos faiseurs de projets, je les ai toujours vus tomber dans des erreurs grossières de calcul. Il est vrai qu’un enfant dont la mère vient d’accoucher peut vivre de son lait pendant une année solaire, avec peu d’autre nourriture, la valeur de deux shillings au plus que la mère peut certainement se procurer, ou l’équivalent en rogatons, dans son légitime métier de mendiante ; et c’est précisément lorsque les enfants sont âgés d’un an que je propose de prendre à leur égard des mesures telles qu’au lieu d’être une charge pour leurs parents ou pour la paroisse, ou de manquer d’aliments et de vêtements le reste de leur vie, ils contribuent, au contraire, à nourrir et en partie à vêtir des milliers de personnes.
Un autre grand avantage de mon projet, c’est qu’il préviendra ces avortements volontaires et cette horrible habitude qu’ont les femmes de tuer leurs bâtards, habitude trop commune, hélas ! parmi nous ; ces sacrifices de pauvres petits innocents (pour éviter la dépense plutôt que la honte, je soupçonne), qui arracheraient des larmes de compassion au cœur le plus inhumain, le plus barbare. »

Et quelle est donc cette solution ? Swift calcule qu’il y a bon an mal 120 000 naissances en Irlande puis il propose son remède : « J’expose donc humblement à la considération du public que des cent vingt mille enfants dont le calcul a été fait, vingt mille peuvent être réservés pour la reproduction de l’espèce, dont seulement un quart de mâles, ce qui est plus qu’on ne réserve pour les moutons, le gros bétail et les porcs ; et ma raison est que ces enfants sont rarement le fruit du mariage, circonstance à laquelle nos sauvages font peu d’attention, c’est pourquoi un mâle suffira au service de quatre femelles ; que les cent mille restant peuvent, à l’âge d’un an, être offerts en vente aux personnes de qualité et de fortune dans tout le royaume, en avertissant toujours la mère de les allaiter copieusement dans le dernier mois, de façon à les rendre dodus et gras pour une bonne table. Un enfant fera deux plats dans un repas d’amis ; et quand la famille dîne seule, le train de devant ou de derrière fera un plat raisonnable, et assaisonné avec un peu de poivre et de sel, sera très-bon bouilli le quatrième jour, spécialement en hiver. »
Il poursuit son texte qui est sans doute ce qui a jamais été écrit de plus amusant, de plus incisif et de plus percutant pour se moquer des raisonnements économiques, avec des considérations sur le prix, la qualité de la chair de ces petits êtres dodus… Mais redevenons un instant sérieux.

Que faire aujourd’hui de ce texte ?
Serge Milano qui présente ce livre en retire quelques conclusions sur nos politiques contemporaines. « L’assistance, écrit-il visant le RMI et le RSA, n’est qu’une alternative (mauvaise) au travail pour tous ceux qui veulent travailler. » « Le message lockéen, poursuit-il, est très simple : le travail précède l’assistance. Rares sont aujourd’hui les personnes qui refusent ce message. Mais peu nombreuses sont celles qui en acceptent les conséquences : inscription obligatoire comme demandeur d’emploi, acceptation de toute offre d’emploi raisonnable, y compris avec réduction importante de salaire, obligation de formation et de reconversion, voire mobilité géographique raisonnable, écart au salaire minimum en vertu du principe de less eligibility… » La réédition de ce petit livre s’inscrit donc dans le cadre des réflexions sur les évolutions de l’Etat providence. Faut-il être plus exigeant avec ceux qui bénéficient de l’assistance ? Qu’ils coûtent cher, les déficits de nos systèmes sociaux nous le rappellent régulièrement. Qu’il y ait ici ou là des abus et des dérives, c’est l’évidence, mais est-ce en les combattant qu’on réglera les problèmes de la pauvreté ? J’en doute.

Plutôt qu’une source d’inspiration, comme semble le faire Serge Milano, je verrai dans ce petit livre un rappel utile de la difficulté de penser la pauvreté et la crise et un rappel utile du rôle du travail dans nos sociétés qui nous aide à subvenir à nos besoins, qui nous discipline et fonde le droit de propriété. Cela fait beaucoup et explique qu’il soit aussi difficile d’en traiter.


4.6.13

Les hautes rémunérations dans le privé ne seront pas réglementées, et c’est bien dommage


Pierre Moscovici a choisi de ne pas légiférer sur les hautes rémunérations dans le secteur privé, préférant à une loi l’autorégulation. Faut-il le dire, cette décision, qui n’est, semble-t-il, pas encore définitive, a suscité des mouvements divers à gauche, et pas seulement du coté du Front de Gauche. Beaucoup au Parti Socialiste critiquent cette décision et reprochent au gouvernement d’avoir cédé au chantage à la délocalisation des sièges sociaux du MEDEF et de l’AFEP, l’association française des entreprises privées. Et ce n’est pas la charte de déontologie que préparent ces deux organisations qui les rassurent. Comme le dit Thierry Mandon, un député de l’Essonne, «Ce n'est pas la première fois que l'histoire de la charte de déontologie sort du chapeau, il y a eu des précédents, ces précédents, ils ont donné des cacahuètes, nous veillerons à ce qu'il n'en soit pas de même cette fois». Cette décision est, en effet, étrange et contestable. D’autant plus contestable qu’elle n’aurait, au pire, concerné que quelques centaines peut-être de dirigeants des grandes entreprises cotées. On estime, en général qu’un millier de dirigeants seraient affectés par la taxe à 75% sur les rémunérations annuelles supérieures à 1 millions d’€. Cela ne représente pas des bataillons très importants. Mais avant d’entrer dans le détail, quelques éléments factuels.

Les rémunérations des dirigeants
L’AMF, l’Autorité des Marchés financiers, publie chaque année un rapport dans lequel elle analyse les rémunérations des dirigeants des entreprises cotées, présidents directeurs généraux, présidents de directoire, directeurs généraux et gérants de sociétés du CAC 40.

A la lecture de ces chiffres trois éléments apparaissent :
  •          il y a des écarts significatifs entre les mieux et les moins payés de ces dirigeants. Pour ne prendre que les chiffres de 2011, les derniers disponibles, les rémunérations du premier quartile, du premier quart, si l’on préfère de la population étudiée (les dirigeants d’une soixantaine d’entreprises, se situaient entre 630 000 € et 1 million, tandis que ceux du dernier quartile se situait entre 2 millions et 10 millions, soit de 3 à 10 fois plus ;
  •          ces rémunérations n’ont cessé de progresser depuis 2009 dans toutes les catégories, alors que celles des salariés n’ont pas ou peu progressé ;
  •          ces rémunérations sont beaucoup plus élevées que celles des dirigeants des sociétés publiques qui sont plafonnées à 450 000€ l’an.

En période de crise, ces évolutions peuvent paraître surprenantes pour ne pas dire choquantes. Mais entrons un peu plus dans le détail. La composition des rémunérations des dirigeants varie d’une entreprise à l’autre, mais on retrouve à peu près partout les mêmes éléments :
  •         un salaire de base,
  •         des bonus,
  •          des actions ou options sur des actions qui consistent à donner au dirigeants la possibilité de revendre au bout de quelque temps des actions offertes ou achetées en général à un prix très avantageux, ce qui leur permet, pour peu que le cours de l’action ait progressé de s’enrichir rapidement,
  •         des primes de départ,
  •        et des retraites supplémentaires.

Tous ces éléments sont en théorie conçus pour inciter les dirigeants à faire des efforts, à améliorer les performances de l’entreprise qu’ils pilotent. Performances en général mesurées dans les entreprises cotées par le cours de la bourse, ce qui est un indicateur trompeur. Dans les périodes fastes, tous les cours montent que les entreprises aient amélioré leurs performances ou pas.

Ces rémunérations irritent, on le sait, les Français. C’est moins leur montant ou leur efficacité discutable qui agacent que la progression de ces rémunérations dans des entreprises qui bloquent les salaires et licencient massivement au nom de ces performances. Nous sommes habitués à voir des sportifs, des comédiens gagner des sommes considérables sans que cela nous choque particulièrement. Mais dans le cas des chefs d’entreprise, il en va autrement.

Comment expliquer ces hautes rémunérations ?
On le devine les économistes se sont intéressés à ces questions. La littérature sur le sujet est très abondante et, en général, plutôt complaisante à l’égard de ces hautes rémunérations. Plusieurs arguments ont été avancés pour les justifier.

On a expliqué que des entreprises de plus en plus grosses, de plus en plus importantes, demandaient pour les diriger des compétences exceptionnelles qui sont très rares. Si l’on veut attirer, il convient de les rémunérer à la hauteur de leur valeur.

On a également expliqué que ces hautes rémunérations étaient liées aux performances et légitimes dés lors que celles-ci s’améliorent.

On a encore dit qu’il était normal de verser des rémunérations très élevées aux dirigeants des entreprises en grande difficulté puisqu’ils doivent prendre des décisions radicales, courageuses, fermer des usines, abandonner des lignes de produit et que cela mérite récompense. Certains ont même ajouté que les dirigeants qui acceptent de travailler dans ces entreprises prennent des risques, celui, notamment, s’ils ne réussissent pas à retourner la situation de perdre leur emploi et leur réputation. Et qu’il est normal de rémunérer cette prise de risque.

Tous ces arguments ont, naturellement, fait l’objet de contestations. Deux autres hypothèses, plus réalistes, ont été mises en avant :
  •         les dirigeants qui reçoivent de si hautes rémunérations se comporteraient en prédateurs, ils agissent en bande avec les membres du conseil d’administration, leurs collègues du conseil de direction pour augmenter leurs revenus,
  •        les méthodes utilisées par les cabinets de conseil que les entreprises pour calculer les rémunérations seraient responsables de ces dérives.

Selon l’hypothèse que l’on retient…
Si je cite ces différentes explications, c’est que selon celle que l’on retient ont abouti à des résultats très différents. Si l’on pense que ces rémunérations sont liées à la rareté des candidats ou à leur capacité à améliorer les performances des entreprises qu’ils dirigent, il n’y a pas de motif d’y toucher. On peut naturellement opposer à cela que les performances d’une entreprise sont collective, que tout le monde y contribue, et pas seulement les dirigeants. On peut également ajouter que rien ne prouve que la direction de ces méga-entreprises demande des compétences exceptionnelles. Le risque que les grandes entreprises cotées périclitent du fait du départ de quelques dirigeants est faible. Dans tous les comités de direction, il y a des candidats au remplacements de ceux des dirigeants qui voudraient partir.
Si l’on pense que la distribution d’actions ou de stock-options est une bonne manière d’inciter les dirigeants à faire des efforts, il faut laisser aux actionnaires le soin d’en décider, ce qui suppose qu’ils soient informés des rémunérations versées aux dirigeants, ce qui n’est pas forcément le cas.
Si l’on pense, à l’inverse, que ces dirigeants sont simplement des prédateurs qui s’enrichissent aux dépens des actionnaires et des salariés, il convient d’introduire de nouvelles règles et de légiférer.
Si, enfin, on est sensible aux faiblesses des outils utilisés pour calculer ces rémunérations, alors il convient d’agir pour les faire évoluer. Il y a là, bien sûr, beaucoup de grain à moudre. L’un des outils le plus utilisé est une comparaison des rémunérations du dirigeant d’une entreprise et le salaire médian des dirigeants d’entreprises comparables. Ce qui incite, naturellement, à augmenter les rémunérations de tous ceux qui sont en dessous. Et dés lors qu’on les augmente, qu’on les rapproche du salaire médian, celui-ci augmente.

On retrouve tous ces mécanismes où se mêle mauvaise foi, habileté à négocier ses rémunérations, faiblesse des outils, dans les justifications que la littérature économique donne des indemnités de départ qui font de temps à autre la une de l’actualité. On explique, par exemple, que le conseil d’administration peut être tenté de se séparer d’un dirigeant si ses résultats ne sont pas à la hauteur des attentes alors même que ceux-ci sont liés à la conjoncture, au marché… un indemnité élevée les amène à y réfléchir à deux fois.

D’autres auteurs ont également expliqué que ces indemnités de départ pouvaient inciter les dirigeants qui en savent plus sur l’état de la situation de l’entreprise que les membres du conseil d’administration à donner rapidement les mauvaises nouvelles, devraient-elles même conduire à leur éviction : une indemnité de départ généreuse peut soigner bien des blessures d’amour propre.

On aimerait que ces arguments soient également utilisés pour les salariés ordinaires, mais ce n’est évidemment pas le cas.

La loi ou l’impôt
Pierre Moscovici a donc choisi de faire confiance aux capacités d’autorégulation du patronat. Choix audacieux et probablement inefficace. On voit mal comment le MEDEF ou l’AMF pourraient, le voudraient-elles même, imposer à des entreprises un plafond aux rémunérations de leurs dirigeants.
Faire confiance aux actionnaires n’est guère plus probant. Ne serait-ce que parce que le pouvoir dans les conseils d’administration est en général contrôlé par des groupes dont les dirigeants sont également intéressés à ce que ces rémunérations restent élevées. La Grande-Bretagne a fait de gros efforts pour mieux informer les actionnaires des rémunérations des dirigeants. Cela n’a rien changé sinon quelques protestations sans effets dans les Assemblées Générales.

La loi ne va pas forcément de soi, non plus. Légiférer suppose de définir un mode de calcul du plafond. Dans le cas des entreprises de service public, il a été décidé que ce plafond correspondrait au salaire moyen des personnels les moins bien payés multiplié par vingt, ce qui donne ce chiffre de 450 000€. On imagine les protestations des dirigeants. Une autre manière de faire serait de proposer une transformation des conseils d’administration qui décident des rémunérations des dirigeants et sont donc les premiers responsables de ces dérives. Une solution serait de confier le calcul de ces rémunérations à des administrateurs indépendants associés avec des représentants des salariés pour peu que ceux-ci soient acceptés dans ces conseils, ce qui relève de la loi. Encore faudrait-il que ces administrateurs indépendants ne se fient pas aux seuls travaux des cabinets spécialisés dont les outils ont souvent contribué à ces hausses.

Le plus simple serait, cependant, d’agir par l’impôt. Imposer ces rémunérations de telle manière que les dirigeants n’aient pas intérêt à les voir augmenter pour aussitôt en reverser l’essentiel au fisc. On peut d’ailleurs penser que ce sont les baisses d’impôts sur les salaires les plus élevés qui ont contribué, aux Etats-Unis mais aussi en Grande-Bretagne, à faire exploser ces rémunérations. Le taus supérieur d’imposition était jusqu’au début des années 70 de 70 à 80% dans ces deux pays avant de tomber à 30%/ Autant dire que le principal frein à l’explosion de ces salaires a disparu. Et comme les dirigeants des entreprises européennes prennent les Etats-Unis comme exemple, les leurs ont suivi.
Les 75% d’impôt sur les revenus les plus élevés promis par François Hollande auraient été une bonne manière de ramener ces rémunérations à des niveaux plus acceptables. Mais dans sa dernière mouture, ce sont les entreprises qui paieront cette taxe. Est-ce que cela peut les inciter à réduire les rémunérations de leurs dirigeants ? on peut parier que tant que les comités chargés de fixer les rémunérations n’auront pas été transformés, elles feront tout pour déplaire aux PDG, DG et autres bénéficiaires de ces salaires extravagants.

Pour conclure
En choisissant de confier aux dirigeants des grandes entreprises le soin de s’autoréguler, Pierre Moscovici a peut-être voulu calmer le jeu alors que les patrons sont en campagne électorale pour remplacer à la tête du MEDEF Laurence Parisot. Ce n’est certainement pas la meilleure solution pour agir sur ces rémunérations qui contribuent plus que tout autre phénomène à creuser les inégalités dans nos sociétés.