Les chroniques économiques de Bernard Girard

30.4.13

Le chômage des jeunes, bombe à retardement




Les chiffres du chômage sont, mois après mois, mauvais, très mauvais. On s’y attendait, nous dit-on, ils risquent, ajoute-t-on du coté des experts, de se dégrader encore dans les mois qui viennent. La faute à la crise ? sans doute. Mais pas seulement. Le chômage, notamment celui des jeunes et des seniors, semblent devenus constitutifs de notre société. Nous vivons avec depuis des années. En 2004, 9,7% des jeunes de moins de 25 ans étaient au chômage. Ils étaient 22% en 2011 et 24% aujourd’hui. Spécificité française ? pas du tout. Les chiffres sont aussi mauvais, voire pire, bien pire, tout autour de nous. Seuls l’Allemagne, les Pays-Bas et le Japon semblent y échapper avec des taux inférieurs à 10%. La crise a même frappé très fort en Grande-Bretagne, dont le chômage des jeunes a plus que doublé en moins de dix ans, atteignant des niveaux comparables aux nôtres. Les pays nordiques que l’on nous donne si souvent en exemple ont eux aussi connu une rapide dégradation de leurs statistiques en ce domaine.

Un phénomène international
On l’a compris, il s’agit d’un phénomène international qui touche tous les continents et à peu près tous les pays. Reprenant des statistique du BIT, de la banque mondiale et de l’OCDE, le magazine britannique The Economist a calculé que 290 millions de jeunes de 15 à 24 ans, soit près du quart de la jeunesse mondiale, sont en dehors du système scolaire et sans emploi. C’est considérable et inquiétant pour l’avenir.

On sait que les jeunes connaissent traditionnellement plus de chômage que les plus âgés. Pour plusieurs motifs : ils n’ont pas d’expérience professionnelle et ont donc plus de mal à trouver un emploi, ils ne sont pas encore sûrs de ce qu’ils veulent et peuvent faire et sont donc amenés à procéder par essais et erreurs, ce qui les amène à changer plus rapidement d’emploi. Ils jouent, dans de nombreuses économies un rôle de tampon en cas de difficultés : il est plus facile de licencier un jeune sans grande compétence qu’un père de famille qui a de l’expérience. Leurs emplois sont en général moins bien protégés. Aux Etats-Unis, comme dans bien d’autres pays, les règles, notamment les conventions signées avec les organisations syndicales, invitent les entreprises à licencier en priorité, en cas de difficultés, les derniers recrutés, les plus jeunes en font naturellement partie.

Tous les systèmes qui visent à protéger les salariés en place, les obstacles aux licenciements de toute nature contribuent à rendre plus difficile l’entrée sur le marché du travail des plus jeunes qui souffrent tout à la fois de l’allongement des périodes d’essai qui les accompagnent en général et de la pusillanimité des employeurs qui hésitent à augmenter leurs effectifs de crainte de ne pouvoir les ajuster rapidement à la demande en cas de difficultés.

Toute ces bonnes raisons expliquent bien que les jeunes soient plus souvent en chômage que le reste de la population, pas qu’il soit si important.  D’autres facteurs entrent en ligne de compte. Certains démographiques. Dans nombre de pays en développement, des phénomènes démographiques : la population a explosé et l’économie n’est tout simplement pas en mesure d’accueillir tous ces jeunes, de leur offrir un emploi. C’est, notamment, le cas au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, région dans laquelle le chômage des jeunes dépasse les 40%. Un chiffre qui n’est pas près de se résorber lorsque l’on sait que 10 millions de jeunes devraient arriver sur le marché du travail en Afrique du Nord d’ici à 2020. Même en Asie orientale, le taux de chômage des jeunes en 2011 était 2,8 fois plus élevé que celui des adultes.

Ailleurs, la faible croissance de l’activité économique a durement touché les jeunes. Mais d’autres facteurs ont joué.

Le secteur industriel, gros employeur de main d’œuvre il y a encore quelques années, a vu ses effectifs fondre sous le coup de gains de productivité élevés : on a besoin de moins en moins de monde dans les usines pour fabriquer les mêmes quantités de produits, de transfert d’une partie des activités industrielles vers de nouvelles régions.

L’inadéquation entre les compétences acquises dans le système scolaire et celles demandées par les entreprises est également en cause. Ce problème est endémique et probablement pour partie insoluble : les compétences que demandent les entreprises évoluent si rapidement que les systèmes scolaires n’ont pas la capacité de suivre et encore moins d’anticiper. Il a fallu des années pour qu’ils trouvent le moyen de former des informaticiens. Ceux qui avaient, dans les années soixante-dix, les compétences travaillaient dans les entreprises et n’avaient pas envie de devenir profs. Mais le chômage aggrave cette inadéquation : pour y échapper beaucoup de jeunes poursuivent leurs études. Parce qu’ils le font sans conviction, par obligation plus que par désir, ils s’orientent mal, vont vers des formations qui ne les préparent pas aux compétences que recherchent les entreprises. Plus grave même, ces études trop longues contribuent au chômage : elles créent de l’insatisfaction. Comment peut-on être satisfait d’un emploi mal payé lorsque l’on a fait plusieurs années d’études supérieures ?

Une bombe à retardement
Ce chômage massif des jeunes est une véritable bombe à retardement. Et ceci partout.
Dans les pays du Sud, mais pas seulement, il crée des risques d’instabilité politiques. Ce sont en général les jeunes qui se révoltent. Il incite à l’émigration alors même que les pays du Nord font tout pour la limiter. D’où la multiplication des sans papiers, des salariés qui ne sont pas déclarés et font concurrence aux salariés locaux.

Dans les pays du Nord, il annonce une croissance ralentie :
-       les jeunes qui n’ont pas de travail restent plus longtemps chez leurs parents, voire leurs grands-parents comme on l’observe aujourd’hui en Italie ou en Espagne. Parce qu’ils n’en ont pas les moyens, ils ne cherchent pas à s’installer. Ils réduisent donc la demande de logements,
-       les jeunes dont les débuts de carrière sont difficiles, qui vont de stage en stage, ont du mal à acquérir des qualifications dont l’économie a besoin. D’où ce paradoxe que l’on souligne si souvent : les entreprises qui veulent recruter ne trouvent pas les compétences qu’elles recherchent alors qu’il y a tant de chômage. Il ne faudrait pas croire que ce problème est spécifiquement français. Le cabinet McKinsey a étudié le phénomène dans 9 pays (les Etats-Unis, le Brésil, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Inde et le Mexique) qui montre que 43% des employeurs se plaignent de ne pas trouver sur le marché du travail les compétences qu’ils recherchent,
-       L’impact d’un chômage prolongé en tout début de carrière se fait longtemps sentir, il laisse des traces, des cicatrices (« scarring » disent les économistes anglo-saxons pour décrire ce phénomène). Sur les revenus, de nombreuses études l’ont montré, les mêmes jeunes au début de carrière difficile ont en général, des revenus plus faibles que leurs collègues qui ont commencé dans de meilleure conditions. Sur le chômage. Plusieurs études ont montré que le chômage en début de carrière était un bon prédicteur des périodes de chômage ultérieures. Or qui dit revenus plus faibles et périodes de chômage prolongées dit moindre consommation et donc frein à la croissance.
-       Plusieurs études ont également montré qu’un chômage des jeunes massif et prolongé contribue au développement des inégalités et à la création d’un marché du travail dual avec d’un coté les « élus » qui font de belles carrières, obtiennent des augmentations de salaires régulières et, de l’autre, ceux qui restent au plancher condamnés à aller d’emploi précaire en emploi précaire. Et cela aussi est un frein à la croissance.
Le chômage des jeunes a d’autres effets qu’il est plus difficile de quantifier. Il a un double impact sur le système scolaire. D’un coté, comme je le disais un peu plus haut, il gonfle les effectifs dans l’enseignement supérieur et contribue sans doute à sa dégradation en multipliant les étudiants qui ne s’inscrivent en fac que faute de mieux. Par ailleurs, il contribue au décrochage scolaire : à quoi bon faire des efforts à l’école si les bons élèves restent sans emploi ?
Le chômage des jeunes participe également au développement de l’économie informelle, surtout s’il dure longtemps : ce n’est pas parce que l’on n’a pas d’emploi que l’on ne cherche pas à gagner d’une manière ou d’une autre de l’argent. Ce qui peut mener à des emplois non déclarés mais aussi à certaines formes de violence ou de délinquance.

Autre facteur difficile à mesurer : le désengagement du monde du travail classique dont témoigne l’explosion du nombre de jeunes qui s’orientent vers des carrières non conventionnelles, notamment dans des activités de type artistique, musique, théâtre… ce dont témoigne la progression régulière du nombre d’intermittents du spectacle ou d’artistes affiliés aux organismes spécialisés. Tant qu’à alterner régulièrement périodes de travail et périodes de chômage, autant le faire dans des activités choisies, qui intéressent et donnent le sentiment de se réaliser.

Que faire ?
On ne peut pas dire que cette question soit négligée. Les politiques ont conscience de la gravité de la situation. François Hollande a à plusieurs reprises indiqué que c’était l’une de ses priorités et deux des composants de sa boite à outils, les emplois d’avenir et les contrats de génération, ont été conçus pour réduire ce chômage.

On sait que ces instruments ont du mal à démarrer. La crise y est sans doute pour beaucoup : les associations et collectivités locales appelées à recruter les emplois d’avenir connaissent trop de difficultés pour s’engager massivement dans un programme qui leur permet pourtant d’employer des salariés à un coût proches de ceux d’un travailleur chinois, l’essentiel de la rémunération étant versé par l’Etat. Mais est-elle la seule responsable ?

François Hollande n’est pas le premier à s’être engagé dans ce combat. D’autres, à droite comme à gauche, ont fait de même ces dernières années. On se souvient des programmes de pré-retraite, des Contrats Nouvelle Embauche, du CPE, de Villepin, des Emplois jeunes de Jospin. Ces programmes ne se ressemblent pas forcément dans le détail, mais tous reposent sur l’une ou l’autre de ces trois idées :
-       la première est que les seniors en restant dans l’emploi bloqueraient l’entrée massive des plus jeunes, d’où l’idée des préretraites, de la retraite à soixante ans ou, plus récemment et de manière plus subtile, cette notion de contrat de génération qui tente de lutter tout à la fois contre le chômage des seniors et celui des plus jeunes,
-       la seconde est qu’un coût du travail trop élevé serait à l’origine des difficultés des plus jeunes, d’où toutes ces mesures qui visent à le réduire en exonérant les entreprises qui recrutent de jeunes salariés de cotisations sociales ou qui amènent l’Etat à financer jusqu’à 75% (emplois d’avenir) ou 80% (emplois jeunes) de ces salaires au niveau du SMIC,
-       la dernière est que les employeurs hésitent à recruter des jeunes de peur de s’engager sur le long terme, d’où l’introduction dans la plupart de ces programmes de mesures qui facilitent le licenciement, autorisent, comme le CPE, le licenciement sans motifs…
Or, aucune de ces trois hypothèses ne va de soi. Prétendre que les seniors prennent l’emploi des plus jeunes est faux. Pour deux motifs :
-       d’abord parce que les emplois que les uns et les autres occupent ne sont pas équivalents. Il est bien rare qu’un jeune remplace un senior, ils n’ont ni la même formation ni les mêmes compétences ni, bien sûr, la même expérience,
-       ensuite, parce qu’une entreprise qui se sépare d’un senior le fait souvent pour réduire ses effectifs, comme on le voit dans tous ces plans sociaux qui comportent des clauses de départ anticipé pour les plus âgés.
Expliquer que le coût du travail est un obstacle au recrutement des plus jeunes n’est pas non plus complètement satisfaisant. C’est moins le niveau des salaires qui bloque les recrutements que l’absence de perspectives de développement. Un employeur assuré de la croissance de son activité dans les mois à venir est enclin à recruter même à des niveaux de salaire relativement élevés. 

Prétendre enfin que les employeurs hésitent à recruter de peur de ne pouvoir se séparer de leurs salariés en cas de difficulté est tout simplement oublier que chaque jour des dizaines de milliers d’entreprises licencient du personnel. Et qu’elles le font sans véritable difficulté.

Les programmes conçus pour lutter contre le chômage des jeunes présentent en fait deux faiblesses : ils ne peuvent pallier l’absence de demande dans les périodes de très faible croissance ; ils ne traitent pas complètement les problèmes structurels de l’emploi des jeunes qui sont, rappelons-le, liés, d’une part, à la difficulté de l’appariement d’un jeune et d’un emploi et, d’autre part, au décalage entre compétences requises et compétences offertes. Faute de savoir comment relancer la croissance, c’est du coté de ces deux facteurs qu’il faudrait agir en accompagnant mieux les jeunes demandeurs d’emploi dans la recherche d’un premier emploi et en organisant des formations techniques qui répondent aux demandes des employeurs alors qu’aujourd’hui ces formations sont le plus souvent conçues pour répondre aux demandes des jeunes ou aux capacités des systèmes de formation. Ce ne sont pas les entreprises qui courent après les journalistes ou les spécialistes du marketing de luxe, mais les jeunes qui se précipitent vers ces formations séduisantes (quel plus beau métier que journaliste ?) mais sans véritables débouchés que multiplient les spécialistes de la formation.

23.4.13

Crise de la culture : du disque au livre





La crise, la crise, la crise… On ne parle que de cela. En général de manière abstraite crise financière, crise économique, sans entrer dans le détail. Ce que font les économistes réunis autour de Philippe Askenazi et Daniel Cohen qui viennent de publier chez Albin Michel un gros ouvrage, plus de 700 pages, au titre éloquent : 5 crises. Nous ne vivons pas seulement une crise économique, nous en vivons plusieurs à la fois nous disent ces auteurs, tous proches du Cepremap, un groupe de recherche de l’Ecole Normale Supérieure auquel a longtemps contribué Robert Boyer, l’un des pères de l’école de la régulation, et auquel collabore aujourd’hui quelques uns des meilleurs économistes de langue française que l’on retrouve dans ce livre.

Je disais donc que ce livre analyse cinq crises : la crise des élites, ce qui les amène à s’intéresser au cumul des mandats et à la rémunération des patrons, la crise de la culture, dont je parlerai plus longuement tout à l’heure, la crise financière avec des articles sur les ménages et les banques centrales, la crise sociale et, enfin, la crise climatique.

Sans doute pourrait-on ajouter d’autres crises à celles-ci. Parler d’une crise de nos systèmes de protection sociale ou de santé, de notre modèle industriel, des institutions européennes. Sans doute pourrait-on aussi s’interroger, ce que les auteurs de ce recueil ne font pas, sur cette notion même de crise. Mais peu importe, ce livre, tel qu’il est présenté, a le mérite de nous montrer que ce que nous appelons la crise a de multiples facettes.

Le piratage n’a pas réduit les revenus des musiciens
Ce livre est si riche est qu’il est difficile de tout traiter d’un coup. J’ai donc choisi ce matin de me concentrer sur celle de ces crises qui est le moins souvent analysée : la crise de la culture. Les auteurs de ce livre l’abordent sous deux angles : celui du disque, de ses ventes qui s’effondrent sous le coup du piratage et d’internet, et celui du livre numérique ou, plutôt, de l’impact de celui-ci sur le prix unique du livre, cette réglementation imaginée par Jack Lang pour sauver la librairie au début du premier septennat de François Mitterrand.

Les auteurs de l’article sur la musique commencent par une information qui surprend et remet en cause beaucoup d’idées reçues : en s’appuyant sur une étude réalisée sur les membres de l’ADAMI, une société de gestion collective des droits de propriété intellectuelle des artistes-interprètes, ils montrent que le revenu médian des musiciens, ce revenu qui partage la population des musiciens en deux catégories égales, ceux qui ont plus et ceux qui ont moins, a légèrement augmenté de 2000 à 2008, soit en plein dans cette période de piratage. Plus étonnant peut-être, les revenus des musiciens qui gagnent le plus n’a pas non plus diminué. A l’inverse donc, de ce que l’on nous a dit et répété le piratage n’a pas fait globalement de tort à la profession.  Ce qui ne veut pas dire que certains n’en aient pas souffert. En fait, le traitement statistique fin auquel les auteurs de cet article soumettent leurs données fait apparaître plusieurs catégories. Ils en distinguent cinq que l’on peut regrouper en trois grandes :
  • -       Les artistes indifférents à la technologie, ils ne l’utilisent pas, ne s’en plaignent pas,
  • -       ceux qui en ont bénéficié et sont tolérants avec le piratage,
  • -       ceux qui en ont, à l’inverse, souffert et qui sont très en pointe dans le combat contre. Ce peut être des artistes à succès mais aussi des artistes qui gagnent très mal leur vie avec la musique et qui ont tendance à attribuer leur échec à la révolution technique.


En ont bénéficié ceux qui ont su tirer parti des atouts des nouvelles technologies numériques qui réduisent, d’un coté, les coûts de production et, de l’autre, les coûts de diffusion. Avec un home studio on peut réaliser chez soi, sans techniciens, ce qui demandait, hier, des investissements lourds. Mettre sur Youtube, Dailymotion ou Myspace des fichiers électroniques se fait sans dépenses.

En ont également et surtout bénéficié ceux qui ont su construire des modèles économiques, les auteurs parlent de modèle d’affaires, qui exploitent ces possibilités techniques. Ce sont, notamment, tous ceux qui font beaucoup de scène, que le piratage ou, disons plutôt, la libre circulation sur le net de leurs musiques, fait connaître d’un plus large public qui a envie de les entendre en vrai, sur scène.

Les principales victimes de la révolution numérique semblent être, à la lecture de cet article, les maisons de disque. Non seulement elles en vendent beaucoup moins, mais les artistes les plus engagés dans le numérique, ceux qui tolèrent le piratage et mettent en ligne quelques unes de leurs production, refusent ce que l’on appelle les contrats 360°, contrats qui consistent à confier à un même acteur, la maison de disque, la gestion de l’ensemble des activités de l’artiste, disques, concert, internet.

L’association internet/festivals/radios
C’est le modèle économique de toutes les professions musicales qui est en train de changer. Les disquaires ont à peu près disparu, les maisons de disques souffrent beaucoup et ont du mal à trouver un nouveau souffle. Mais la musique elle-même n’a pas souffert. Les ventes de disques se sont effondrées, -30% sur 5 ans, d’après les chiffres les plus récents de la SACEM, et continuent de dégringoler, mais le spectacle vivant, notamment les festivals, progresse avec, semble-t-il, une évolution au sein même du spectacle vivant. D’après la SACEM, on observe une progression rapide des festivals (+13% en 2012) et une érosion des tournées. Si elle se confirmait cette évolution pourrait signaler l’émergence d’une autre façon de choisir et faire connaître la musique.

Hier, c’étaient les maisons de disques qui sélectionnaient les artistes, qui les faisaient connaître, en organisaient la promotion dans les radios et sur les télévisions avant de les faire tourner en France. On a vu qu’elles ont des difficultés, qu’elles vendent moins de disques, la télévision, qui ne présente plus que des artistes commerciaux est de moins en moins un support pour la musique. Tout se passe comme si les festivals prenaient lentement, mais sûrement, ce rôle d’organisateur de la vie musicale. Ce sont leurs organisateurs qui, de plus en plus, sélectionnent les artistes qui montent. Ce qu’ils font sur d’autres critères que les maisons de disques : leurs animateurs s’adressent non plus à un public indifférencié, mais à un public éclairé, amateur de jazz, de musique improvisée, de musique contemporaine, de rock alternatif… Ce public est demandeur de nouveautés, les organisateurs des festivals peuvent donc faire preuve de plus de curiosité, ils peuvent présenter, inviter des artistes peu connus qui ont su attirer l’attention sur le net. Ils ne sont pas condamnés à courir derrière le succès, à rechercher à tous prix les vedettes qui font la une de la presse people et que produisent les émissions musicales de la télévision. A tous ces artistes, ils offrent la possibilité de se présenter sur scène mais aussi de se faire connaître grâce à la diffusion de leurs concerts à la radio. Concerts qui élargissent le public et l’orientent vers les nouveaux modes de diffusion de la musique enregistrée.

L’économie de la musique change donc profondément. Au système maison de disque/télévision/tournées dominant dans les années 80 et 90 semble appelé à succéder un système basé sur internet, les festivals et la reprise des concerts par les radios qui restent le moyen préféré des Français pour écouter de la musique (pour plus d’un Français sur trois : 36%), loin devant les chaines hi-fi.

Ceci dans le cadre d’un intérêt toujours plus grand pour la musique. On n’en a jamais tant écouté, ce qui ressort d’une enquête qu’Opinion Way a réalisée pour la SACEM. 80% des Français considèrent la musique comme une passion ou un plaisir, ils n’étaient que 74% en 2006. 84% disent écouter de la musique tous les jours et, phénomène qui conforte ce que je disais à l’instant, un nombre croissant rejette la musique commerciale, celle que l’on entend à la télévision. Mouvement qui s’accompagne, d’ailleurs, d’une montée en puissance de la musique classique qui fait aujourd’hui dans les habitudes d’écoute des Français part égale avec les variétés internationales. Plus on écoute de la musique, plus on écoute des musiques exigeantes, ce qui n’est pas surprenant : les festivals dont je parlais à l’instant forment leur public.

Le livre, une révolution de la production déjà ancienne…
Ce qui est vrai de la musique l’est-il d’autres activités culturelles ? Je pense, notamment, au livre. Observe-t-on là aussi les mêmes phénomènes ? La situation est différente. La révolution technologique a touché plus tôt le monde du livre, du moins dans sa production. Cela fait des années maintenant que les auteurs adressent à leurs éditeurs des fichiers numériques, ce qui a réduit les coûts de production du livre et s’est traduit tout à la fois par une explosion du nombre d’éditeurs, du nombre de livres publiés, par une plus grande diversité de l’offre éditoriale, on n’a jamais tant publié de poésie, d’essais de toutes sortes, de romans de tous styles, mais aussi par une dégradation de la qualité moyenne du livre.

Dégradation que l’on observe dans la qualité des textes : les fautes sont beaucoup plus nombreuses aujourd’hui qu’hier. Pour une raison toute simple : les contrôles sur le texte sont moins nombreux et moins rigoureux. Lorsqu’un texte devait ; il y a 15 ou 20 ans, être saisi par un typographe ou un claviste, il y avait au moins trois contrôles : celui du claviste qui resaisissait le texte, celui de l’auteur qui le relisait avec attention, celui, enfin, de l’éditeur. Le premier de ces contrôles a disparu, l’auteur relit avec moins de rigueur : ce n’est plus la saisie qu’il contrôle mais son écriture, ce qui est différent. Quant à l’éditeur, il a souvent supprimé le poste correction de ses effectifs.

Il est plus difficile de parler de la dégradation du contenu, de la qualité littéraire des textes. A dire que tout allait mieux hier on risque de passer pour un « vieux con », mais la multiplication des maisons d’édition et des publications invite à aller dans ce sens. Le cycle remise du manuscrit – mise en vente dans les librairies s’est rétréci. Même dans les plus grandes maisons, les éditeurs, les directeurs de collection consacrent moins de temps aux livres qu’ils publient. Les échanges entre ces éditeurs et les auteurs sont moins fréquents, moins denses qu’hier, d’où un moindre travail sur le texte. Beaucoup de maisons d’éditions semblent avoir oublié qu’un livre, qu’il s’agisse d’un roman ou d’un essai, est toujours un travail collectif. S’il n’y a qu’un auteur indiqué sur la page de couverture, plusieurs personnes ont contribué à la réalisation du livre, à la mise au point de son contenu.

Un symptôme de cette dégradation est la multiplication des affaires de plagiat, comme celle qui a amené Gilles Bernheim, le grand rabbin de France, à démissionner il y a quelques semaines. Si les éditeurs étaient plus attentifs, ils ne laisseraient pas passer des ouvrages dans lesquels on retrouve des pages entières tirées de Wikipedia. Mais en ont-ils seulement le temps ?

Le livre : la révolution de la diffusion à venir
Si la révolution technologique dans la production du livre est depuis longtemps actée, celle de sa diffusion se met tout juste en place. Et c’est celle qui intéresse les auteurs de l’article consacré au livre dans l’ouvrage collectif du CEPREMAP dont je parlais au début de cette chronique. Ils consacrent leur article à la question du prix unique du livre dont on apprend, à les lire, qu’il n’est pas une spécificité française. On le retrouve dans un très grand nombre de pays. Ce prix unique avait été décidé pour faciliter l’accès au livre, éviter la disparition des librairies au profit de la grande distribution et, cela allait avec, la diversité de la production. On pouvait, en effet, craindre qu’une fois disparues les librairies, la grande distribution se concentre sur les best-sellers et abandonne les livres plus difficiles.

Le numérique modifie naturellement tout cela. La question de l’accès au livre ne se pose plus de la même manière dés lors que chacun peut, depuis son ordinateur et où qu’il se trouve, commander des livres sur Amazon, Decitre, Gibert Jeune… qui plus est, en réduisant les coûts de diffusion et de fabrication, il peut diminuer le prix du livre. C’est déjà chose faite pour beaucoup d’ouvrages aujourd’hui mis gratuitement à notre disposition sur le net.

Même chose pour la diversité. Le numérique devrait même au contraire la favoriser, les bibliothèques numériques n’ayant pas les contraintes physiques des librairies. On trouve, d’ailleurs, dans ce livre quelques chiffres étonnants. Près de 600 000 titres étaient disponibles en 2008 alors que les plus grandes librairies ont rarement plus de 100 000 références, ce qui veut tout simplement dire que l’on ne trouve pas tout partout. Ce que savent les amateurs de livres qui, s’ils en ont la possibilité, fréquentent souvent plusieurs librairies sachant que l’on ne trouve pas les mêmes livres dans toutes. Le numérique devrait encore améliorer cette diversité de plusieurs manières :
  • -       en allongeant l’espérance de vie des livres qui est très courte en librairie, guère plus de trois mois en moyenne,
  • -       en mettant à disposition l’ensemble des ouvrages déjà publiés. Le numérique supprime le « épuisé chez l’éditeur », « pas disponible » que l’on rencontre si souvent,
  • -       en donnant la possibilité d’accéder à des livres que les libraires n’ont pas dans leurs rayons, je pense notamment aux livres étrangers.


A première vue, donc, la révolution technologique satisfait les deux objectifs de la loi sur le prix unique, elle favorise l’accès du plus grand nombre au livre et assure la diversité, mais à première vue seulement. Elle ne résout pas, en effet, complètement le problème. Il y a tant de titres disponibles, près de 600 000 références aujourd’hui, infiniment plus demain, qu’il est difficile, non pas tant de choisir, que d’être simplement informé de l’existence de tel ou tel livre. Et c’est là que les libraires jouent un rôle original : ils font un tri dans la production, présentent des ouvrages sur leurs grandes tables. Les amateurs savent que s’ils cherchent un roman, un livre de science-fiction, de psychanalyse, de sciences-humaines… ils ont plus de chance de le trouver ici que là… ils savent que tel libraire suit bien l’actualité philosophique et tel autre l’histoire ou la géographie. C’est souvent affaire de goût des libraires, de la rencontre de libraires et de quelques clients qui par le jeu du bouche à oreille amènent leurs amis, leurs connaissances…

C’est cela qu’il va falloir réinventer. Comment ? certains libraires ont commencé de multiplier les signatures, d’autres reçoivent des auteurs pour des lectures ou des échanges avec les auteurs. Ce sont des pistes dont on ne sait pas encore ce qu’elles donneront et dont on ne sait pas si elles suffiront. Les auteurs de l’article que je citais s’intéressent eux, plutôt, à des mécanismes qui permettraient de beaucoup mieux rémunérer les libraires sur les premières ventes, surtout celles de libres réputés difficiles, ce qui les inciterait à lancer ces livres, à les aider à trouver leurs lecteurs et leur permettrait de se faire une place dans la nouvelle économie de l’édition qui se met en place.

C’est une idée intéressante qui a le mérite de tenir compte de la révolution technologique en cours. C’est sans doute la meilleure manière de s’y adapter. Une bien meilleure manière que ces poursuites en justice que l’industrie du disque a multipliées pour se protéger d’une vague déferlante qui ne pouvait que la bousculer.



16.4.13

Un léger mieux, ou pas?


Certains amateurs de théories du complot ont dit, ces derniers jours que l’affaire Cahuzac et ce qui a suivi, le choc de moralisation, avaient été mis en avant pour mieux faire passer au second plan une situation économique désastreuse. Je me demande si l’on ne pourrait pas retourner l’argument et dire que cette affaire et ses suites ont rejeté dans l’ombre des résultats économiques qui étaient, pour une fois depuis longtemps plutôt encourageants.

Je pense à quatre informations qui nous sont venues ces dernières semaines :
  •   la réduction de ce que l’on appelle le déficit structurel,
  •   un sursaut de la production industrielle,
  •  une reprise légère du marché de l’intérim,
  •  et des taux exceptionnels accordés à la France par les marchés : jamais l’Etat français n’a, malgré toutes ses difficultés, emprunté dans de si bonnes conditions.
Aucune de ces informations ne justifie que l’on chante victoire, elles n’autorisent même pas à annoncer la fin du tunnel, mais leur conjonction mérite d’être soulignée et analysée. S’agit-il d’un phénomène conjoncturel éphémère ou est-ce l’annonce de jours meilleurs ?

Le sursaut de la production industrielle
C’est l’INSEE qui l’a annoncé il y a quelques jours, la production s’est, en France, légèrement redressée en février dernier après de longs mois de recul. Ce mieux est très léger, si léger qu’il est bien trop tôt pour parler de rebond, tout au plus peut on évoquer un sursaut. Cette hausse est de 0 ,8 % dans le secteur manufacturier. Ce qui est bien mieux que les mois précédents mais trop peu pour compenser le repli de 1,3 % enregistrée en janvier.

Ce sursaut ne concerne pas, qui plus est, tous les secteurs. Elle augmente nettement dans le raffinage (+17%) grâce à la réouverture d’une usine qui avait arrêté sa production pour cause de maintenance et dans celui des matériels de transport, dont l’automobile. Ces quelques chiffres ne font donc pas le printemps, mais ils invitent à s’interroger sur ce qui pourrait, dans les mois qui viennent, transformer ce sursaut en tendance.

Voyons, d’abord, ce qui pourrait conforter ce sursaut ? une première piste pourrait être la reconstitution des stocks des entreprises. Elles ont épuisé leurs stocks de matières premières, leurs machines ont vieilli, il faut les remplacer, elles investissent ce qui contribue à relancer l’activité. C’est bien ce qui se produit ici ou là. Mais sans promesse de croissance, ce retour de la demande risque d’être poussif et insuffisant pour relancer la machine.

Une autre piste pourrait être l’apparition sur le marché d’un secteur ou de quelques entreprises particulièrement compétitives qui grâce à des produits innovants ont une croissance rapide. Croissance que la très forte interdépendance des entreprises industrielles aiderait à diffuser largement dans le tissu économique. Ce serait, bien sûr, la solution la plus durable. Et c’est l’objectif que devrait viser le gouvernement : concentrer ses efforts, en matière de financement, d’aides à ces secteurs au potentiel de croissance élevés. Reste, et ce n’est pas le plus facile, à les identifier, car, à l’inverse de ce que l’on nous serine en permanence, ils ne sont pas l’apanage des nouvelles technologies ou des industries « séduisantes », je veux dire des industries de l’environnement : on peut trouver ces moteurs de croissance partout, dans le matériel agricole comme dans la chimie fine ou le textile.

Une troisième piste pourrait être une reprise de l’activité chez nos voisins qui dynamiserait le commerce intra-européen. C’était, semble-t-il, le scénario qu’avait en tête François Hollande à la fin de l’année dernière. La situation de la plupart de nos voisins, la position inflexible d’Angela Merkel, les élections en Allemagne à la rentrée le rendent peu probable dans l’immédiat même si ce rebond de l’activité industrielle n’est pas le fait de la seule France, on le rencontre dans toute la zone euro d’après Eurostat. Elle y a progressé de 0,4% en février. La production industrielle a augmenté dans dix États membres de l’Union européenne et a diminué dans douze autres. Les hausses les plus importantes ont été enregistrées aux Pays-Bas et en Slovénie (+3,4% chacun), en République tchèque (+1,6%) ainsi qu’au Portugal (+1,3%), ce qui fait penser que deux mouvements sont en cause :
  • un transfert d’une partie de l’activité industrielle du sud et de l’ouest vers de l’Est de l’Europe, mouvement que confirment les progrès sur plusieurs trimestres de la production industrielle dans les pays proches de l’Allemagne dont l’industrie a pleinement profité de ce transfert,
  • et un rebond lié au renouvellement d’équipements fatigués et à la reconstitution des stocks dans les pays qui ont connu la crise la plus profonde.
Une reprise du marché de l’intérim 
 Deuxième signe encourageant : la reprise l’emploi intérimaire en février après de longs mois de dégringolade. Il a augmenté de 2,5% en février alors qu’il a reculé de 8,3% sur un an. Tous les grands secteurs connaissent une hausse : +3,9% dans le tertiaire, +2,6% pour l’industrie et +0,2% pour la construction. C'est un signe encourageant pour deux motifs : 

  • elle indique que les carnets de commande des entreprises se remplissent de nouveau : une entreprise qui reçoit une commande et qui ne peut satisfaire sa demande avec ses effectifs actuels va s’adresser à l’intérim avant de recruter en CDD ou en CDI, surtout dans l’industrie. Et la comparaison de ces statistiques et celles de l’INSEE sur la production industrielle montre que des secteurs qui n’ont pas connu de rebond dans les chiffres de l’INSEE, comme celui de la « fabrication d’équipements électriques, électroniques, informatiques-fabrication de machines », augmentent fortement, ce qui fait penser que l’on verra, dans les mois prochains, leur production progresser,
  • elle suggère ensuite que les activités de service, grosses consommatrices d’intérim observent un redémarrage de leur activité. Le plus significatif est sans doute le résultat du secteur transport et entreposage : ses recrutements d’intérimaires ont augmenté de plus de 10%. Or, ce secteur est particulièrement sensible à la conjoncture : il intervient comme sous-traitant des secteurs industriels. Dès que l’activité de ceux-ci se développe, les besoins en transports et en entreposage augmentent.
On remarquera, cependant, que ces hausses concernent surtout l’industrie et les services aux entreprises. Les services aux particuliers, les activités qui dépendent directement des investissements des ménages sont peu concernés. Le nombre d’intérimaires n’augmente que de 1,5% dans la restauration et l’hôtellerie, de 0,2% dans la construction mais de 8,7% dans le commerce et la réparation d’automobiles et de motocycles, ce qui veut peut-être dire que les Français font vivre plus longtemps leurs véhicules, ce qui n’est pas un bon signe pour l’industrie automobile.

Cela tient pour une part à des pratiques différentes. L’intérim semble plutôt une pratique de l’industrie, le tertiaire pratiquant plutôt des recrutements en CDD ou CDI. Domaine sur lequel on peut trouver des informations avec l’enquête besoin en main d’œuvre (BMO) annuelle de Pôle Emploi et du Crédoc. Cette enquête réalisée chaque année signale une légère, très légère progression du nombre de projets de recrutements. Le nombre d’employeurs envisageant de nouveaux recrutements aurait augmenté, en 2013, de 0,2%. Je dis "augmenté" mais il serait plus juste de parler de stagnation : leur nombre n’a pas diminué. 18% des employeurs, ce qui est peu mais représente tout de même 420 000 entreprises, qui envisageraient de nouveaux recrutements dans l’année dont la moitié en CDI ou en CDD de longue durée (six mois ou plus). L’ensemble représentant 1, 6 millions de projets de recrutement.
Ils ne faudrait surtout pas surinterpréter ces chiffres et leur faire dire autre chose que ce qu’ils disent. La situation de l’emploi reste très difficile, le chômage devrait continuer de progresser, mais le marché du travail n’est pas atone, il continue de fonctionner. Il y a toujours des entreprises qui recrutent, pour remplacer des salariés qui partent à la retraite, qui les quittent pour un motif ou un autre, pour accompagner une amélioration de leur carnet de commande, une réorganisation…

Il faut être d’autant plus prudent, que trois autres séries de données tirées de cette enquête assombrissent un peu plus le tableau :
  • les emplois saisonniers représentent 35% de ces anticipations d’embauche, notamment dans le secteur agricole,
  • les employeurs qui déclarent avoir des projets de recrutement disent, que 40% de ces projets relèvent de ce que l’on appelle des recrutements difficiles. Ce qui veut dire qu’ils ne sont pas certains de trouver les bons candidats et qu’ils risquent, à défaut, d’abandonner leur projet. Ces recrutements sont jugés d’autant plus difficiles que les niveaux de qualification sont plus élevés,
  • les emplois les plus demandés sont dans des activités qui ne demandent que très peu de qualification : agents d’entretien, aides à domicile et aides ménagères, aides, apprentis de cuisine… soit, souvent, dans des activités d’aide à la personne. Les métiers qualifiés les plus demandés sont dans les mêmes secteurs : aides soignants, infirmiers, puéricultrices…
La réduction du déficit structurel
La troisième nouvelle encourageante est d’une nature tout différente. Il s’agit de la réduction du déficit structurel. C’est une notion complexe qui demande quelques explications. On appelle déficit structurel, le déficit tel qu’il apparaît si l’on ne tient pas compte de l’impact de la conjoncture sur l’état des finances publiques. En période de crise, les dépenses sociales, les allocations chômage, pour ne prendre que ce exemple, augmentent et creusent donc le déficit. Si on ne tient pas compte de cet effet réversible, on trouve le déficit structurel. On le devine, c’est une notion un peu floue qui donne aux experts matière à chicane. Reste que c’est une notion politiquement importante. Surtout dans le cadre de l’Europe. L’une des batailles du gouvernement français est d’obtenir de Bruxelles et de ses partenaires qu’ils retiennent dans leur évaluation de ses efforts budgétaires, les progrès réalisés sur ce déficit structurel plutôt que sur le déficit global. Et plusieurs ministres et responsables sont à plusieurs reprises intervenus pour défendre cette notion dans des déclarations publiques plus destinées à nos partenaires européens qu’à l’opinion française.

Le gouvernement se bat d’autant plus que le déficit structurel qui avait beaucoup augmenté de 2006 à 2011, il avait progressé de 1,8 point de PIB, a diminué en 2012 (de 1,2 point de PIB) et qu’il devrait continuer de le faire en 2013 et 2014. Dans une interview publiée dans les Echos, Bernard Cazeneuve, le nouveau ministre du budget, a indiqué qu’il « sera réduit de 1,8 point cette année, et à nouveau de 1 point de PIB en 2014 ». Ce qui permettrait de ramener le déficit structurel à seulement 1% de PIB l'année prochaine.

Cela ne veut pas dire que nous en aurions fini avec ce que certains appellent l’austérité et d’autres, de manière sans doute plus juste, la rigueur puisque l’article 3 du TSCG, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance voté par le Parlement en octobre 2012, prévoit que les Etats ne doivent pas dépasser un déficit structurel de 0,5 % du PIB. Resterait donc à gagner 0,5% du PIB. Mais le plus gros aurait déjà été fait.

Le gouvernement avait le choix entre tailler massivement dans les dépenses publiques et augmenter les impôts. Il a choisi de mettre l’accent sur la seconde solution, d’où aujourd’hui les protestations de tous ceux qui lui reprochent de ne pas avoir réalisé des coupes dans les dépenses publiques. Il a choisi de protéger notre système de protection sociale et notre système administratif pour ne le modifier qu’à la marge. On voit bien que les réductions de dépenses dans la fonction publique vont surtout porter sur ce que François Hollande a appelé le choc de simplification, qui devrait se faire sans destruction d’emplois de fonctionnaires, et sur la réforme de la décentralisation qui devrait, si elle aboutit, ce qui n’est pas gagné, freiner l’explosion des dépenses dans les départements, régions… Dans les deux cas, il s’agit d’une rationalisation de l’existant plus que d’une révolution. C’est un choix politique, choix d’une gauche social-démocrate si l’on veut, qui ne peut tenir que si les augmentations massives d’impôts qui l’ont permis sont bien acceptées, ce que l’on saura dans quelques mois.

La France a de bonnes chances de gagner cette bataille discrète qui se joue dans les bureaux de Bruxelles entre experts. Elle a d’autant plus de chances de la gagner que le gouvernement a choisi de jouer le jeu du sérieux budgétaire. Cette notion de déficit structurel interdit de prendre des mesure punitives dans les périodes de crise, mesures qui ne peuvent qu’aggraver la situation, comme on l’a beaucoup dit à propose de la Grèce et à juste titre, mais elle interdit aussi de tout attendre d’un retour de la croissance. Elle force à la vertu budgétaire puisqu’elle empêche de renvoyer au lendemain les efforts à faire. Ce que demandent les Allemands qui auront réussi, à l’occasion de cette crise, à imposer à leurs partenaires européens leur vision de la croissance. Je ne dirai pas que Bernard Cazeneuve  parle allemand lorsqu’il dit que « nous n'avons aucune chance de retrouver la croissance sans le rétablissement des comptes » mais il s’inspire fortement de la philosophie économique de nos voisins.

Un léger mieux ?
A tout cela, il faut ajouter que la France n’a jamais emprunté dans de si bonnes conditions. Elle emprunte aujourd’hui à 10 ans à des taux inférieurs à 2%. Ce qui est un peu surprenant pour qui suit l'actualité économique.  

De deux choses l’une : ou les marchés, je veux dire les opérateurs qui nous prêtent de l’argent, ont des statistiques économiques différentes de celles dont nous disposons ou ils savent quelque chose que nous ne savons pas.

La deuxième hypothèse est sans doute la meilleure. C’est en tout cas celle que retient Paul Krugman, le prix Nobel d’économie néo-keynésien, qui le signalait récemment dans une de ses chroniques du New-York-Times et l’expliquait de la manière la plus simple mais aussi la plus cynique. La France est le dernier rempart de l’euro. Qu’elle s’effondre et la monnaie européenne s’effondrerait avec elle. La BCE, la banque centrale européenne qui le sait, aurait donc décidé, pour éviter cette catastrophe de soutenir la France, de jouer le rôle de prêteur de dernier ressort. Les créanciers qui le savent peuvent donc nous prêter en toute tranquillité : ils ne risquent rien. Il en conclut, de manière un peu provocatrice, que tout se passe comme si la France avait de nouveau sa propre monnaie, une facilité qui devrait inciter le gouvernement à relâcher la pression, apportant ainsi de l’eau au moulin de ceux qui militent, à la gauche du PS pour une autre politique.

Ces quelques données, celles surtout qui pointent vers un sursaut sont encore trop fragiles pour que l’on puisse parler d’un retournement de tendance. Elles peignent toutefois la situation économique sous un jour moins calamiteux qu’on le dit. Et elles invitent à un optimisme modéré. Nous avons été comme nos voisins durement affectés par la crise, en témoignent les chiffres du chômage qui ne cessent de progresser, mais nous avons été moins touchés que les Espagnols, les Italiens, les Portugais et, surtout, les Grecs. Nous n’avons connu ni baisses des salaires et des pensions, ni remise en cause des prestations sociales et de la gratuité des soins comme tant de nos voisins. Et si tout continue dans ce sens, nous nous en serons plutôt mieux sortis que d’autres.