Les chroniques économiques de Bernard Girard

23.7.13

La reprise de François Hollande


Pour écouter cette chronique

François Hollande a donc annoncé, lors de son allocution du 14 juillet, que la reprise était là. Ses propos ont surpris, on a parlé de méthode Coué, d’optimisme. Ils ont d’autant plus surpris que les prévisions de l’OCDE, du FMI, de la Commission Européenne et de la plupart des instituts de conjoncture ne disent rien de pareil.

Les prévisions des économistes étant ce qu’elles sont, souvent guère plus fiables que celles des météorologistes sur plusieurs jours, il n’est pas impossible que François Hollande ait raison contre tous. Disons qu’il a, au mieux, pris un risque sérieux.

Ce pourrait être le risque que prend celui qui se sent noyer et s’accroche à la moindre branche d’arbre pour se maintenir à flot mais au vu ce que l’on connaît de François Hollande, le sang-froid dont il fait preuve par ailleurs, cela paraît peu probable ; il s’agirait donc plutôt d’un risque calculé de la part d’un politique qui, faut-il le rappeler, ne nous a pas habitué à faire des promesses irréalisables.
Un risque qui rappelle celui qu’il a pris à propos du chômage lorsqu’il a, à plusieurs reprises, annoncé l’arrêt de sa progression avant la fin de l’année. Ce qui fait penser qu’il s’agit d’une stratégie mûrement réfléchie. Mais regardons, d’abord, ce qui l’autorise à cet optimisme.

Des indicateurs qui hésitent
François Hollande n’appuie évidemment pas ses prévisions optimistes sur du vent. Mais sur quelques indicateurs qui ont oscillé ces derniers mois dans la bonne direction. C’est notamment le cas de l’indice de la production industrielle qui a rebondi de 2,6% en avril, une bonne performance, meilleure que celle de nos voisins mais qu’il convient de mettre en perspective : il fait suite à de nombreux chiffres médiocres et n’a pas été confirmé en mai. François Hollande avait-il quand il a parlé des premiers retours de l’INSEE sur de bons chiffres en juin ? C’est possible. Reste que rien n’est moins sûr. On peut, comme le suggère François Hollande se trouver à un point de bascule, au moment où les indicateurs se retournent, on peut également avoir affaire à une variation mensuelle sans grande signification, liée à la reconstitution des stocks à laquelle doivent, même en période de récession, procéder les industriels.

Faut-il ajouter que serions nous, même dans l’hypothèse la plus favorable, celle d’un retournement rien ne dit que cette reprise serait annonciatrice d’une croissance vive. Nous pourrions très bien nous retrouver dans la situation des Japonais qui ont vécu pendant plusieurs années une sorte de croissance atone.

François Hollande ne s’appuie pas seulement sur cet indice de la production industrielle, il a aussi cité le chômage et la consommation. Il aurait pu aussi parler des exportations qui se sont redressées en avril avant de retomber en mai. Ce que l’on disait pour la production industrielle vaut pour ces autres indices. Il y a donc bien eu un frémissement, mais il est difficile de les interpréter.
Pourquoi donc François Hollande a-t-il pris le risque d’annoncer la reprise dans ces conditions ? car risque il y a et doublement si l’avenir ne confirme pas ses prévisions :
  •          risque de discréditer la parole présidentielle,
  •          risque de passer pour incompétent en matière économique alors qu’on le crédite d’être compétent et mieux informé de ces questions que ses prédécesseurs.


Un mot de son allocution du 14 juillet offre, je crois, une clef : confiance. Il a insisté sur son rôle dans la reprise tout comme il a dénoncé le pessimisme, ce pessimisme dont nous parlions la semaine dernière et qui interdit de se projeter dans l’avenir, d’investir et qui est donc un frein à la croissance.

Une prophétie auto-réalisatrice ?
C’est un thème qu’il avait d’ailleurs annoncé dans sa conférence de presse de mai dernier lorsqu’il avait dit : « sur le plan psychologique, il est très important que les Français se disent « ça peut repartir » ; car la confiance ramènera la consommation et l’investissement. » Et c’est à cela que doit servir cette déclaration sur la reprise : modifier la perception que les Français, salariés et chefs d’entreprise, producteurs et consommateurs, ont de la situation économique. Il s’agit, au fond, de mettre en place un mécanisme de prophétie auto-réalisatrice : je prévois que la situation va s’améliorer, je prends des mesures qui vont de fait contribuer à améliorer la situation : j’anticipe des investissements, je ne ralentis pas ma consommation… C’est un mécanisme bien connu dont on a analysé les effets dans de nombreux domaines, dans celui de l’inflation, notamment, mais aussi dans celui de pénuries de toutes sortes (on annonce une pénurie, pour s’en protéger, chacun fait des provisions contribuant ainsi à créer une pénurie qui n’aurait pas autrement eu lieu). Les pédagogues ont montré la puissance de ce qu’ils appellent l’effet pygmalion et qui n’est rien d’autre qu’une prophétie auto-réalisatrice, les géographes ont montré son rôle dans la construction des espaces économiques et dans l’évolution des quartiers. C’est donc un concept puissant. Reste à savoir s’il peut s’appliquer dans ce contexte et si la parole présidentielle est le mieux armée pour l’initier.

Il semble que les prophéties auto-réalisatrices aient joué un rôle dans le développement industriel rapide d’Israël. C’est en tout cas l’hypothèse de Dov Even, un économiste israélien qui explique le succès de ce pays sur le plan économique par la conviction de ses habitants qu’ils réussiraient cette industrialisation. Cette conviction les aurait incités à créer des entreprises, à investir dans l’industrie plutôt que dans d’autres activités. Il associe cela à ce qu’il appelle l’effet golem ou à l’effet messianique qui sont d’autres noms de la prophétie adaptés à la culture locale.

Ce qui a été vrai d’Israël devrait donc pouvoir l’être d’autres pays et notamment de la France. Reste à savoir s’il suffit de la parole présidentielle…

La parole présidentielle
Peut-on attendre l’émergence de cet effet de la parole présidentielle. François Hollande le pense manifestement. Et il fait preuve en cela d’une certaine originalité. La parole politique, et notamment la parole présidentielle, relève plutôt de ce que le philosophe britannique Austin appelait le discours performatif. Il entendait par là, ces phrases qui sont aussi action, qui du fait même qu’elles sont prononcées changent le monde. Le titre du livre dans lequel il présente cette thèse le dit clairement : « quand dire c’est faire » (en anglais : « How to do things with words »). Lorsque le maire dit à un couple : « je vous déclare unis par les liens du mariage », il change effectivement le statut des deux personnes en face de lui : ils étaient quelques instants plus tôt célibataires, les voilà, du fait même de cette déclaration mariés.

La parole présidentielle a cette force parce que prononcée par le Président auquel les institutions donnent justement ce pouvoir. Certains en ont d’ailleurs abusé, comme Nicolas Sarkozy qui a fini par confondre parler et agir. François Hollande s’expose à un autre risque. Pur que la reprise qu’ils annonce devienne réalité, il ne suffit pas qu’il le déclare, il faut encore que les agents économiques le croient, lui fassent confiance, pensent qu’il sait mieux qu’eux, qu’il est mieux informé… Or, ce n’est pas gagné.
Ce n’est pas impossible comme le montre son engagement sur le chômage. Les chiffres du retournement ne sont pas encore là, mais certains commencent à y croire, notamment du coté de l’opposition, suffisamment pour dénoncer emplois aidés et artifices. Critique qui fait sourire quand on sait que tous les gouvernements depuis trente ans ont utilisé ce type de mesure pour réduire le chômage et qui est un peu absurde : mieux vaut avoir un emploi, même aidé, que rien du tout. Ne serait-ce que pour trouver un emploi ultérieurement. De nombreuses études ont montré qu’il était d’autant plus difficile de se faire recruter que l’on était resté plus longtemps au chômage. Les jeunes gens qui occupent ces emplois d’avenir n’auront pas ce handicap lorsqu’ils en chercheront un dans le secteur privé. Ce n’est pas négligeable !

Ce qui devrait se produire avec le chômage peut-il se répéter avec la croissance ? Ce n’est pas certain. En affirmant haut et fort sa volonté de voir un retournement de la courbe du chômage d’ici à la fin de l’année, François Hollande s’adressait autant aux responsables en charge dans les associations, dans les ministères, dans les collectivités locales qu’aux Français. Chaque fois qu’il insistait sur cet engagement il réaffirmait avec force à l’intention de tous ceux qui doivent faire vivre cette politique sa volonté de voir réussir les mesures prises par le gouvernement. Pas question de trainer des pieds, de lambiner, de ratiociner, de multiplier les obstacles de toutes sortes comme savent si souvent faire les administrations ! Cela lui était d’autant plus facile qu’il a sur eux tous une sorte d’autorité, directe, hiérarchique lorsqu’il s’agit de ministres et de fonctionnaires, morales lorsqu’il s’agit d’élus de collectivités territoriales.
Il en va malheureusement autrement avec la croissance. La parole présidentielle n’a, dans ce domaine, de poids que si elle relayée par d’autres paroles d’experts, d’économistes, d’entrepreneurs qui confirment son diagnostic. Il n’est pas nécessaire qu’ils soient une majorité. Il suffit qu’ils soient assez nombreux pour que s’installe une controverse, que ceux qui prennent des décisions économiques, industriels qui investissent, consommateurs qui dépensent… puissent hésiter, puissent, s’ils ont assez confiance dans leurs produits ou dans leur situation, prendre des risques.

Cette controverse s’installe lentement. L’opinion a pris conscience que certains indicateurs étaient positifs, ce qu’elle ignorait avant l’intervention de François Hollande. Les économistes commencent de dire que la France est sortie de la récession en juin. Il suffirait que dans les mois qui viennent d’autres indicateurs soient positifs pour que la perception de la situation change. On peut les attendre du coté du chômage, notamment du chômage des jeunes. Les mesures gouvernementales, emplois avenir et autres, devraient prendre leur plein effet à la rentrée, en septembre, quand le ministère de l’Education nationale recrutera dix mille jeunes, quand les villes qui ont, comme Paris, choisi de modifier les horaires scolaires dés cette rentrée recruteront des jeunes pour animer les activités.

D’autres signes sont prometteurs. L’opinion des industriels sur le climat des affaires s’améliore. Ces mêmes industriels pensent également que la compétitivité de l’industrie française commence à faire des progrès. Tout cela peut contribuer à détendre l’atmosphère et à rendre à la parole politique un peu de la force qu’elle a perdu ces dernières années et, notamment, ces derniers mois.

Est-ce que cela suffira à amorcer la reprise ? il faudrait pour cela que la situation économique internationale évolue, parce que pour l’heure la reprise est là aux Etats-Unis, mais ailleurs on en est loin. En Asie, les économies hier si dynamiques font du surplace, voient leur croissance ralentie. C’est le cas de la Chine et de l’Inde. Ce l’est également en Amérique latine du Brésil. Quant à l’Europe, bien malin qui peut dire quand elle redémarrera. Lorsque l’on parle de la situation économique de l’Europe, on pense d’abord à l’Allemagne qui risque de souffrir du ralentissement dans les pays émergents. D’autres pays pourraient surprendre, notamment ceux d’Europe du Sud qui ont traversé, qui traversent une crise très grave mais dont l’industrie commence à relever la tête. Je pense notamment à l’Espagne dont les industriels se trouvent aujourd’hui dans une situation très originale : une main d’œuvre bon marché du fait de la crise, un marché intérieur dévasté du fait de la même crise qui  les force à se tourner vers l’exportation et, d’abord, en Europe. Ces pays pourraient très bien sortir de la crise renforcés et devenir des concurrents redoutables pour nos industries. Surtout si celles-ci n’investissent pas pour construire l’avenir. Mais, pour l’instant, on ne peut attendre d’eux qu’ils tirent la croissance.

Un pari à double détente
En annonçant la reprise alors que nul n’en voit encore vraiment les signes, François Hollande a pris un vrai risque. S’il l’a fait alors qu’on le dit plutôt prudent, c’est qu’il a besoin d’aborder la rentrée et 2014 avec quelques succès dans sa gibecière. La réforme des retraites à la rentrée risque de susciter manifestations, protestations et de mettre beaucoup de monde dans la rue, et ceci à quelques mois d’échéances électorales qui s’annoncent particulièrement difficiles pour les partis de gouvernement et, notamment, pour le PS. S’il veut passer ces épreuves sans trop de dégâts, s’il veut rebondir après, il faut qu’il puisse mettre à son crédit des réussites sur le plan économique, sur le chômage, la croissance, la productivité. Que ses électeurs puissent se dire :sa politique est rude, mais du moins porte-t-elle ses fruits. Sinon, il ne lui restera pour sauver les meubles que l’impuissance de l’UMP enferrée dans ses conflits de chefs et l’inquiétude que suscite toujours, mais chaque jour un peu moins, le Front National. C’est peu…