Les chroniques économiques de Bernard Girard

16.4.13

Un léger mieux, ou pas?


Certains amateurs de théories du complot ont dit, ces derniers jours que l’affaire Cahuzac et ce qui a suivi, le choc de moralisation, avaient été mis en avant pour mieux faire passer au second plan une situation économique désastreuse. Je me demande si l’on ne pourrait pas retourner l’argument et dire que cette affaire et ses suites ont rejeté dans l’ombre des résultats économiques qui étaient, pour une fois depuis longtemps plutôt encourageants.

Je pense à quatre informations qui nous sont venues ces dernières semaines :
  •   la réduction de ce que l’on appelle le déficit structurel,
  •   un sursaut de la production industrielle,
  •  une reprise légère du marché de l’intérim,
  •  et des taux exceptionnels accordés à la France par les marchés : jamais l’Etat français n’a, malgré toutes ses difficultés, emprunté dans de si bonnes conditions.
Aucune de ces informations ne justifie que l’on chante victoire, elles n’autorisent même pas à annoncer la fin du tunnel, mais leur conjonction mérite d’être soulignée et analysée. S’agit-il d’un phénomène conjoncturel éphémère ou est-ce l’annonce de jours meilleurs ?

Le sursaut de la production industrielle
C’est l’INSEE qui l’a annoncé il y a quelques jours, la production s’est, en France, légèrement redressée en février dernier après de longs mois de recul. Ce mieux est très léger, si léger qu’il est bien trop tôt pour parler de rebond, tout au plus peut on évoquer un sursaut. Cette hausse est de 0 ,8 % dans le secteur manufacturier. Ce qui est bien mieux que les mois précédents mais trop peu pour compenser le repli de 1,3 % enregistrée en janvier.

Ce sursaut ne concerne pas, qui plus est, tous les secteurs. Elle augmente nettement dans le raffinage (+17%) grâce à la réouverture d’une usine qui avait arrêté sa production pour cause de maintenance et dans celui des matériels de transport, dont l’automobile. Ces quelques chiffres ne font donc pas le printemps, mais ils invitent à s’interroger sur ce qui pourrait, dans les mois qui viennent, transformer ce sursaut en tendance.

Voyons, d’abord, ce qui pourrait conforter ce sursaut ? une première piste pourrait être la reconstitution des stocks des entreprises. Elles ont épuisé leurs stocks de matières premières, leurs machines ont vieilli, il faut les remplacer, elles investissent ce qui contribue à relancer l’activité. C’est bien ce qui se produit ici ou là. Mais sans promesse de croissance, ce retour de la demande risque d’être poussif et insuffisant pour relancer la machine.

Une autre piste pourrait être l’apparition sur le marché d’un secteur ou de quelques entreprises particulièrement compétitives qui grâce à des produits innovants ont une croissance rapide. Croissance que la très forte interdépendance des entreprises industrielles aiderait à diffuser largement dans le tissu économique. Ce serait, bien sûr, la solution la plus durable. Et c’est l’objectif que devrait viser le gouvernement : concentrer ses efforts, en matière de financement, d’aides à ces secteurs au potentiel de croissance élevés. Reste, et ce n’est pas le plus facile, à les identifier, car, à l’inverse de ce que l’on nous serine en permanence, ils ne sont pas l’apanage des nouvelles technologies ou des industries « séduisantes », je veux dire des industries de l’environnement : on peut trouver ces moteurs de croissance partout, dans le matériel agricole comme dans la chimie fine ou le textile.

Une troisième piste pourrait être une reprise de l’activité chez nos voisins qui dynamiserait le commerce intra-européen. C’était, semble-t-il, le scénario qu’avait en tête François Hollande à la fin de l’année dernière. La situation de la plupart de nos voisins, la position inflexible d’Angela Merkel, les élections en Allemagne à la rentrée le rendent peu probable dans l’immédiat même si ce rebond de l’activité industrielle n’est pas le fait de la seule France, on le rencontre dans toute la zone euro d’après Eurostat. Elle y a progressé de 0,4% en février. La production industrielle a augmenté dans dix États membres de l’Union européenne et a diminué dans douze autres. Les hausses les plus importantes ont été enregistrées aux Pays-Bas et en Slovénie (+3,4% chacun), en République tchèque (+1,6%) ainsi qu’au Portugal (+1,3%), ce qui fait penser que deux mouvements sont en cause :
  • un transfert d’une partie de l’activité industrielle du sud et de l’ouest vers de l’Est de l’Europe, mouvement que confirment les progrès sur plusieurs trimestres de la production industrielle dans les pays proches de l’Allemagne dont l’industrie a pleinement profité de ce transfert,
  • et un rebond lié au renouvellement d’équipements fatigués et à la reconstitution des stocks dans les pays qui ont connu la crise la plus profonde.
Une reprise du marché de l’intérim 
 Deuxième signe encourageant : la reprise l’emploi intérimaire en février après de longs mois de dégringolade. Il a augmenté de 2,5% en février alors qu’il a reculé de 8,3% sur un an. Tous les grands secteurs connaissent une hausse : +3,9% dans le tertiaire, +2,6% pour l’industrie et +0,2% pour la construction. C'est un signe encourageant pour deux motifs : 

  • elle indique que les carnets de commande des entreprises se remplissent de nouveau : une entreprise qui reçoit une commande et qui ne peut satisfaire sa demande avec ses effectifs actuels va s’adresser à l’intérim avant de recruter en CDD ou en CDI, surtout dans l’industrie. Et la comparaison de ces statistiques et celles de l’INSEE sur la production industrielle montre que des secteurs qui n’ont pas connu de rebond dans les chiffres de l’INSEE, comme celui de la « fabrication d’équipements électriques, électroniques, informatiques-fabrication de machines », augmentent fortement, ce qui fait penser que l’on verra, dans les mois prochains, leur production progresser,
  • elle suggère ensuite que les activités de service, grosses consommatrices d’intérim observent un redémarrage de leur activité. Le plus significatif est sans doute le résultat du secteur transport et entreposage : ses recrutements d’intérimaires ont augmenté de plus de 10%. Or, ce secteur est particulièrement sensible à la conjoncture : il intervient comme sous-traitant des secteurs industriels. Dès que l’activité de ceux-ci se développe, les besoins en transports et en entreposage augmentent.
On remarquera, cependant, que ces hausses concernent surtout l’industrie et les services aux entreprises. Les services aux particuliers, les activités qui dépendent directement des investissements des ménages sont peu concernés. Le nombre d’intérimaires n’augmente que de 1,5% dans la restauration et l’hôtellerie, de 0,2% dans la construction mais de 8,7% dans le commerce et la réparation d’automobiles et de motocycles, ce qui veut peut-être dire que les Français font vivre plus longtemps leurs véhicules, ce qui n’est pas un bon signe pour l’industrie automobile.

Cela tient pour une part à des pratiques différentes. L’intérim semble plutôt une pratique de l’industrie, le tertiaire pratiquant plutôt des recrutements en CDD ou CDI. Domaine sur lequel on peut trouver des informations avec l’enquête besoin en main d’œuvre (BMO) annuelle de Pôle Emploi et du Crédoc. Cette enquête réalisée chaque année signale une légère, très légère progression du nombre de projets de recrutements. Le nombre d’employeurs envisageant de nouveaux recrutements aurait augmenté, en 2013, de 0,2%. Je dis "augmenté" mais il serait plus juste de parler de stagnation : leur nombre n’a pas diminué. 18% des employeurs, ce qui est peu mais représente tout de même 420 000 entreprises, qui envisageraient de nouveaux recrutements dans l’année dont la moitié en CDI ou en CDD de longue durée (six mois ou plus). L’ensemble représentant 1, 6 millions de projets de recrutement.
Ils ne faudrait surtout pas surinterpréter ces chiffres et leur faire dire autre chose que ce qu’ils disent. La situation de l’emploi reste très difficile, le chômage devrait continuer de progresser, mais le marché du travail n’est pas atone, il continue de fonctionner. Il y a toujours des entreprises qui recrutent, pour remplacer des salariés qui partent à la retraite, qui les quittent pour un motif ou un autre, pour accompagner une amélioration de leur carnet de commande, une réorganisation…

Il faut être d’autant plus prudent, que trois autres séries de données tirées de cette enquête assombrissent un peu plus le tableau :
  • les emplois saisonniers représentent 35% de ces anticipations d’embauche, notamment dans le secteur agricole,
  • les employeurs qui déclarent avoir des projets de recrutement disent, que 40% de ces projets relèvent de ce que l’on appelle des recrutements difficiles. Ce qui veut dire qu’ils ne sont pas certains de trouver les bons candidats et qu’ils risquent, à défaut, d’abandonner leur projet. Ces recrutements sont jugés d’autant plus difficiles que les niveaux de qualification sont plus élevés,
  • les emplois les plus demandés sont dans des activités qui ne demandent que très peu de qualification : agents d’entretien, aides à domicile et aides ménagères, aides, apprentis de cuisine… soit, souvent, dans des activités d’aide à la personne. Les métiers qualifiés les plus demandés sont dans les mêmes secteurs : aides soignants, infirmiers, puéricultrices…
La réduction du déficit structurel
La troisième nouvelle encourageante est d’une nature tout différente. Il s’agit de la réduction du déficit structurel. C’est une notion complexe qui demande quelques explications. On appelle déficit structurel, le déficit tel qu’il apparaît si l’on ne tient pas compte de l’impact de la conjoncture sur l’état des finances publiques. En période de crise, les dépenses sociales, les allocations chômage, pour ne prendre que ce exemple, augmentent et creusent donc le déficit. Si on ne tient pas compte de cet effet réversible, on trouve le déficit structurel. On le devine, c’est une notion un peu floue qui donne aux experts matière à chicane. Reste que c’est une notion politiquement importante. Surtout dans le cadre de l’Europe. L’une des batailles du gouvernement français est d’obtenir de Bruxelles et de ses partenaires qu’ils retiennent dans leur évaluation de ses efforts budgétaires, les progrès réalisés sur ce déficit structurel plutôt que sur le déficit global. Et plusieurs ministres et responsables sont à plusieurs reprises intervenus pour défendre cette notion dans des déclarations publiques plus destinées à nos partenaires européens qu’à l’opinion française.

Le gouvernement se bat d’autant plus que le déficit structurel qui avait beaucoup augmenté de 2006 à 2011, il avait progressé de 1,8 point de PIB, a diminué en 2012 (de 1,2 point de PIB) et qu’il devrait continuer de le faire en 2013 et 2014. Dans une interview publiée dans les Echos, Bernard Cazeneuve, le nouveau ministre du budget, a indiqué qu’il « sera réduit de 1,8 point cette année, et à nouveau de 1 point de PIB en 2014 ». Ce qui permettrait de ramener le déficit structurel à seulement 1% de PIB l'année prochaine.

Cela ne veut pas dire que nous en aurions fini avec ce que certains appellent l’austérité et d’autres, de manière sans doute plus juste, la rigueur puisque l’article 3 du TSCG, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance voté par le Parlement en octobre 2012, prévoit que les Etats ne doivent pas dépasser un déficit structurel de 0,5 % du PIB. Resterait donc à gagner 0,5% du PIB. Mais le plus gros aurait déjà été fait.

Le gouvernement avait le choix entre tailler massivement dans les dépenses publiques et augmenter les impôts. Il a choisi de mettre l’accent sur la seconde solution, d’où aujourd’hui les protestations de tous ceux qui lui reprochent de ne pas avoir réalisé des coupes dans les dépenses publiques. Il a choisi de protéger notre système de protection sociale et notre système administratif pour ne le modifier qu’à la marge. On voit bien que les réductions de dépenses dans la fonction publique vont surtout porter sur ce que François Hollande a appelé le choc de simplification, qui devrait se faire sans destruction d’emplois de fonctionnaires, et sur la réforme de la décentralisation qui devrait, si elle aboutit, ce qui n’est pas gagné, freiner l’explosion des dépenses dans les départements, régions… Dans les deux cas, il s’agit d’une rationalisation de l’existant plus que d’une révolution. C’est un choix politique, choix d’une gauche social-démocrate si l’on veut, qui ne peut tenir que si les augmentations massives d’impôts qui l’ont permis sont bien acceptées, ce que l’on saura dans quelques mois.

La France a de bonnes chances de gagner cette bataille discrète qui se joue dans les bureaux de Bruxelles entre experts. Elle a d’autant plus de chances de la gagner que le gouvernement a choisi de jouer le jeu du sérieux budgétaire. Cette notion de déficit structurel interdit de prendre des mesure punitives dans les périodes de crise, mesures qui ne peuvent qu’aggraver la situation, comme on l’a beaucoup dit à propose de la Grèce et à juste titre, mais elle interdit aussi de tout attendre d’un retour de la croissance. Elle force à la vertu budgétaire puisqu’elle empêche de renvoyer au lendemain les efforts à faire. Ce que demandent les Allemands qui auront réussi, à l’occasion de cette crise, à imposer à leurs partenaires européens leur vision de la croissance. Je ne dirai pas que Bernard Cazeneuve  parle allemand lorsqu’il dit que « nous n'avons aucune chance de retrouver la croissance sans le rétablissement des comptes » mais il s’inspire fortement de la philosophie économique de nos voisins.

Un léger mieux ?
A tout cela, il faut ajouter que la France n’a jamais emprunté dans de si bonnes conditions. Elle emprunte aujourd’hui à 10 ans à des taux inférieurs à 2%. Ce qui est un peu surprenant pour qui suit l'actualité économique.  

De deux choses l’une : ou les marchés, je veux dire les opérateurs qui nous prêtent de l’argent, ont des statistiques économiques différentes de celles dont nous disposons ou ils savent quelque chose que nous ne savons pas.

La deuxième hypothèse est sans doute la meilleure. C’est en tout cas celle que retient Paul Krugman, le prix Nobel d’économie néo-keynésien, qui le signalait récemment dans une de ses chroniques du New-York-Times et l’expliquait de la manière la plus simple mais aussi la plus cynique. La France est le dernier rempart de l’euro. Qu’elle s’effondre et la monnaie européenne s’effondrerait avec elle. La BCE, la banque centrale européenne qui le sait, aurait donc décidé, pour éviter cette catastrophe de soutenir la France, de jouer le rôle de prêteur de dernier ressort. Les créanciers qui le savent peuvent donc nous prêter en toute tranquillité : ils ne risquent rien. Il en conclut, de manière un peu provocatrice, que tout se passe comme si la France avait de nouveau sa propre monnaie, une facilité qui devrait inciter le gouvernement à relâcher la pression, apportant ainsi de l’eau au moulin de ceux qui militent, à la gauche du PS pour une autre politique.

Ces quelques données, celles surtout qui pointent vers un sursaut sont encore trop fragiles pour que l’on puisse parler d’un retournement de tendance. Elles peignent toutefois la situation économique sous un jour moins calamiteux qu’on le dit. Et elles invitent à un optimisme modéré. Nous avons été comme nos voisins durement affectés par la crise, en témoignent les chiffres du chômage qui ne cessent de progresser, mais nous avons été moins touchés que les Espagnols, les Italiens, les Portugais et, surtout, les Grecs. Nous n’avons connu ni baisses des salaires et des pensions, ni remise en cause des prestations sociales et de la gratuité des soins comme tant de nos voisins. Et si tout continue dans ce sens, nous nous en serons plutôt mieux sortis que d’autres.