Les chroniques économiques de Bernard Girard

29.1.13

Actifs immatériels : vers un nouveau capitalisme

Pour écouter cette chronique donnée le 29/01/2013


En 1985, le Centre Pompidou a confié au philosophe Jean-François Lyotard inventeur du concept de postmodernité la réalisation d’une exposition sur les immatériaux qui a, à l’époque, marqué les esprits parce qu’elle mettait en avant toute une série de phénomènes esthétiques immatériels, presque invisibles.

Si je parle, ce matin, de cette exposition d’il y a bientôt trente ans, c’est qu’elle annonçait avec ses outils, l’intuition, l’analyse de l’art, une évolution de fond du capitalisme : l’émergence d’un capitalisme de l’immatériel. C’était d’ailleurs bien dans l’esprit de Jean-François Lyotard qui, loin de la tradition marxiste qui l’avait nourri, il avait été un des animateurs de l’une des revues d’extrême-gauche les plus influentes des années cinquante, Socialisme ou Barbarie, pensait que l’économie n’était pas forcément ce qui décidait de tout. La culture pouvait elle aussi relever de ce que les marxistes appelaient l’infrastructure. Et, de fait, l’observation des ruptures dans le monde de l’art, de l’idéologie qu’il mettait en évidence dans cette exposition annonçait ce qui passe sous nos yeux depuis une quinzaine d’années : l’émergence d’un capitalisme de l’immatériel.

La formule « capitalisme de l’immatériel » pourrait faire penser à la finance, à la financiarisation de l’économie, mais ce n’est pas de cela dont je veux parler ce matin mais de la mondée en puissance dans la valeur, la valorisation des entreprises de ce que l’on appelle leurs actifs immatériels : portefeuille de brevets, marque, réputation…

Le phénomène est relativement récent. Les observateurs en ont vraiment pris conscience à la fin des années 90. Une année a été en la matière clef : 1997. 

1997, l’année où les investissements immatériels ont dépassé les investissements matériels
Pourquoi 1997 ? Parce que c’est l’année où, semble-t-il, les investissements dans les actifs immatériels, les brevets, les marques… ont dépassé ceux dans les actifs matériels. Ces notions sont évidemment un peu abstraites. Ce qu’on appelle actif immatériel, c’est le capital humain, la masse des compétences que possèdent les salariés d’une entreprise, les brevets, les marques, la réputation, tout ce qui constitue ce que les Américains appellent le « goodwill » et que l’on peut mesurer assez simplement en retirant de la valorisation boursière d’une entreprise sa valeur à la casse je veux dire la valeur de ses machines, de ses matériels, des locaux qu’elle possède…

Ce goodwill n’est évidemment pas stable, il peut varier d’un jour à l’autre selon les humeurs de la bourse. Il peut même s’effondrer comme cela s’est produit l’année dernière. Le prix des actions des grandes entreprises du CAC 40 s’est retrouvé, en moyenne et pendant quelques semaines, proche de leur « valeur à la casse. » C’est-à-dire de leur valeur liquidative comptable.

« Le CAC 40, écrivait alors le cabinet de conseil financier Ricol Lasteyrie, ne vaut plus en bourse que le montant de ses fonds propres. Le ratio price-to-book du CAC 40 (valorisation boursière sur fonds propres) est désormais de un. Cet alignement est un phénomène rare, même si la situation est variable selon les secteurs. En effet, la capacité d’une entreprise à réaliser de la croissance ainsi qu’une partie de la richesse immatérielle se reflètent habituellement dans la capitalisation boursière, ce qui n’est pas le cas actuellement. Pour mémoire, la capitalisation boursière représentait plus de deux fois les fonds propres du CAC 40 en 2006 et 2007 avant la crise. » Inutile de dire que cela a suscité quelque affolement chez les responsables de ces entreprises mais aussi des débats assez vifs chez les spécialistes puisque cela remettait en cause la théorie même des marchés boursiers.

Quant à l’affolement des industriels, il était pleinement justifié puisque cette chute des cours permettait à des prédateurs de faire d’excellentes affaires, d’acheter pour presque rien des entreprises dont la réputation, la marque, le portefeuille de brevets pouvaient être importants. Mais laissons cela de coté pour en revenir à l’essentiel : à ce capital immatériel et à ce que son développement signifie pour notre économie.

Capital, vous avez dit capital ?
J’ai utilisé pour décrire ces actifs immatériels le mot capital, mais ce capital n’a évidemment pas grand chose à voir avec ce que l’on entend d’ordinaire par ce mot. Plus que de capital, il s’agit plutôt d’une métaphore du capital, un peu comme lorsque l’on parle de capital humain ou de capital organisationnel. Je dis métaphore parce qu’à l’inverse du capital matériel, il est très difficile de l’évaluer, de lui donner une valeur.

De nombreux organismes tentent régulièrement d’évaluer la valeur d’un portefeuille de brevets, d’une marque, d’une réputation. On dit, par exemple, que la marque Coca-Cola vaut 80 milliards de dollars, que la réputation d’Apple vaut 216 millions de dollars, mais ce ne sont que des estimations, il est en réalité très difficile de valoriser ces actifs immatériels. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont sans valeur. Avoir une bonne réputation ou une marque connue permet de vendre plus cher voire beaucoup plus cher que des concurrents. C’est donc un atout important pour une entreprise. Mais un atout que celle-ci ne contrôle que très imparfaitement.

Les actifs traditionnels, machines, bâtiments, ne se déprécient que lentement et ont des prix de marché stables : acheter un camion d’occasion à une entreprise en bonne santé ou à une entreprise en faillite ne change pas grand chose quant au prix. Il suffit, à l’inverse, de très peu de choses pour que la valeur d’une marque ou d’une réputation s’effondre : une erreur industrielle, un accident, les erreurs d’un sous-traitant…

Autant le dire, les entreprises ont, avec la montée en puissance de ces actifs immatériels, de nouveaux points de fragilité. Leur réussite ne dépend plus seulement de la qualité de leurs produits, de la puissance de leur réseau commercial mais aussi de la perception qu’en ont la société civile, les consommateurs mais aussi les ONG, les médias… toutes puissances que les entreprises ne contrôlent pas directement, ce qui les a amenées à modifier leurs pratiques.

Je ne prendrai qu’un exemple. Tout récemment, il n’y a pas plus de quelques jours, Apple a annoncé qu’il avait rompu tous contacts avec deux de ses fournisseurs asiatiques. Pourquoi ? Parce qu’ils avaient employé dans la fabrication de ses produits une main d’œuvre trop jeune. Ils n’avaient pas violé les lois de leur pays d’origine qui tolère ce type de travail mais, pour se protéger des critiques des ONG, Apple a introduit dans ses contrats des clauses interdisant l’emploi d’une main d’œuvre trop jeune. Il ne suffit plus pour travailler avec Apple, Wallmart, mais aussi beaucoup d’autres entreprises internationales, de fournir des produits de qualité correspondant à un cahier des charges très stricts, mais aussi de respecter un certain nombre de normes sociales. Normes encore trop légères à nos yeux, mais que les ONG ont commencé d’imposer à ces grandes entreprises.

Une nouvelle distribution des contrôles
On dira : ce n’est que peu de choses. Les entreprises peuvent tricher et elles le font d’ailleurs régulièrement. Et on aura raison. Et en même temps, cela change beaucoup de choses. Cela met, d’abord, comme je viens de l’indiquer les entreprises sous le contrôle de la société civile, un contrôle qui n’a pas grand chose à voir avec celui de l’administration ou de l’Etat. A la fois plus diffus, moins rigoureux mais aussi plus bruyant et au spectre plus large.

Cela modifie, ensuite, le rapport de force au sein même des grandes organisations. Et c’est sans doute à terme le plus important.

Depuis une quarantaine d’années, il est entendu dans les milieux économiques et chez les managers que le rôle de l’entreprise est de créer ce que l’on appelle de « la valeur pour l’actionnaire ». C’est une formule qui peut sembler étrange et qui l’est mais elle est devenue familière dans les entreprises cotées. Elle repose sur l’idée, fausse, d’ailleurs, que les actionnaires sont les propriétaires de l’entreprise et qu’à ce titre les directions, les managers n’ont d’autre mission que de satisfaire les attentes des actionnaires. L’argument est simple : ce sont eux qui ont apporté le capital avec lequel l’entreprise fonctionne, ce sont eux qui prennent le plus de risques puisque si l’entreprise fait faillite, ils ne retrouveront que ce qui restera une fois que tous les autres créanciers, l’Etat, la sécurité sociale, les salariés, les fournisseurs, les clients auront été remboursés de leur avances.

Or, avec les actifs immatériels, tout change : ce ne sont pas les actionnaires qui apportent ce capital mais les salariés, le management. Ce sont eux qui développent, produisent les compétences, les services, les innovations qui créent ce goodwill dont nous parlions tout à l’heure. Ce n’est pas grâce à ses actionnaires qu’une entreprise a une bonne réputation, une marque internationalement connue mais grâce au travail, à l’imagination de ses collaborateurs. Leur rôle ne peut donc plus être de créer seulement de la valeur pour l’actionnaire mais aussi et surtout de créer ces actifs immatériels. Leur rôle que la théorie de l’actionnaire propriétaire avait un peu relégué au second plan redevient central : ce sont eux, leur qualité, leur capacité à innover, à définir les bonnes stratégies qui font la différence. 
Cela ne veut pas dire que les actionnaires deviennent inutiles : l’entreprise a toujours besoin des capitaux qu’ils apportent, mais leur rôle ne se limite plus à cela. Je parlais tout à l’heure d’Apple et je vais revenir à cette entreprise phare.

Ceux qui suivent l’actualité boursière ont entendu dire que le cours de son action avait ces derniers jours reculé malgré d’excellents résultats. Paradoxe ? non, les actionnaires ont manifesté leurs inquiétudes quant à l’avenir, ils ont marqué leur défiance. S’ils ont vendu assez de leurs actions pour que son cours recule, c’est qu’ils ne croient pas que l’actuelle direction de l’entreprise saura trouver les relais de croissance, saura, pour dire les choses de façon plus simple, faire ce que Steve Jobs faisait si bien : réinventer tous les trois ou quatre ans un nouveau produit dont le succès assure à l’entreprise une croissance forte.

Dans ce jeu nouveau, les actionnaires deviennent en quelque sorte des vigies qui exercent un contrôle sur la direction d’entreprise, un contrôle parallèle à celui de la société civile.

Un nouveau rôle pour l’Etat
Je n’ai jusqu’à présent parlé que des actionnaires, de la société civile et du management mais il est un autre acteur dont le rôle a commencé de changer dans ce nouveau modèle de capitalisme : l’Etat.
Je disais plus haut que les entreprises se trouvaient dans ce nouveau contexte fragilisées. Et assez naturellement, elles se tournent vers les Etats pour les protéger, ce que ceux-ci peuvent faire de deux manières :
  •          en consolidant, d’abord, les droits de propriété sur les actifs immatériels lorsque ceux-ci peuvent faire l’objet de droits de propriété, c’est ce qui se produit avec les brevets, les marques, les dessins. Ces dernières années, toute une série de mesures ont été prises tant pour lutter contre les contrefaçons que pour protéger partout dans le monde la propriété intellectuelle des entreprises,
  •          en rendant plus difficile l’action de contrôle de la société civile, ce qui peut se faire devant les tribunaux en attaquant les critiques pour diffamation. Le dénigrement d’un concurrent est assimilé à de la concurrence déloyale et régulièrement poursuivi. On sait, par ailleurs, que les entreprises n’hésitent pas à poursuivre les salariés qui les critiquent sur les réseaux sociaux. Il y a quelques semaines, Quick a entamé une action en justice contre un de ses salariés qui avait entrepris de décrire son quotidien sur Twitter et sur un blog. Il est vrai que ses commentaires n’étaient pas très élogieux. Témoin celui-ci : « "Au niveau de l’hygiène, ce n’est vraiment pas ça. Cette semaine par exemple, des emballages de fish sont tombés par terre. Je les ai du coup jetés mais je me suis fait engueuler car on aurait trop de pertes ! […] En plus du manque d’hygiène, ce sont des pressions constantes, surtout sur les pertes, du harcèlement moral, un sous-effectif de salariés et le code du travail qui n’est pas respecté." Mais est-il donc interdit de parler de son quotidien au travail ? cela donnera aux avocats l’occasion de belles discussions.

Se défaire d’une illusion…
Je voudrais conclure cette chronique consacrée à cette évolution majeure de notre capitalisme, évolution que l’on ne saisit pas encore parfaitement dans toutes ces conséquences, d’un mot sur une illusion que l’on pourrait avoir : celui qui nous ferait croire à une nouvelle division du travail avec, d’un coté, les pays du Nord, l’Europe, les Etats-Unis qui se spécialiseraient dans la production de ces actifs immatériels et de l’autre, les pays du Sud, la Chine, le Brésil, l’Inde qui se spécialiseraient dans la fabrication des produits inventés en Occident. C’est une illusion qu’une lecture rapide des principes ricardiens du commerce international, chacun se spécialise dans ce qu’il sait le mieux faire, pourrait favoriser, mais ce n’est pas ainsi que cela se passera, ce n’est pas ainsi que cela se passe d’ores et déjà. Tout simplement parce qu’on retrouve ces actifs immatériels à peu près partout. Les entreprises chinoises qui fabriquent à bon marché des produits que conçoivent les bureaux de recherche de nos entreprises développent des compétences que nous n’avons pas en matière de gestion de la production, de logistique… compétences dont nous avons besoin.

Bien loin d’aller vers une division du travail qui mettrait l’intelligence d’un coté, et les bras de l’autre, nous allons vers une intégration de plus en plus poussée des opérations de production. Le capitalisme des immatériels concerne tout le monde, mais j’aurai l’occasion d’y revenir dans de prochaines chroniques. 

23.1.13

Pourquoi tant de défiance?


Chronique du 22/01/2013
pour l'écouter

Le CEVIPOF, centre de recherche de Sciences PO, vient de publier la dernière édition de son baromètre sur la confiance.

Le CEVIPOF est un centre surtout spécialisé dans les questions politiques et c’est là-dessus que cette enquête comme les précédentes met l’accent, mais les économistes savent depuis longtemps que la confiance est un lubrifiant indispensable aux échanges. Kenneth Arrow parlait d’institution invisible du marché et, plus près de nous, Yann Algan et Pierre Cahuc, deux économistes reconnus, ont rencontré un certain succès en publiant un petit livre dans lequel ils montraient que nos difficultés économiques chroniques sont, pour beaucoup, liées à la défiance qui nourrit nos relations sociales. « La France, écrivaient-ils alors, est engagée dans un cercle vicieux dont les coûts économiques et sociaux sont considérables. Depuis plus de vingt ans, des enquêtes menées dans tous les pays développés révèlent qu’ici plus qu’ailleurs, on se méfie de ses concitoyens, des pouvoirs publics et du marché. Cette défiance allant de pair avec un incivisme plus fréquent… » Ils avaient cherché, de manière un peu acrobatique, l’origine de cette société de méfiance dans notre modèle social. J’ai, à la sortie de ce livre assez vivement critiqué, leur méthode (La société de défiance), mais sur le fond, je partageais leur opinion qu’il y a un lien entre confiance et performances économiques. Ce qui rend d’autant plus intéressant ce sondage approfondi que vient de réaliser et publier le CEVIPOF et qui trace un portrait de la société française qui hésite encore, qui ne sait vraiment sur quel pied danser.

Une profonde méfiance
Premier enseignement de ce sondage : les Français n’ont pas le moral. Quand on leur demande quel est leur état d’esprit actuel, 32% répondent la méfiance, 31%, la morosité, 29% la lassitude. 
Morosité et lassitude peuvent être liés à la situation économique, à se sentiment de tunnel qui n’en finit, dont on ne voit pas le bout que donnent les indices économiques, les annonces de licenciement et les commentaires des observateurs. Mais cela peut changer rapidement. La méfiance paraît plus profondément enracinée. Pour 73% des Français, on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres. Seuls 26% pensent que l’on peut faire confiance à la plupart des gens. Ce qui est peu, d’autant que les mêmes qui se font si méfiants reconnaissent, à hauteur de 61%, que la plupart des gens font leur possible pour se conduire correctement. Ce qui devrait plutôt inciter à la confiance, mais ce n’est pas le cas.

Les Français ne font vraiment confiance qu’aux gens qu’ils connaissent bien. On a le sentiment que plus l’on connaît les gens depuis longtemps, plus les contacts sont fréquents et plus la confiance s’installe. 95% des Français font confiance à leur famille, 44% seulement aux gens qu’ils rencontrent pour la première fois. On se méfie de l’inconnu et, bien sûr, de l’étranger.

On dira que c’est bien normal, que c’est dans la nature des choses. Ce qui serait à vérifier. Après tout, et pour parler comme les économistes, la méfiance accroit les coûts de transaction, ralentit les échanges.
Mais il n’y a pas que les relations personnelles. On observe le même phénomène pour les institutions : plus elles sont proches, plus on leur fait confiance. On fait plus confiance au conseil municipal qu’au conseil régional, à celui-ci qu’à l’Union Européenne ou au gouvernement. Plus l’institution est éloignée plus on s’en méfie.

On peut interpréter ces chiffres de plusieurs manières. On peut trouver tout cela naturel et logique. On peut également y voir un effet de ce qu’on appelle parfois la lepénisation des esprits. On pense, en effet, à la formule de Jean-Marie Le Pen : « Je préfère mes filles à mes nièces, mes nièces à mes cousines, mes cousines à mes voisines… ». Lepénisation que l’on retrouve ailleurs dans ce sondage, notamment à propos de la peine de mort.

Si l’on examine les choses d’un point de vue économique, on doit en tout cas s’inquiéter. Ce goût de la proximité, je devrais plutôt dire, cette recherche de la sécurité dans la proximité est d’un point de vue social la stratégie la plus inefficace. Des sociologues, spécialistes de l’analyse des réseaux, ont montré que l’on avait plus de chance de trouver du travail si l’on mobilisait ce que Granovetter appelait des liens faibles, des gens que l’on ne connaît pas vraiment, des amis d’amis d’amis que si l’on se contente de solliciter ceux avec lesquels on entretient des liens forts : amis, famille, proche. Ce qui est assez logique : ces amis d’amis d’amis ont accès à des réseaux, à des sources d’informations infiniment plus variées que nos amis directs ou, plutôt, ils ont accès à des réseaux et sources d’information auxquels nous n’avons pas accès alors que nous partageons en général les réseaux et sources d’information de nos proches.

Cette méfiance que révèle ce sondage suggère que les Français se referment sur eux-mêmes et ratent, donc, des occasions de trouver un travail, de monter des affaires qui sont à leur portée mais qui exigeraient qu’ils s’ouvrent un peu plus aux autres.

Cette méfiance présente d’autres inconvénients :
  •         elle fait rater des opportunités : plutôt que d’aller de l’avant, on multiplie les précautions même lorsque les risques sont faibles, voire inexistants. On critique souvent la rigidité des règles administratives en matière de création d’entreprise, d’emploi, mais on devrait regarder du coté des règles que chacun crée pour se protéger, pour protéger l’accès à son ordinateur, éviter que l’on vienne voler des informations qui n’ont en réalité rien de confidentiel. La rigidité, la complexité se nourrissent de cette méfiance de tous les jours ;
  •         elle conduit à l’homogénéité, on se réunit entre proches sans voir que cela limite le champ de nos expériences collectives et que cela réduit nos expériences et donc la connaissance de notre environnement.

 Méfiance et mauvaise image de soi
Cette méfiance à l’égard des autres contribue, si l’on en croit les résultats de ce sondage, à une dégradation de l’image de soi. A peu près la moitié des Français sont satisfaits de leur vie, elle correspond, grosso-modo, à leurs attentes, mais seule une minorité (de l’ordre de 45%) a une image positive de soi-même et 18%, ce qui n’est pas rien, a parfois le sentiment d’être un raté. Cela va naturellement avec un pessimisme ambiant : seuls 35% des Français sont optimistes lorsqu’ils pensent à leur avenir.

Là encore, ces résultats peuvent inquiéter. Une mauvaise image de soi n’invite évidemment pas à prendre des initatives, à faire preuve d’audace. S’il faut être convaincu de sa bonne étoile pour se lancer dans des opérations un peu risquées, le pessimisme et le doute n’incitent pas à se lancer dans l’innovation et la création d’entreprise.

On peut naturellement se demander pourquoi tant de Français ont une image aussi négative d’eux-mêmes. Le regard sur la carrière professionnelle est probablement pour beaucoup mais tout le monde n’a pas de carrière brisée, remplie de trous, de périodes de chômage, de CDD à répétition.  
Pour certains, c’est sans doute lié au sentiment de déclassement : on n’a pas le statut auquel on pensait pouvoir prétendre. C’est sans doute le cas de beaucoup de fonctionnaires, d’enseignants, de cadres moyens qui se retrouvent, alors qu’ils ont fait des études longues et complexes, noyés dans la masse.
Pour d’autres, ce peut être lié à un sentiment d’être encalminé, de faire du sur place, d’être comme ces voiliers perdus au milieu de l’océan lorsque le vent est tombé. 

Ce dernier sentiment paraît largement partagé si l’on en juge par les réponses aux questions de ce sondage qui portent sur le monde professionnel. D’un coté, les Français semblent satisfaits de l’autonomie qui leur est donnée dans le travail, des responsabilités qui leur sont confiées et du sens qu’ils lui trouvent, ils ne travaillent pas pour rien, de l’autre, ils doutent de recevoir une promotion dans le futur proche. Leur parcours social semble figé.

Ce n’est pas la première enquête qui révèle ce sentiment qui peut prendre plusieurs formes : crainte de ne pas faire aussi bien que ses parents, inquiétude quant à ses revenus futurs, mais la répétition de ces résultats intrigue. D’autant que ce sentiment paraît relativement nouveau puisque depuis la révolution française, la société était animée par une espèce de mouvement de promotion sociale que l’on trouve aussi bien dans la litétrature, on pense aux jeunes ambitieux des romans de Balzac, à Rastignac, que dans l’expérience, moins flamboyante mais plus largement partagée, des générations qui ont quitté le temps long, immobile de la vie rurale pour celui plus agité de la vie urbaine.

S’agit-il d’un phénomène passager ou d’une modification de notre perception du temps ? on a le sentiment de vivre dans une société de l’accélération comme l’écrit le sociologue allemand Hartmut Rosa, mais on peut se demander si cette accélération permanente ne cache pas, en réalité, une société qui se fige lentement.

La perception ambiguë de l’entreprise
Autres résultats intéressants de cette enquête : ceux qui concernent le monde de l’entreprise qui n’est pas la mal aimée de la société française que décrit parfois le Medef, mais qui n’échappe pas, non plus, à la critique.

On l’a deviné, les entreprises n’échappent pas à a défiance généralisée : seuls 42% des Français ont confiance dans les grandes entreprises privées, moins que dans la justice, la police, les grandes entreprises publiques, l’armée, l’école et les hôpitaux. Mieux cependant que les syndicats (35%), les banques (25%), les médias (23%) et les partis politiques (12%). Et, cependant, malgré cette défiance, 53% des Français pensent qu’il faudrait leur donner plus de liberté.

Contradiction ? Sans doute, mais peut-être faut-il faire la part du paysage politique. En octobre 2011, 58% des Français pensaient que l’Etat devrait contrôler et réglementer plus étroitement les entreprises. Tout se passe comme si les Français n’avaient pas sur le sujet d’opinion bien tranchée : ils réagissent à l’actualité, veulent plus de contrôle lorsque les entreprises font la une à l’occasion de scandales, et plus de liberté lorsqu’à l’inverse, les politiques montent au créneau.

Reste cette défiance qu’un autre élément du sondage, assez étonnant, révèle. Les auteurs de l’enquête ont demandé aux Français ou, plutôt, aux 1509 personnes représentatives de la population française de plus de 18 ans, qu’ils ont interrogées sur internet, quels étaient à leurs yeux les moyens d’expression des citoyens les plus efficaces.

Le vote arrive largement en tête avec 65% des citations, ce qui n’est pas très étonnant, mais il est immédiatement suivi du boycott des entreprises et des produits (38%) loin devant les manifestations dans la rue (32%), la grève (21%) ou le militantisme dans un parti politique (9%).

Le boycott plus fort que les manifestations de rue ou que les grèves ! Pourquoi ? sinon parce que l’on veut pouvoir contrôler soi-même ce que l’on achète, ce que l’on mange : on ne fait plus confiance aux entreprises, alors même que jamais nous n’avons eu des produits aussi contrôlés. Mais il n’y a pas que cela.

L’acte d’achat, l’un de ceux que nous pratiquons le plus fréquemment, est dorénavant perçu comme un moyen d’afficher une opinion, ce que la publicité ne manque pas de nous rappeler chaque fois qu’elle nous parle des valeurs que l’on ne partage pas autour d’un pot de rillette. C’est exprimer une opinion, c’est agir, agir individuellement et de manière très ciblée, mais c’est aussi le faire sans gêner ses voisins : boycotter un produit ne bloque pas toute une société comme peut faire une grève ou toute une ville comme peut faire une manifestation. Cela ne gêne personne sinon celui que l’on vise directement.
Cette préférence pour le boycott est d’autant plus surprenante que rares sont les organisations qui y font appel en France. Il entre sans doute beaucoup d’illusion dans cette préférence, il est rare que des boycotts modifient les comportements des entreprises, mais elle illustre bien cette synthèse que la société française semble faire entre la volonté de contrôler sa vie, le sentiment qu’a la majorité d’avoir un contrôle sur sa vie (63%) et la défiance à l’égard des institutions de toutes sortes. Le boycott est la réponse de celui qui se méfie des institutions mais a cependant le sentiment de contrôler sa vie, d’être libre.

Une France déprimée ou une France dont les valeurs changent ?
On peut, à la lecture de cette enquête, s’interroger. Dessine-t-elle le portrait d’une France qui déprime et se replie sur elle-même, qui cherche refuge dans la proximité, dans la chaleur du foyer familial, comme on pourrait être tenté de le voir à première lecture ? ou, nous propose-t-elle, une France en mutation, dont les valeurs sont en pleine évolution ? qui ne croit plus aux grands récits collectifs, qui a pris acte de la fin du progrès, ce que d’autres ont appelé la fin de l’histoire ? qui n’est pas mécontente de son sort, de son travail mais qui n’y voit plus un instrument de promotion dans une société qui se fige lentement ? Une France qui aime donner son opinion, qui se sent libre et ne veut pas manquer une occasion d’exercer cette liberté, mais dans des espaces privés, le vote, la consommation ?

Une France complexe, contradictoire, qui hésite, à cheval sur le monde d’hier et sur celui de demain…


8.1.13

Un air de printemps ?





L’essentiel de la presse économique, des observateurs et la plupart des économistes sont extrêmement pessimistes pour les mois qui viennent. Le chômage va continuer de progresser, la France va s’enfoncer dans la récession ou, au mieux, dans une croissance atone. Ils n’ont sans doute pas complètement tort : le chômage va certainement continuer de progresser, mais cette progression ne sera pas forcément synonyme de récession et de dégradation de l’activité. Il me semble même que l’on peut, d’ores et déjà, identifier plusieurs signes encourageants, signes qui me font penser que 2013 pourrait bien être de l’année de la reprise.

Lorsque l’on se lance dans ce genre d’analyse, il convient d’être prudent, mais quatre facteurs invitent à un certain optimisme : la reprise de l’activité hors de nos frontières, la bonne tenue de la consommation, les financements de l’investissement des entreprises et, enfin, la volonté de ces mêmes entreprises de s’adapter, d’adapter leurs produits au monde nouveau qui se dessine sous nos yeux, monde que nous n’attendrons pas sans beaucoup de casse, je veux dire sans doute de fermeture d’usines qui ont cessé d’être compétitives ou qui s’appuient sur des modèles économiques aujourd’hui dépassés. Le cas de Virgin est de ce point de vue exemplaire : si cette enseigne ferme, c’est que nous n’achetons tout simplement plus de disques… Mais entrons dans le détail.

La reprise des exportations
L’un des premiers signes annonciateurs de ce printemps dont je parle est la reprise de l’activité un peu partout dans le monde, en Inde, en Chine, aux  Etats-Unis, annonciatrice de progression de nos exportations. Ces pays ne sont pas nos premiers clients, mais la reprise de l’activité chez eux devrait avoir un double effet, direct sur nos exportations chez eux et indirect, par les biais des exportations de nos partenaires européens, de l’Allemagne, bien sûr, mais aussi des pays de la zone euro qui sont en train de sortir du précipice et qui allant mieux pourront augmenter l’importation de produits fabriqués chez nous. 

Je ne suis pas certain que l’on puisse en conclure que notre reprise sera tirée par les exportations, mais lorsque l’on regarde les données du commerce extérieur, on découvre que nos exportations ont augmenté en 2012 en valeur de 11% sur 2009, période de récession, et de 3% sur 2011. La reprise de l’activité ailleurs dans le monde annonce de nouvelles progressions.

Les plus pessimistes pensent que nous ne profiterons pas de ces reprises à l’étranger. Leur argument repose pour l’essentiel sur les « rigidités » de notre économie, sur la fiscalité, les 35 heures… qui nous interdiraient d’être compétitifs. Mais peut-être faut-il regarder de plus près ce qui se passe dans ces pays.
Pour en finir avec le ralentissement de sa croissance, la Chine a choisi de relancer la demande intérieure. Nous devrions en profiter. Les nouvelles classes chinoises fortunées sont avides de produits occidentaux, notamment de produits de luxe, un domaine dans lequel nous occupons des positions de leader. Mais il n’y a bien sûr pas que le luxe. On peut parier que beaucoup de producteurs de produits de consommation courante, européens, italiens, français profiteront de cette relance de la demande intérieure.

L’Inde présente un cas différent mais tout aussi intéressant : pour lutter contre le recul de sa croissance, ce pays a choisi de libéraliser un peu plus son économie, ce qui va donner à des sociétés européennes et notamment françaises la possibilité de s’installer et de vendre leurs produits dans de meilleures conditions. Carrefour est déjà sur les rangs et bien d’autres devraient suivre.
Au delà de la reprise, il y a donc dans ces pays une transformation profonde des politiques économiques qui devraient profiter à nos exportateurs.

La consommation
C’est l’inquiétude de tous les économistes et politiques : la consommation tiendra-t-elle ? Ceux qui en doutent font valoir la hausse du chômage et celle des impôts qui réduisent la capacité à consommer des Français. Reste à savoir, les facteurs positifs ne l’emporteront pas sur ces facteurs négatifs bien réels.
J’en vois trois : le recul de l’inflation, le taux d’épargne élevé des Français et la période de calme politique dans lequel nous sommes entrés.

L’inflation déjà basse tout au long de 2012 a encore baissé à la fin de l’année, pour atteindre 1,4%. C’est du à la baisse des prix de l’énergie, du pétrole mais aussi aux mesures prises par Free et, de manière plus générale, par tous les distributeurs qui ont cherché à baisser leurs prix pour attirer des clients.

Une inflation plus faible est naturellement favorable à la consommation, mais il n’y a pas que cela. Deux autres éléments devraient jouer en faveur de la consommation : l’épargne élevée des Français, à peu près 15% de leur revenu disponible, et la baisse des taux d’intérêt.

Lorsque l’on dispose d’une épargne représentant 15% de son revenu disponible, il y a de quoi gratter pour financer la consommation. Et s’il est vrai que le fait d’avoir un bas de laine ne conduit pas nécessairement à le dépenser, la crainte du chômage peut, au contraire, amener à le protéger précieusement, deux facteurs devraient jouer dans le sens de la consommation :
  •             le premier est la visibilité que nous avons sur les deux ou trois années à venir. Les années précédentes, on était dans l’incertitude quant à ce qui pouvait se produire : allions-nous vers la poursuite de la politique menée par Nicolas Sarkozy ou vers cette autre politique prônée par François Hollande ? Cette incertitude est levée. On nous avait promis des impôts nouveaux, ils sont là et ne bougeront dans les deux ou trois ans qui viennent. Ces impôts pourraient naturellement affecter la consommation, ils ne le feront pas parce qu’ils ne toucheront que marginalement les classes moyennes et affecteront surtout les classes les plus aisées qui ne réduiront pas d’autant leur consommation ;
  •            le second est la baisse annoncée et plus que probable de l’immobilier. Plus que probable parce que le marché s’est quasiment arrêté et qu’il ne pourra redémarrer que si les prix baissent mais aussi parce que le gouvernement a pris conscience des effets négatifs d’un coût de l’immobilier trop élevé : qui dit loyers ou remboursements de prêts trop élevés dit pression sur les salaires et réduction de la consommation sur d’autres produits. On devrait voir, dés 2013, baisser les prix de l’immobilier un peu partout en France, y compris à Paris, et ses premiers effets bénéfiques sur l’économie.

L’investissement  
A tout cela, les plus pessimistes peuvent opposer les défaillances d’entreprises toujours plus nombreuses et les difficultés que rencontrent les entreprises pour se financer. L’argument est solide mais il convient d’être regardé à la loupe.

Les défaillances d’entreprise participent de ce que Schumpeter appelait un processus de destruction créatrice : les entreprises qui disparaissent sont souvent condamnées, leurs produits ont vieilli, leur organisation est dépassée… L’impact social de ces défaillances est très lourd puisque ces entreprises sont installées un peu partout sur le territoire, mais leur dispersion même explique une bonne partie de leurs difficultés. Dans les années soixante et soixante-dix toutes les municipalités, petites ou grandes, on offert aux entreprises qui voulaient s’installer chez elle des facilités, terrain offert, taxes réduites… cela a effectivement attiré des entreprises, créé des emplois localement mais cela a aussi durablement affaibli l’industrie française ou, plutôt, la capacité de ces entreprises dispersées sur le territoire à grossir, à se développer et, aujourd’hui, à résister à la concurrence internationale. On ne trouve pas dans les villes de 10 000 ou 15 000 habitants dans lesquels se sont installées ces entreprises les services dont elles ont besoin pour se développer, on n’y trouve pas non plus les compétences nécessaires en marketing, en informatique, en gestion de la production… Nous ne payons pas seulement la crise, nous payons également une politique d’aménagement du territoire qui ne s’est pas souciée de créer un environnement favorable au développement des entreprises de taille moyenne. Ce qu’on appelle désindustrialisation est aussi la déconstruction de ces politiques d’aménagement du territoire initiées dans les années soixante et soixante-dix.

On me dira qu’il n’y a pas que cela, qu’il y a aussi le comportement des banquiers qui refusent d’accorder du crédit aux entreprises qui en ont besoin pour se développer. Sans doute, Mais là encore, il convient d’entrer dans le détail. Les crédits aux entreprises se sont contractés mais cette contraction a surtout concerné les grands groupes qui peuvent se financer ailleurs qu’auprès des banques : en émettant des obligations, en allant sur le marché… Le crédit aux PME n’a pas diminué. Ce qui ne veut pas dire que leurs dirigeants ne se plaignent pas. Ils le font avec vigueur et dénoncent volontiers les banques. Paradoxe ? Pas vraiment.

Il faut distinguer entre deux types de crédit : le crédit à l’investissement qu’une banque accorde à une entreprise qui souhaite développer une nouvelle activité, acheter une nouvelle machine pour produire mieux et plus vite et le crédit de trésorerie qui permet de payer les salariés à la fin du mois lorsque l’on n’a pas eu de recettes suffisantes.

Les banques n’ont pas arrêté le crédit à l’investissement, ce qui est important parce que ce type de crédit prépare l’avenir. Elles ont bloqué, ce qui est tout autre chose, le crédit à la trésorerie, ce qui veut dire qu’elles ont rendu plus difficile la vie de ceux qui avaient du mal à payer leurs créances. Ce faisant, elles ont accéléré les dépôts de bilan, cessation de paiement et autres situations critiques. Elles ont, au fond, procédé à un grand nettoyage et comme chaque fois que l’on fait un grand nettoyage on jette parfois le bébé avec l’eau du bain. Cela doit être corrigé et pourrait l’être par l’intervention du médiateur du crédit aux entreprises mais aussi par l’allégement des règles du secteur bancaire qui pourraient l’inciter à faire preuve de plus de souplesse. Reste, et c’est l’essentiel, que dés que dés lespremiers signes de reprise, les entreprises qui le voudont pourront trouver de quoi financer leur expansion.
J’ajouterai sur ce sujet, un dernier élément. La crise de l’euro s’est traduite par une baise très significative des investissements des entreprises américaines en Europe. Le Financial Times indiquait il y a quelques jours que 25% des entreprises américaines, des grandes entreprises s’entend, avaient augmenté leurs investissements en Asie et 3% leurs investissements en Europe. Maintenant que la crise de l’euro est terminée cette « bouderie » des grandes entreprises internationales devrait cesser et l’on devrait de nouveau voir de grandes entreprises américaines venir investir chez nous.

L’adaptation à un monde nouveau
Si les banques ont maintenu le niveau de leurs crédits à l’investissements, elles n’en ont pas moins fait preuve de plus d’exigences, exigences auxquelles les entreprises semblent avoir répondu. Bien loin de s’enfermer dans des organisations dépassées, elles ont tenté de s’adapter à la situation. Il est assez difficile de décrire ce mouvement de l’extérieur puisque cela dépend des entreprises, des secteurs, des métiers, mais il est un point sur lequel on peut deviner tout ce travail le plus souvent souterrain : celui de la propriété industrielle. Les entreprises, les grandes, bien sûr, mais aussi les petites, les moyennes, ont continué de déposer des brevets, elles en ont même plus déposés que les années précédentes. Or, ces dépôts de brevets ont une double intérêt : ils montrent, d’abord, que les entreprises n’ont pas cessé d’investir dans le développement de nouveaux produits, ils montrent aussi, et ce n’est sans doute pas le moins intéressant, qu’elles souhaitent se protéger et qu’elles sont disposées à investir dans cette protection. Elles souhaitent se protéger de la concurrence nationale mais aussi, et surtout, de la concurrence internationale.

Ces PME qui déposent des brevets sont souvent jeunes et très bien équipées en technologies de l’information, informatique, bureautique, internet… Le tissu industriel français se reconstitue lentement sous nos yeux avec des entreprises qui ont une vision beaucoup plus internationale que leurs prédécesseurs. Et on peut penser que la crise a accéléré ce mouvement.

Et les mesures du gouvernement ?
On aura remarqué que je n’ai jusqu’à présent rien dit, ou à peu près, des mesures prises par le gouvernement en matière notamment de lutte contre le chômage. Nous les connaissons tous et je ne m’étendrai pas longtemps sinon pour dire qu’elles ne seront pas sans effets sur l’emploi des jeunes peu qualifiés et des seniors même si l’on peut craindre qu’elles ne soient pas aussi efficaces que le souhaitent leurs promoteurs.

Permettront-elles, comme l’a promis François Hollande, d’inverser la courbe du chômage d’ici à la fin de l’année ? Bien malin qui peut le dire. Mais on peut imaginer un scénario rose où, conjuguées avec ces signes de reprise que j’ai décrits, elles contribuent à enrayer la chute de l’emploi. Est-il le plus probable ? ce n’est pas certain. Tout bêtement parce que nous sommes, comme je l’ai dit à une ou deux reprises dans un processus de destruction créatrice qui va toucher des secteurs entiers de l’activité, des régions, des villes et que les entreprises nouvelles susceptibles de créer les emplois de demain ont peu de chance de se trouver là où sont les emplois menacés aujourd’hui.