Les chroniques économiques de Bernard Girard

31.1.12

Industrie : l'exemple chinois




Apple et les ouvriers chinois
Steve Jobs est mort il y a tout juste quatre mois entouré de l’admiration générale. Le cours d’Apple, l’entreprise qu’il a fondée, a depuis sa mort, explosé, passant de 410€ à  450$, ses bénéfices n’ont jamais été aussi élevés, 13 milliards de $ pour le seul quatrième trimestre de 20011, soit deux fois plus que pour la même période de 2010, et ses réserves de trésorerie sont considérables. Inutile de donner un chiffre qui à ces niveaux ne veut plus dire grand chose. Il suffit pour donner leur mesure d’indiquer qu’elles sont plus importantes que celles du gouvernement américain. Apple a plus de liquidités que le gouvernement de la plus grande puissance mondiale. Tout cela grâce à ces iphones, ipods et ipads, tout cela grâce à nous en somme.

Tout devrait donc aller pour le mieux à Cupertino, au siège social d’Apple et tout irait effectivement pour le mieux si quelques journalistes du New-York-Times n’étaient allés enquêter sur les conditions de travail des ouvriers chinois qui fabriquent ses produits. Car, bien sur, tout est fabriqué en Asie, en Chine. Et le résultat de leur enquête jette une ombre très vilaine sur l’entreprise préférée de tous les amateurs de technologie.

On savait depuis longtemps que les conditions de travail sont dans les usines chinoises particulièrement pénibles, mais cette enquête en donne de nouvelles illustrations. Ouvriers qui travaillent de très longues heures, que l’on réveille en pleine nuit pour satisfaire les exigences du client, qui opèrent dans des milieux dangereux… On est plus du coté du servage que des relations industrielles acceptées dans les pays démocratiques.

Véritable réquisitoire, cette série d’articles met en évidence la responsabilité d’Apple alors même que ses responsables disent tout faire pour assurer des conditions de travail satisfaisantes aux ouvriers de ses sous-traitants (voir, notamment, ici). Et il est vrai qu’il fait signer des chartes et envoie des inspecteurs mais ses exigences sont si grandes que les entreprises sont amenées à « tourner les coins ronds » pour les satisfaire.
Mais tout cela est déjà connu et j’ai évoqué ici même, il y a deux ans, la répression brutale de manifestations d’ouvriers de Wintec, un des sous-traitants chinois d’Apple et de Nokia dont on ne payait pas les heures supplémentaires. Et si je vous parle ce matin de cette enquête, c’est qu’elle nous donne, au delà de ces informations sur les conditions de travail, un éclairage très intéressant sur les méthodes de l’industrie chinoise et sur ce qui fait aujourd’hui son succès. Méthodes qu’il est intéressant de connaître alors que l’on s’interroge sur le meilleur moyen de réindustrialiser la France.

Au delà des salaires
Lorsque l’on parle de la concurrence des pays émergents et, notamment, de la Chine, on pense au coût du travail et on explique leur succès par ce seul avantage. Il existe, naturellement, mais il n’y a pas que lui. Le premier article de cette série donne un exemple éclairant de ces autres avantages. En 2007, à quelques mois de la sortie de l’iphone, Steve Jobs découvre que le revêtement de plexiglass prévu par les ingénieurs d’Apple pour l’écran se raie facilement. Il demande qu’on le remplace par du verre, ce qui est techniquement compliqué. Apple lance un appel d’offre. Une entreprise chinoise répond. Lorsque les ingénieurs du constructeur informatique se rendent sur place, l’entreprise a déjà acheté du verre pour faire des essais de coupe et mis à la disposition de son client potentiel des ingénieurs pour faire presque gratuitement les essais. Un mois plus tard, la solution est trouvée, la production peut commencer, mais les milliers de salariés nécessaires pour  la réaliser ont été recrutés, les dortoirs dans lequel ils vont dormir construits. Incapable de tenir ce rythme l’entreprise américaine qui avait été initialement retenue a perdu le marché.

Première caractéristique donc de l’industrie chinoise : son aptitude à anticiper les demandes et à faire gagner à son client quelques semaines, voire quelques mois. C’est au moins aussi important pour Apple qui avait mis en place toute sa politique commerciale que des salaires faibles. Et cela n’est possible que parce que ces entreprises, qui veulent avoir le marché d’Apple, sont disposées à investir massivement pour l’obtenir.

Seconde caractéristique : sa capacité à lancer rapidement des productions de masse. Le marché des produits électroniques grand public est mondial. Dès la première année de la commercialisation de son Iphone, Apple en a vendu près d’1,4 millions, l’année suivante, il en a vendu plus de 11 millions et 40 millions en 2010. Les démarrages des produits qui ont du succès sont foudroyants. Et ils ne sont possibles que parce que les industriels chargés de les fabriquer peuvent  quasi instantanément ou, du moins, très rapidement, mobiliser des capacités de production considérables. Et ceci grâce aux conditions de travail de ses salariés, serviables et corvéables à merci, mais aussi grâce à un marché du travail très profond qui lui permet de recruter rapidement , lorsque nécessaire, des milliers d’ouvriers, de techniciens ou d’ingénieurs et de les mettre immédiatement au travail.

Lorsque l’on demande aux responsables d’Apple pourquoi ils ne fabriquent plus leurs produits aux Etats-Unis, ils répondent, toujours d’après l’article du New-York-Times : « parce qu’il n’y a tout simplement plus assez d’ouvriers avec les compétences nécessaires aux Etats-Unis, plus assez d’usines avec la réactivité et la flexibilité nécessaire. »

Les vertus de l’agglomération
L’article met en avant un autre aspect capital qui explique le succès de l’industrie chinoise : les vertus de l’agglomération. Car, faut-il le rappeler ? les salaires chinois sont depuis longtemps très faibles et ce n’est que depuis quelques années que ce pays est devenu l’usine du monde.

L’entreprise américaine qui avait perdu l’appel d’offres d’Apple sur l’écran de verre, Corning Glass, n’a pas abandonné la partie. Bien au contraire, elle a continué de proposer son offre aux concurrents d’Apple, la plupart installés en Asie. Et elle a construit des usines dans cette partie du monde. L’article donne deux chiffres qui expliquent : pour transporter les écrans de l’usine qui les fabrique en Chine à celles qui montent l’iphone, il faut 8 heures de transport. Pour les transporter des Etats-Unis en bateau, il aurait fallu 35 jours. Avec l’avion cela aurait été plus rapide, mais à des coûts extravagants. 

La puissance industrielle de la Chine tient à sa géographie industrielle. Plutôt que de disperser ses activités industrielles sur tout le territoire elle a su créer des agglomérations industrielles qui mettent au service de ses clients tout ce dont ils ont besoin. Un des responsables d’Apple interrogé par les journalistes du NYT l’explique ainsi : « toute la chaine de production est aujourd’hui en Chine. Vous avez besoin de joints en caoutchouc ? Vous les trouverez dans l’usine à coté ? Vous avez besoin d’un millions de vis ? L’usine est en face. Vous avez besoin d’un tournevis un peu différent ? cela prendra trois heures pour le trouver. »
Ce n’est pas une nouveauté. En 2009, Paul Krugman, économiste célèbre qui se trouve être aussi un spécialiste de la géographie économique, publiait un article (Increasing Returns in a Comparative Advantage World) dans lequel il mettait en évidence le rôle de ces effets d’agglomération.
Cet effet d’agglomération tient à la géographie, on trouve tout à proximité, ce qui réduit les coûts logistiques, mais aussi à la structure de l’économie chinoise. A l’inverse de la notre, dominée par quelques grands groupes, elle comprend des milliers d’entreprises spécialisées sur un créneau étroit, les vis par exemple, qui sont en concurrence, qui sont à proximité et qui offrent donc à l’industriel à la recherche d’un produit particulier toutes chances de trouver rapidement ce qu’il souhaite et dans les meilleures conditions puisque, concurrence aidant, toutes sont intéressées à répondre au plus vite à la demande. 
Si j’osais une image et pour en rester aux vis, l’économie chinoise ressemble au sous-sol du BHV où l’on trouve à peu près tout, en matière de vis, sous la main, alors que nos économies ressemblent beaucoup plus à ces grandes surfaces qui n’offrent à leurs clients qu’un nombre limité de références et imposent à celui qui cherche un modèle de vis particulier une longue recherche. On comprend que des industriels soient séduits par ce modèle qui allège considérablement les coûts de développement d’un produit. 

Une grande flexibilité
L’autre grande caractéristique est la flexibilité. Ces usines savent répondre très rapidement à la demande, elles savent s’adapter à ce que souhaitent leurs clients. Et ceci parce qu’elles utilisent beaucoup de main d’œuvre. Nos industries ont mis l’accent sur l’automatisation pour réduire les coûts du travail humain. Les Chinois ont aussi des usines très automatisées, mais ils en ont d’autres qui utilisent beaucoup de main d’œuvre, tout simplement parce que celle-ci est bon marché. De manière générale, il semble, d’ailleurs, que les Chinois utilisent infiniment plus de main d’œuvre ouvrière que nous dans leurs usines. L’avantage est qu’il est plus facile de reprogrammer une fabrication avec des hommes auxquels on peut demander de modifier quasi instantanément leur production, qu’à des machines dont la programmation est toujours longue et difficile. On peut confier à des hommes des tâches qu’il est très difficile d’automatiser ou qui demanderaient, pour pouvoir l’être de très longs développements que les les fabricants de machines-outils ne pourraient engager que s’ils étaient assurés d’avoir un débouché important. Les clients n’ont évidemment pas le temps d’attendre.

Résumons donc : la Chine a un coût du travail bien plus faible que le notre, elle offre à ses salariés des conditions de travail souvent inadmissibles, mais son succès ne tient pas seulement à cela. Il tient aussi, et peut-être surtout pour l’avenir, à sa réactivité, à sa flexibilité, à sa structure et à son organisation géographique qui lui donnent les moyens de mobiliser rapidement les ressources considérables dont ont besoin les industriels aujourd’hui. Et dont ils auront plus encore besoin demain.

La concentration des industries capables de travailler ensemble dans la même région est sans doute le trait le plus remarquable de cette organisation industrielle. Je disais tout à l’heure que Paul Krugman en avait fait la théorie dans un article en 2009. Un autre économiste, Richard Baldwin est rentré plus dans le détail (Trade and industrialisation after globalisation’s 2’nd unbundling). Il montre que la fragmentation de la chaine de production, caractéristique de l’industrie moderne, est allée avec une concentration de cette industrie dans des régions géographiques étroites. Les coûts du transport n’ont pas disparu. 

Je parle aujourd’hui de la Chine, mais ne même phénomène explique sans doute le succès de l’Allemagne dont les industriels ont su nouer des liens étroits avec les industries des ex-pays socialistes qui sont à ses frontières et dont les coûts de main d’œuvre sont plus faibles.

Un modèle industriel adaptée à la demande…
Au delà des critiques sur la gestion des hommes qui confine, je l’ai dit, à un quasi-servage, c’est la modernité et l’efficacité de l’appareil chinois qui frappe. Il s’est adapté à la demande des industriels occidentaux. Non pas en jouant exclusivement sur le coût du travail comme d’autres pays en voie de développement mais en construisant une économie qui répond exactement aux attentes de l’économie contemporaine. 

Sa capacité à mobiliser rapidement ressources humaines et techniques lui permet de répondre aux attentes de ces entreprises qui travaillent pour un marché mondial. J’ai donné l’exemple d’Apple et de son iphone, mais plein d’autres industriels sont dans la même logique. Une logique qui suppose que l’on puisse rapidement produire en quantités considérables pour fournir simultanément des clients aux quatre coins du monde mais qui suppose aussi une grande flexibilité : ces produits se renouvellent très vite. Nous en sommes déjà à la troisième ou quatrième génération d’iphone.

Sa flexibilité lui permet également de répondre aux exigences du commerce électronique, sur internet, qui demande que l’on se rapproche de la fabrication à la demande. On ne peut pas dans l’univers du commerce sur internet stocker tous les produits que l’on vend, puisque l’on ne sait pas combien on en vendra dans quelques semaines ou quelques mois. Il faut donc trouver une solution industrielle qui permette de les fabriquer pratiquement à la demande. Ce modèle existe, c’est celui qu’avait imaginé le constructeur informatique Dell. L’industrie chinoise, avec son coté BHV dont je parlais tout à l’heure s’y prête particulièrement bien. Le sous-traitant stocke les composants des différents modèles d’un même produit, un téléphone, une tablette électronique… et les assemble à la demande. Et en quelques heures, le produit peut être expédié au client qui l’a commandé. Ce modèle ne peut évidemment fonctionner de manière satisfaisante que si le marché est très vaste, c’est-à-dire global.

Cette modernité profonde du modèle chinois de production industrielle est trop rarement soulignée. Or, elle est capitale. Elle veut tout simplement dire que l’industrie chinoise pourra résister à une hausse du coût du travail à laquelle elle ne saurait échapper. Ces salariés que l’on traite si mal vont se rebeller, ils ont commencé de le faire et les pays occidentaux qui voient leurs emplois ouvriers disparaître vont exercer une pression forte sur la Chine pour qu’elle respecte mieux les règles sociales. Mais ces hausses du coût du travail que l’on peut anticiper ne ramèneront pas du travail chez nous. 

Et les emplois ?
Pour se défendre, Apple indique que l’essentiel de la valeur ajoutée de ses produits est restée aux Etats-Unis. Dans un article publié dans le New-York Times en 2007, son économiste en chef, Hal Varian, indiquait, en s’appuyant sur les travaux de jeunes chercheurs, que plus de 54% de la valeur ajoutée d’un ipod fabriqué en Chine restait aux Etats-Unis, dont 46% pour la distribution et près de 50% pour Apple, ses ingénieurs… C’était en 2007, mais on peut penser que les chiffres pour l’iphone sont à peu près du même ordre. Cette ligne de défense n’est évidemment pas complètement satisfaisante : la valeur ajoutée et les emplois sont deux choses différentes. Si plus de la moitié de la valeur ajoutée reste aux Etats-Unis, le plus gros des emplois est en Chine, ce qui ne convient pas évidemment pas aux salariés américains au chômage. 

Voici, pour finir, quelques chiffres que je tire de cette série d’articles qui a servi de support à cette chronique. Apple emploie 40 000 personnes aux Etats-Unis et 20 000 ailleurs dans le monde tandis que 700 000, oui 700 000, personnes fabriquent et assemblent ses produits en Chine et ailleurs en Asie. Apple crée donc bien des emplois, mais pas là où on les imagine…

Face à ces évolutions, on peut être tenté par le protectionnisme, il serait plus sage d’approfondir ce modèle chinois et de voir s’il ne serait pas possible de s’en inspirer.

Le 31/01/2012

24.1.12

Ce n'est pas le coût du travail




TVA sociale, coût du travail, Allemagne
Depuis quelques semaines, Nicolas Sarkozy tente de relancer sa machine électorale en promettant des emplois industriels grâce à une baisse du coût du travail. C’est le sens même de son projet d’instaurer une TVA sociale, c’est le fond des propos de tous ses ministres qui insistent, chaque fois que possible, sur l’écart supposé entre nos coûts et ceux de l’Allemagne. Tout cela sur fond d’applaudissements du MEDEF et de la presse économique qui insiste et insiste sur ce thème…

Mais qu’en est-il vraiment ? Le coût du travail est-il effectivement plus élevé en France qu’ailleurs ? ce coût menace-t-il vraiment notre compétitivité ? et n’y a-t-il d’autre solution que de réduire les cotisations sociales ?

Ce sont les trois questions auxquelles je vais tenter d’apporter quelques éléments de réponse ce matin.

Le coût du travail, la France l’Allemagne et les autres
Le coût du travail est, dit-on, plus élevé en France qu’en Allemagne. Ce n’est pas tout à fait exact. D’après les derniers chiffres de l’INSEE, le coût horaire du travail est légèrement plus élevé en Allemagne qu’en France. Il était de 33, 37€ en 2008 en Allemagne et de 33,16€ en France. Mais il est vrai que le coût a plus rapidement augmenté en France ces dernières années qu’en Allemagne et qu’il reste largement supérieur à ce qu’il est dans d’autres pays, tant en Europe que dans les pays émergents. Ceci dit, reste à savoir ce que veulent dire ces chiffres, comment ils sont fabriqués et à quoi ils correspondent.

Le coût horaire est calculé en rapportant au volume horaire de travail, la somme de la masse salariale, des cotisations sociales patronales et ouvrières après prise en compte des exonérations de charges. Cette notion ne va cependant pas de soit et son utilisation dans les comparaisons internationales pose problème.

On peut d’abord s’interroger sur la notion de masse horaire. On sait que les cadres travaillent officiellement 35 heures mais en font souvent en réalité beaucoup plus. Ces heures supplémentaires ne sont pas comptabilisées, comment pourraient-elles d’ailleurs l’être ? Mais, si elles l’étaient, elles feraient descendre le coût horaire, ce qui serait moins le cas en Allemagne où la durée légale du travail est plus longue. De la même manière, on ne tient pas compte des jours de RTT qui ne sont pas pris et sont, par exemple, stockés dans des compte épargne temps.

Ce qui est vrai des cadres l’est également de tous ces salariés dont les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées, ce qui est fréquent dans les PME dans lesquelles existent des systèmes implicites de troc : « je ne te paie pas tes heures supplémentaires mais je te donnerai ton après-midi le jour du mariage de ta fille », ou bien : « je ne paie pas tes heures supplémentaires mais je te donnerai une prime à la fin du chantier ».
On peut également s’inquiéter de l’utilisation d’une moyenne. 33€ de l’heure, ce peut être beaucoup dans certains secteurs et très peu dans d’autres. C’est beaucoup là où le coût de la main d’œuvre pèse lourd dans le coût final du produit, c’est peu là où ce n’est pas le cas. Or, la structure économique, industrielle de tous les pays n’est pas la même.

On peut, enfin et surtout, s’interroger sur le sens économique de cette notion.

Coût horaire ou coût global
Le coût horaire qui regroupe salaire net et cotisations sociales que l’entreprise verse aux Caisses de retraite, à l’URSAAF… n’est qu’une partie des coûts salariaux. Et si l’on veut examiner ceux-ci d’un point de vue économique, il faut les regarder de manière plus globale.

Le salarié a un bureau, un poste de travail dont le coût varie selon la localisation. Le prix du m2 n’est pas le même à Neuilly et dans la lointaine banlieue. Les entreprises qui déménagent le savent très bien. Et tous les salariés n’utilisent pas le même nombre m2. C’est ce que l’on appelle le coût immobilier. Or, il peut varier de manière significative selon l’emplacement mais aussi selon l’organisation des postes de travail.
La BNP Paribas et l’Essec ont créé un indicateur du coût immobilier qui intègre le prix de location, les impôts locaux, les services attachés à l’immeuble. Il met en évidence ces écarts. Pour ne citer qu’un chiffre,  le salarié d’une entreprise dans le secteur du conseil coûtait en moyenne 6.600 euros par an en 2008 alors qu’un salarié dans le même type d’immeuble, mais travaillant dans la banque, les assurances ou la gestion financière coûtait en moyenne 14.000 euros en 2008, soit plus du double, ce qui s’explique tout simplement : il utilise deux fois plus de surface, de 9 à 10 m2 en moyenne pour les consultants qui travaillent souvent en clientèle et peuvent donc partager les espaces, de 18 à 21m2 dans les banques ou assurances. Cela doit naturellement entrer en compte dans le calcul du coût salarial.

De la même manière, on doit tenir compte dans ce calcul des coûts d’organisation. Les entreprises doivent gérer leurs salariés, préparer leur paie, par exemple. On a calculé qu’un bulletin de paie revenait entre 17 et 21€, soit de 200 à 250€ par an et par salarié (La profession comptable), mais les écarts peuvent être significatifs. Pour ne prendre qu’un exemple, les prix pratiqués par les experts-comptables pour effectuer ce travail pour le compte des PME peuvent varier de 12 à plus de 20€.

Ce qui vaut pour le bulletin de salaire vaut naturellement pour tout ce que l’on pourrait appeler les fonctions support. On me dira que c’est la même chose partout, que les Allemands doivent gérer la formation de leurs salariés, fabriquer des bulletins de paie, payer du personnel de gardiennage comme nous. C’est vrai, mais les quelques chiffres que j’ai donnés l’indiquent bien : on peut faire évoluer le coût du travail autrement qu’en jouant sur les seules cotisations sociales.

L’utilisation de la main d’œuvre
Le coût global des salariés ne se limite pas aux salaires, cotisations sociales et dépenses attachées aux salariés, il comprend également des coûts liés à leur gestion qui sont de la seule responsabilité des entreprises et de leurs gestionnaires.

Je pense à l’absentéisme. C’est un phénomène complexe mais massif : en 2005, 246 millions de journées ont été indemnisées pour des arrêts de travail, un peu plus de 20 % de la population active a alors bénéficié d'un arrêt de travail, somme à laquelle il convient d’ajouter les absences courtes qui ne sont pas indemnisées par le régime général.

Ces absences augmentent le coût salarial de l’entreprise : il faut remplacer les salariés absents avec des heures supplémentaires, de l’intérim, on peut prendre des retards… on estime en général qu’à 1% d’absentéisme correspond une augmentation du coût salarial du même montant. Une entreprise qui a un taux d’absentéisme de 6% quand la moyenne est plutôt autour de 4% a un coût salarial supérieur de 2% à celui de ses concurrents mieux gérés. C’est donc un poste important et, pourtant, les entreprises s’en préoccupent peu. En 2003, d’après une enquête de l’ANDCP, les ¾ des entreprises interrogées n’avaient rien mis en place pour le réduire. Or, l’absentéisme est, pour beaucoup lié, à des problèmes d’organisation des postes de travail, comme les troubles musculo-squelettiques dont souffrent les caissières des grandes surfaces en sont une bonne illustration, et de management : pour les DRH qu’a interrogés une société de conseil, les premiers facteurs de l’absentéisme sont la démotivation des salariés, les problèmes relationnels avec la hiérarchie et les collègues et le manque d’attention de l’encadrement aux problématiques RH, toutes choses qui relèvent directement de la responsabilité de l’entreprise et de son management. 

Autre facteur qui contribue à l’augmentation des coûts salariaux : les dépenses de formation. Elles sont importantes et significatives, 37% des salariés avaient reçu en 2011, une formation dans les douze mois qui avaient précédé, 67% dans les cinq dernières années. Elles représentent de l’ordre de 2% de la masse salariale avec des écarts significatifs entre les petites entreprises qui se contentent du minimum légal et celles qui dépensent l’équivalent de  6 à 7% de leur masse salariale en formation. Ces dépenses sont pourtant le plus souvent engagées sans souci d’efficacité ou de performance. Dans la plupart des cas, nul ne vérifie la qualité de celle-ci et, surtout, ses résultats : les stagiaires on-ils retenu quelque chose de leur stage ? a-t-il amélioré leurs compétences ? On n’en sait rien.  

L’indifférence du management
L’absentéisme et la formation coûtent cher aux entreprises et contribuent de manière significative à l’augmentation de leurs coûts salariaux, de 4 à 8% en moyenne dans les entreprises d’une certaine taille, et, cependant, ces mêmes dirigeants qui pestent contre les cotisations sociales ne s’en préoccupent guère. C’est un peu paradoxal et on peut avancer plusieurs raisons comme la complexité du contrôle de l’absentéisme ou de la qualité de la formation, mais cela invite aussi à relativiser tous les discours sur le coût du travail. S’il était vraiment aussi insupportable, les entreprises agiraient sur ces deux leviers de manière beaucoup plus énergique.

Il est un autre facteur qui invite à rester prudent quant à l’impact du coût du travail sur notre compétitivité internationale : c’est la distribution des salaires. Si le coût du travail était le principal obstacle à l’exportation, le principal frein à notre capacité à résister à la concurrence, on pourrait s’attendre à ce que l’on retrouve beaucoup de salariés payés au SMIC dans des entreprises industrielles confrontées à la concurrence de la Chine, de la Tunisie ou de la Roumanie. Or, ce n’est pas le cas. On sait qu’il y a à peu près en France 1,6 millions de salariés qui, hors secteur agricole, perçoivent le salaire minimum ou sont affectés par ses évolutions. La grande majorité, près de 80%, est employée dans des secteurs qui échappent à cette concurrence : 37% des salariés de la restauration et l’hébergement, activité qui ne souffre guère de la concurrence des Chinois, sont dans ce cas, 20% de ceux qui travaillent dans les services, un peu plus de 13% de ceux de la santé et l’action sociale, autant dans le commerce, plus de 11% dans ce qu’on appelle les activité immobilières, gardiens d’immeubles… et près de 10% dans les arts et les spectacles. A contrario, seuls 5,5% des salariés du secteur manufacturier sont payés au Smic. (voir pour ces chiffres ce document de l’INSEE et celui-ci de la Dares).

On trouve d’ailleurs confirmation de cette impression dans une autre série statistique, dans celles sur les CDD. Ce type de contrat est une manière d’assurer la flexibilité et de réduire les coûts du travail en n’employant des salariés que lorsque l’on en a besoin. Or, c’est dans les mêmes secteurs protégés de la concurrence internationale que l’on trouve le plus de CDD courts, de moins d’un mois. C’est également dans ces mêmes secteurs que le salaire de base a, sauf exception, le moins progressé ces dernières années.

Si les entreprises les plus affectées par les hausses du Smic sont si souvent dans des secteurs qui échappent à la concurrence internationale, c’est que les entreprises manufacturières les plus menacées par les salaires faibles ont déjà délocalisé leurs activités quand elles n’ont pas tout simplement disparu. C’est ce qui s’est produit dans les secteurs du textile, de l’habillement et du cuir, comme l’illustre aujourd’hui même le cas Lejaby. On le voit bien d’ailleurs dans les statistiques. Si le nombre de salariés affectés par les évolutions du Smic a diminué de manière significative ces dernières années et, notamment, en 2009, on le doit à la destruction de dizaines de milliers d’emplois industriels peu qualifiés. Emplois qui ne reviendront pas chez nous tant les écarts entre les salaires pratiqués en France et, par exemple, en Tunisie, sont importants. Un salarié payé au Smic gagne 130€/mois pour 48 heures en Tunisie, il gagne en France 1365€ pour 35 heures. Même en supprimant toutes les cotisations sociales, on n’y arrivera pas.

Ce n’est pas en réduisant le coût du travail que l’on rendra l’industrie française plus compétitive, c’est en la spécialisant dans des activités où elle rencontre peu de concurrence. 

Prendre exemple sur l’Allemagne ? oui, mais autrement…
Mais s’il est vrai, comme je le disais à l’instant, que les secteurs les plus affectés par les hausses du Smic échappent à la concurrence internationale, la comparaison avec l’Allemagne prend une toute autre tournure. Si l’industrie allemande a mieux résisté, ce n’est pas qu’elle a su réduire le coût de son travail, c’est qu’elle s’est spécialisée depuis longtemps dans des secteurs qui échappent à la concurrence. Et elle l’a fait en multipliant les barrières à la concurrence. Non pas les barrières douanières, qui ne servent qu’à reculer pour mieux sauter, mais ces barrières immatérielles que sont la protection industrielle, les marques, le savoir-faire des salariés…

Les discours sur le coût du travail sont aujourd’hui très à la mode, mais ils ne servent trop souvent qu’à masquer les erreurs de politique industrielle et de management. Le cas de la lingerie est caractéristique. Si Lejaby a du fermer sa dernière usine française, d’autres spécialistes résistent et continuent de produire en France : ce n’est pas qu’ils paient moins leurs salariés, mais ils ont su trouver des niches, des créneaux où le coût du travail, il représente à peu près 70% du coût d’un soutien-gorge, est compensé par des politiques commerciale et de marque adaptées. C’est le cas de Simone Pérèle qui vend à l’étranger ses soutien-gorge sophistiqués 60€. Quand on les interroge sur le cas de Lejaby, comme a fait hier un journaliste de la Tribune, ils insistent surtout, je les cite, sur « l’inaction de ses actionnaires et de leur manque d’anticipation. » 

Mettre l’accent sur la baisse du coût du travail ne permettra pas de récupérer des emplois industriels perdus. Cela ne fera que favoriser le développement d’un secteur des services qui échappe à la concurrence internationale, qui verse déjà des salaires très faibles et s’est organisé pour profiter de tout ce qui lui permet de réduire un peu plus encore le coût du travail.

La comparaison avec l’Allemagne n’est pas absurde. Encore faut-il la faire de manière pertinente.

 Le 24/01/2012







17.1.12

La tentation protectionniste


Le 17/01/2012
                                                         
Le protectionnisme devient politiquement correct
En quelques mois, le protectionnisme qui paraissait réservé aux extrêmes, au Front National et au Front de gauche, est devenu respectable. D’abord repris par des francs-tireurs des grands partis, comme Arnaud Montebourg, il est devenu mainstream avec Laurent Waucquiez au point de nourrir les projets du gouvernement. Telle qu’il en fait la promotion, la TVA sociale que nous propose Nicolas Sarkozy ne serait qu’une manière de pénaliser les produits fabriqués à l’étranger, ce qui fait sourire tous ceux qui savent combien une hausse de la TVA affecte ceux qui consacrent l’essentiel de leurs revenus à la consommation.

Cet enthousiasme pour le protectionnisme est d’autant plus surprenant que les économistes lui sont, on le sait, en général très hostiles et qu’ils ne manquent pas une occasion de rappeler combien il a pu, là où il a été appliqué, ralentir ou retarder le développement économique. Ce qui n’a évidemment pas empêché les Etats de le pratiquer sous une forme ou sous une autre.

Si le protectionnisme affiché a longtemps eu mauvaise presse, tous les gouvernements ont développé des techniques pour protéger leurs industries. On connaît les conflits récurrents entre Boeing et Airbus. Les deux compagnies s’accusent mutuellement d’être subventionnées qui par le ministère de la défense américain, qui par la Commission européenne. On sait également que nombreux sont ceux qui militent pour un commerce équitable, c’est-à-dire pour des sanctions contre les pays qui ne respectent pas les droits des travailleurs, qui interdisent les syndicats, emploient des enfants ou des prisonniers. Mais les nouveaux avocats du protectionnisme ne se contentent pas de ces demi-mesures, ils veulent revenir tout simplement à l’instauration de taxes douanières, aux frontières de la France pour le Front National, ce qui nous amènerait à renier traités et accords, aux frontières de l’Europe pour les autres.

Idée folle ? sans doute, mais pour en avoir le cœur net, pour savoir si cela pouvait être efficace, j’ai voulu revenir aux auteurs qui ont défendu le protectionnisme.

Dans la période contemporaine, ils sont relativement peu nombreux, mais on peut citer Barbara Spencer et James Brander, deux économistes canadiens, qui ont développé au début des années quatre-vingt, un modèle dans lequel un Etat peut, au contraire de ce qu’avance la théorie, subventionner une industrie locale sans pour autant réduire le bien-être de l’ensemble de la population. Le cas d’Airbus en est une bonne illustration.

Une trentaine d’années plus tôt, au début des années cinquante, un autre canadien qui enseignait à la London School of Economics, Harry Johnson, avait, lui, montré que dans certains cas au moins l’instauration de droits de douane pouvait bénéficier à l’Etat qui les amorçait même si ses concurrents faisaient de même.

Mais ces quelques économistes, on pourrait sans doute citer d’autres noms, sont des exceptions et leur défense du protectionnisme reste mesurée. Si l’on cherche un économiste qui s’en est vraiment fait l’avocat, il faut remonter beaucoup plus loin, au 19ème siècle, et regarder du coté de l’un des pionniers du nationalisme allemand, Friedrich List.

Friedrich List
Friedrich List est aujourd’hui bien oublié. C’est, cependant, un personnage passionnant. Allemand né en 1789, mort en 1846, ayant vécu en France et aux Etats-Unis, il fut l’un des plus ardents défenseurs de l’unité allemande, l’un des pères du Zollverein, cette union douanière qui a donné naissance au 19ème siècle à l’Allemagne telle que nous la connaissons aujourd’hui en lieu et place de cette réunion de principaux, baronnies, petits royaumes qui passaient leur temps à se disputer.

Ces éléments biographiques éclairent ce qui est sans doute le cœur de son principal livre, celui dans lequel il défend justement ses thèses protectionnistes : le Système National d’économie politique, livre publié en 1841, traduit en français dés 1851 et réédité il y a une dizaine d’années avec une préface d’Emmanuel Todd qui est, on le sait, un des premiers à avoir prôné le retour au protectionnisme.



Friedrich List écrit son livre contre Adam Smith et Jean-Baptiste Say, les deux grands théoriciens classiques du libre-échange. Il leur reproche de traiter de l’économie comme si nous vivions dans un monde complètement ouvert où les agents économiques, les individus, les entreprises pourraient librement échanger. Or, dit-il, ce n’est pas le cas : il y a des nations. Et l’on ne peut, ajoute-t-il, en faire l’économie.
Nationalisme et protectionnisme ont donc dés l’origine eu partie liée. Mais le nationalisme dont parle Friedrich List n’a pas grand chose à voir avec celui de Martine Le Pen. En témoigne l’intérêt qu’il porte aux migrations. Bien loin des  imprécations contre les immigrés chères au Front National et à ses émules à la Guéant, il reconnaît les Etats puissants et les économies solides à ce qu’ils savent attirer les étrangers. Bien loin de recommander une endogamie généralisée, il explique que rien ne vaut la mixité et la diversité dans un passage qui a du faire se lever quelques sourcils chez ses premiers lecteurs et qui ferait tiquer bien des électeurs du Front National : « on ne peut nier, écrit-il, que du mélange de deux races diverses, il résulte à peu près sans exception, une postérité robuste et belle. »

Une vision industrialiste
List s’intéresse surtout à l’industrie. Il est un fervent industrialiste et s’il est favorable au protectionnisme, aux barrières douanières, c’est seulement dans la mesure où elles peuvent favoriser le développement d’une base industrielle dans les pays qui ont pris du retard. Si ces pays ne veulent pas que leurs industries disparaissent sous les coups de la concurrence des pays plus avancés, il s’agissait à son époque, de la Grande-Bretagne, il faut les protéger, éviter que les produits d’une industrie plus efficace, plus avancée ne leur interdise toute croissance. Il ne propose la mise en place de mesures protectionnistes que pour protéger l’industrie dans les pays qui tentent de rattraper leur retard. Il ne préconise surtout pas l’instauration de ces taxes pour l’agriculture ou les matières premières, domaines dans lesquels la loi de l’avantage comparatif peut jouer, ce qui n’est pas le cas de l’industrie pour laquelle tous les peuples ont la même vocation « pourvu, je le cite, qu’ils possèdent les conditions matérielles, intellectuelles, politiques et sociales requises à cet effet. » Les barrières douanières n’ont d’intérêt que parce qu’elles donnent aux pays à la traîne le temps de développer ces conditions. Une fois ces conditions atteintes, elles doivent disparaître.

Cette thèse qui veut que la meilleure politique ait été de laisser libre le commerce de produits agricole et d’introduire des taxes sur les produits industriels semble avoir été politiquement juste si l’on en juge par les travaux récents d’historiens de l’économie qui se sont intéressés au développement au 19ème siècle (Lehman, O’Rourk, The structure of protection and growth in the late 19th century). Sans doute pourrait-on aujourd’hui dire la même chose des pays émergents.

En fait, List paraît avoir été un des pionniers de l’économie du développement et l’inspirateur, au moins indirect, des grands nationalistes du lendemain de la seconde guerre mondiale, de Nehru et de tous ceux qui ont alors guidé les Etats nouveaux dans leurs premiers pas vers l’industrialisation.  

On est évidemment très loin des préoccupations contemporaines des pays industrialisés. Il ne s’agit pas de défendre des industries vieillissantes, comme c’est le cas chez nous, mais au contraire, de protéger des industries naissantes qui n’ont pas encore eu le temps d’acquérir toutes les compétences et savoir-faire nécessaires pour être compétitif. A aucun moment dans un livre de près de 600 pages, il ne met en avant les différences de salaires. Bien au contraire, il souligne que des salaires élevés vont avec une plus grande productivité. S’il convient, nous dit-il, de protéger les industries naissantes, c’est qu’il leur faut du temps pour développer les capacités intellectuelles, on dirait aujourd’hui le capital humain, sans lequel on ne peut résister à la concurrence.

Le premier hétérodoxe
Je le disais à l’instant, les motifs que List avance pour justifier le protectionnisme paraissent bien loin de nos préoccupations de pays développés et, à l’inverse d’Emanuel Todd, je doute qu’un de nos néo-protectionnistes puisse y trouver inspiration.

Sa pensée mérite cependant qu’on s’y attarde, ne serait-ce que parce qu’il est probablement le premier économiste hétérodoxe. Le premier à s’en prendre de manière systématique et frontale à la pensée libérale classique, ce qui lui vaudra d’ailleurs une véritable raclée de la part de Karl Marx qui admirait plus que tout autre les classiques.

La première cible de List est donc, dans son livre, ce qu’il appelle l’Ecole, Adam Smith et Jean-Baptiste Say. Il leur reproche de négliger l’histoire, de concevoir l’économie comme un jeu entre individus détachés de toutes contraintes sociales, de négliger l’Etat et sa capacité à intervenir dans le monde économique. Plusieurs passages de son livre semblent comme une anticipation des politiques industrielles. Il est également sans doute le premier à souligner combien la pensée libérale classique, celle d’Adam Smith, peut être utilisée à des fins politiques, un thème qu’Attac et bien d’autres ont mille fois exploité.

Il est également l’un des premiers à penser l’articulation entre l’union douanière et la création d’un Etat, d’une nation, ce qu’il fait à propos de l’Allemagne. Sa lecture nous aide, d’ailleurs, à mieux comprendre certaines réactions récentes des Allemands qui se trouvent aujourd’hui dans la situation de la Grande-Bretagne du 19ème siècle. Economie dominante dont les entreprises sont particulièrement performantes, l’Allemagne n’a aucun intérêt au protectionnisme, ce qui rend dérisoire les projets de tous ceux qui souhaitent établir des barrières douanières aux frontières de l’Europe. Cela ne pourrait se faire sans l’accord des Allemands et ceux-ci le refuseront aussi longtemps que leur commerce extérieur sera excédentaire. 

L’illusion protectionniste : l’exemple de l’industrie automobile américaine
S’il est un enseignement à tirer de la lecture de List, c’est bien de ne pas se fier seulement à la théorie, mais de retourner au réel et d’analyser des situations historiques concrètes. Or, celles-ci n’incitent pas à pencher pour le protectionnisme. L’industrie automobile américaine en offre un bel exemple.
On sait qu’elle s’est trouvée confrontée, au début des années 80, à la concurrence très vive des constructeurs japonais. Profitant des tentations protectionnistes du congrès américain – la part des produits importés soumis à tarifs douaniers est passée de 8% en 1975 à 21% en 1984 -, l’industrie automobile a obtenu la mise en place de quotas à l’importation de véhicules japonais. La mesure a immédiatement profité à Detroit, grand centre de l’industrie automobile américaine. Libérés de la concurrence des Toyota et autres Honda, GM , Ford, Chrysler ont créé des dizaines de milliers d’emplois, leurs bénéfices ont explosé, ils ont d’autant plus explosé que profitant de la hausse des prix des automobiles japonaises, ils ont pu augmenter ceux de leurs véhicules de manière significative (Alan Blinder, Hard heads, tough heads, 1998). Des résultats positifs, donc, mais… très éphémères.

Les Japonais ont immédiatement réagi en construisant des usines en Amérique du Nord, d’abord au Canada puis dans les Etats du Sud à la main d’œuvre meilleur marché. Ils sont venus avec leurs méthodes de travail plus efficaces, leurs modèles plus performants et ont rapidement écrasé de leur supériorité des constructeurs que la protection artificielle des quotas avait anesthésiés. On sait dans quelle situation sont aujourd’hui General Motors, Ford ou Chrysler. Les emplois perdus à Detroit n’ont jamais été retrouvés. Flint, la ville où est née la General Motors, cette ville que Michael Moore a rendu célèbre avec son film Roger et moi, a toujours un taux de chômage qui frôle les 9%. Buick City, l’énorme complexe industriel au nord-ouest de la ville peut aujourd’hui se vanter d’être la plus grande friche industrielle des Etats-Unis.
On peut imaginer, sans beaucoup d’efforts, que si demain l’Europe mettait des barrières douanières à ses frontières, les entreprises chinoises ou celles qui fabriquent en Chine trouveraient vite le chemin de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Slovaquie, de tous ces pays d’Europe dont les salaires sont faibles. Qu’y aurions nous gagné ? Peut-être une rémission de quelques mois pour les entreprises les plus menacées. Guère plus. On pourrait même y perdre. On a calculé que les mesures prises pour lutter contre les constructeurs automobiles japonais ont rapporté 8 milliards de dollars aux entreprises américaines et coûté aux Etats-Unis 13 milliards. Solde négatif : 5 milliards. Et encore n’est-ce que peu de chose comparé aux 750 000$ qu’ont coûté chaque emploi sauvé dans la sidérurgie américaine grâce aux mesures protectionnistes prises à la fin des années 70. (Robert Crandall, The effects of  US trade protection for autos and steel).

Le protectionnisme est un peu comme cette piqure de vitamines qu'un médecin pourrait faire à un malade atteint d'un cancer. Cela le soulagerait pendant quelques instants mais ne le soignerait certainement pas.

Un contexte politique peu favorable au protectionnisme
Le protectionnisme n’est donc pas la solution. Risque-t-il malgré tout de s’imposer comme dans les années trente ? c’est peu probable. Le contexte, les rapports de force ont changé.

Pour que le protectionnisme s’impose, il faut que ceux qui y ont intérêt, salariés menacés de perdre leur emploi, entreprises en difficulté aient la capacité d’imposer leurs vues. C’était le cas de l’industrie automobile, de la sidérurgie aux Etats-Unis au début des années quatre-vingt. Aucun secteur n’a aujourd’hui en France ce pouvoir. Ou, plutôt, aucun n’est assez puissant pour s’imposer face à tous ceux qui ont tout à craindre du protectionnisme. Car, s’il est vrai, que beaucoup sont menacés par la concurrence des pays émergents, au moins autant seraient pénalisés par des politiques protectionnistes qui rendraient plus difficile la vente des produits qu’ils fabriquent. Les entreprises dont une partie importante du chiffre d’affaires se fait à l’exportation, celles qui intègrent des produits importés dans leurs fabrications, leurs patrons et leurs salariés seraient les premiers à s’opposer à des mesures qui, sous couvert de protéger des gens en difficulté, gêneraient les secteurs les plus compétitifs.

La tentation protectionniste existe donc bien, elle nourrit les discours des politiques, mais elle ne restera que cela tant que les règles européennes, les intérêts de l’Allemagne, ceux de tous ceux qui travaillent dans des industries qui vivent de l’exportation ou, ce qui revient au même, de la vente de produits qui intègrent des composants fabriqués à l’étranger, s’y opposent.

Ce n’est pas la théorie qui s’oppose au protectionnisme mais, plus simple, le principe de réalité.



11.1.12

L’automatisation des services et l’emploi : le cas de la grande distribution


2011, l’année des automates partout 

Les deux premières semaines de janvier sont, dans la presse, consacrées au bilan de l’année qui vient de s’écouler. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les banques, la crise, la montée inexorable du chômage, mais cela a fait l’ordinaire de ces chroniques tout au long de l’année. Je voudrais, aujourd’hui, aborder un thème tout différent : celui de l’automatisation des services. 2011 aura été, je crois, l’année qui aura vu les banques, la grande distribution et la poste, trois grandes activités de service génératrices de centaines de milliers d’emplois se lancer dans une opération d’automatisation systématique de ses services. On ne peut plus entrer aujourd’hui dans une agence bancaire sans trouver partout des automates qui prennent en charge les opérations de dépôts ou de retraits que l’on confiait autrefois, il y a quelques mois encore, à des guichetiers. Même chose dans la grande distribution qui a vu se multiplier les caisses automatiques et autres systèmes qui libèrent le consommateur de l’obligation de faire la queue devant une caisse. Quant à la poste, on sait qu’elle a complètement revu l’organisation de ses bureaux et introduit des automates sur lesquels on peut effectuer à peu près toutes les opérations commerciales.

Cette automatisation des services va avoir un impact significatif sur l’emploi. La décrue des effectifs a commencé dans le secteur bancaire. Pour ne prendre qu’un exemple tout récent, HSBC a annoncé en aout dernier son intention de se séparer de 10% de ses effectifs, soit 30 000 personnes d’ici à 2011. L’automatisation n’est évidemment pas la seule en cause, mais elle autorise l’allégement des effectifs dans les réseaux. Même chose à la poste qui a perdu de 2002 à 2007, 42 000 emplois, non en licenciant, le deuxième employeur français ne pourrait se le permettre dans le contexte politique mais en ne remplaçant qu’un départ à la retraite sur cinq. Et ce qui est vrai de la banque et de la poste le sera très prochainement de cet autre employeur qu’est la grande distribution.

Une automatisation préparée depuis quelques années 

C’est en 2005 que quelques grandes enseignes du commerce ont commencé à équiper des magasins pilotes de caisses automatiques et de systèmes qui visent à accélérer les flux de clients. Plusieurs modèles ont été testés et sont aujourd’hui utilisés. J’en retiendrai trois que l’on peut découvrir dans la plupart des hypermarchés et grandes surfaces :

- les caisses automatiques dit aussi self check-out : le consommateur se présente devant une caisse devant laquelle il effectue directement les opérations d’une caisse, passage devant un scanner des produits, transfert d’un panier à l’autre, sous le regard et avec, éventuellement, les conseils d’une employée qui contrôle ainsi quatre caisses automatiques ;

- le self scanning : dans ce modèle, le consommateur est équipé d’une douchette. Chaque fois qu’il sélectionne un article, il le scanne, puis il passe devant une caisse où une caissière reçoit son paiement et contrôle de manière statistique la conformité de la facture et du panier ;

- le drive : le consommateur passe commande sur internet des produits dont il a besoin. Puis il passe dans son hypermarché ou dans un dépôt proche de chez lui pour récupérer ses achats tout préparés. Cette dernière idée semble avoir été imaginée en 2004 par des collaborateurs du groupe Mulliez qui contrôle notamment les magasins Auchan, pour répondre aux problème que pose la vente sur internet associée à la livraison à domicile, pratique ancienne puisqu’elle date du minitel mais restée marginale. Il est aujourd’hui utilisé par plusieurs enseignes dont Leclerc qui en a déjà aujourd’hui près de 150 sur les 600 actuellement installés et qui pense en avoir 400 en 2015.

D’autres techniques existent comme les étiquettes à radiofréquence (RFID) qui sont actuellement expérimentées dans quelques magasins, notamment dans des librairies, mais celles que je viens de citer sont de loin les plus utilisées.

Une progression très rapide

Ces différentes techniques sont on l’a vu récentes. Mais elles progressent rapidement. Pour ne prendre que cet exemple, les consommateurs auraient, d’après Kantar WorldPanel, un spécialiste de ces questions, dépensé plus de 450 M.€ en drive en 2010, ce qui représente plus de 7.5 millions de paniers à 62€ alors que le parc était presque inexistant en début d’année 2010. Leclerc, toujours lui, espère en 2015 réaliser de cette manière 4,5% de son chiffre d’affaires. Et il n’est pas le seul. Le groupe Cora a d’ores et déjà équipé la moitié de ses soixante hypermarchés de drives et indique que de 70 à 80% de ceux-ci en seront équipés à la fin de l’année 2012. Les ventes par ce canal ont progressé de 8% en 2011.

 On retrouve des chiffres de progression élevés avec les autres techniques d’automatisation. Il y aurait actuellement de 4 à 5000 caisses automatiques en France. Et les ventes sur chacun de ces créneaux augmentent régulièrement.

 Lorsque les professionnels s’expriment sur ce thème, ce qu’ils ne font pas beaucoup, il est vrai qu’on les interroge peu, ils insistent sur les bénéfices pour les consommateurs : plus grande fluidité, réduction des temps d’attente devant les caisses… tout cela est vrai, même si leur intérêt pour ces nouvelles technologies est évidemment tout sauf altruiste : elles leur permettent de réduire leurs coûts et d’améliorer leurs marges.

Productivité, rentabilité 

L’avantage économique des caisses automatiques va de soi : il permet de faire des économies sur le personnel. Les distributeurs s’en défendent et assurent que cela n’aura pas d’impact sur l’emploi. On peut évidemment en douter.

Les caisses automatiques coûtent de 15 à 20 000€ or, le retour sur investissement se fait en quelques mois, deux ans disent les constructeurs, trois ans corrigent les grandes enseignes. Reste que c’est court et que ce n’est possible que parce que sur ces ilots une même employée contrôle quatre ou cinq caisses à la fois.

On peut dire la même chose du self-scanning puisqu’une même caissière peut traiter un nombre beaucoup plus important de clients à l’heure.

Les drives demandent des investissements plus importants que les simples caisses automatiques, ce qui explique que le retour sur investissement soit plus long, de l’ordre de cinq ans, ce qui reste cependant peu comparé aux dix ans de retour sur investissement d’un hypermarché, mais il présente deux avantages majeurs aux yeux des distributeurs :

- il les met à l’abri de toute la réglementation qui limite l’implantation de grandes surfaces. Le législateur n’avait pas prévu ce cas de figure et ils peuvent s’installer où ils souhaitent, d’où des résistances ici ou là d’élus ou de commerçants qui craignent pour leur chiffre d’affaires. Cette liberté d’implantation devrait relancer les batailles commerciales et permettre aux grandes enseignes de s’installer dans des zones dans lesquelles elles sont pour l’instant absentes ;

- il leur permet d’améliorer de manière significative leurs marges. La rentabilité nette d’un drive serait de 7 à 9% contre 2% pour un hypermarché (d’après Kurt Salmon et associés, cité par La Croix).

Cette amélioration substantielle de la rentabilité nette tient d’abord, à la suppression de toutes les tâches commerciales : plus besoin de mettre les produits en rayon, d’en faire la promotion avec du personnel commercial, plus besoin, non plus, de contrôler les consommateurs, tout cela se traduit par des réductions importantes en matière de personnel.

Elle tient également à la possibilité d’automatiser complètement les tâches de paiement puisque l’on demande au consommateur de payer directement en ligne, ce qui réduit également le coûts de personnel. Le paiement en ligne limite également les défauts de paiement et les erreurs de caisse.

Le drive permet encore de gérer au plus près les produits et de diminuer les pertes, produits volés, produits jetés parce qu’avec une date de péremption dépassée… Il facilite enfin la fidélisation des clients puisqu’il simplifie et rend plus incitatives les diverses techniques de promotion des ventes puisque le consommateur est mieux informé sur internet que dans des rayons.

Faut-il le dire ? Ces économies ne sont pas partagées avec le consommateur puisque les prix sont les mêmes que ceux du magasin.

L’emploi menacé à moyen terme 

Je l’ai dit, les professionnels de la grande distribution assurent que ces évolutions se feront sans nuire à l’emploi. Dans son blog, Michel-Edouard Leclerc écrivait en 2007 : « Un hyper aligne facilement 20 à 40 caisses traditionnelles. Même si l’on équipait chaque magasin de 2 ou 3 caisses automatiques, il n’y aurait aucune incidence sur l’emploi. Non seulement, elles nécessiteraient une surveillance, mais surtout, elles créeraient un surcroît de chiffre d’affaires : celui de tous ces acheteurs spontanés et occasionnels qui, faute de temps, énervés par les queues, ont fui l’hyper pour d’autres formes de distribution. » Mais c’était en 2007, lorsque la CFDT et la candidate socialiste à la Présidence, Ségolène Royal, s’inquiétaient de l’impact de l’automatisation sur l’emploi et craignaient la destruction de 20 000 emplois. Depuis, silence radio. Et pour cause. Un entrepôt de 10 000m2 fait travailler en moyenne une soixantaine de salariés. Alors que le ratio classique dans la distribution est plutôt d’un employé pour 40m2, soit, pour 10 000m2, 250 personnes. Le rapport est de 1 à 4.

 Le gain est plus faible avec les caisses automatiques, mais il n’est certainement pas négligeable, puis que l’on calculé que la création d’un ilot de quatre caisses automatiques économise un emploi de caissière.

Drives et autres caisses automatiques ne vont évidemment pas remplacer les hypermarchés dans l’avenir immédiat et les grandes enseignes ne vont pas licencier massivement dans les mois qui viennent, ne serait-ce que parce que les différents canaux de distribution vont continuer de coexister pendant des années et que les grandes enseignes explorent en parallèle d’autres pistes : Carrefour a, par exemple, lancé un modèle de magasins, Carrefour Planet, qui associe distribution alimentaire et services (coiffure, garderie d’enfants…) et entraîne une croissance des effectifs de l’ordre de 10%. Si ce modèle l’emportait, l’impact sur l’emploi de l’automatisation sur l’emploi serait limité. Mais l’emportera-t-il ? Les résultats des Carrefour Planet sont pour l’instant décevants.

Le plus probable est que ce secteur voie dans les années qui viennent ses effectifs se réduire sous le double effet de la technologie qui réduit les besoins en personnel et de la relance des guerres commerciales qui feront des victimes chez les moins performants, chez ceux qui emploient aujourd’hui le plus de personnel. Les effets de ces batailles commerciales ont d’ores et déjà commencé à se faire sentir : les enseignes qui ont le plus tôt investi dans l’automatisation, Leclerc et Auchan, ont vu leurs parts du marché alimentaire progresser tandis que celles restées en retrait ont reculé.

Des emplois appelés à changer 

Première victime de ces évolutions : l’emploi de caissière. La grande distribution en emploie aujourd’hui 130 000. Elle en emploiera sans doute moins demain. Et cet emploi est appelé à évoluer. Les distributeurs assurent que ce sera pour le plus grand bien de ces employées dont ils ont découvert qu’elles souffraient de TMS, de troubles musculo squelettiques liés à la manipulation incessante de produits d’un coté à l’autre d’un tapis roulant. Qu’ils le disent et le soulignent si volontiers pourrait prêter à sourire, mais il faut dire que la grande distribution est l’un des rares secteurs dans lequel les accidents du travail ne diminuent pas. Les troubles musculo squelettiques sont à l’origine du quart des arrêts de travail dans les hypermarchés. On a calculé qu’ils représentent "plus de 1,4 million de journées de travail perdues, soit l’équivalent du fonctionnement de 14 hypermarchés et 130 supermarchés sur une année complète."

Une caissière qui contrôle plusieurs caisses automatiques n’a, évidemment pas ces problèmes. Sans doute en aura-t-elles d’autres que l’on commence à deviner mais ce métier ne sera pas le seul à évoluer. Celui de chef de caisses devrait aussi changer, se complexifier, et dans les entrepôts, on devrait voir se multiplier les emplois de manutention plus souvent masculins. En fait, c’est à terme toute a structure de l’emploi de la grande distribution qui parait appelée à évoluer avec moins d’effectifs et un ratio homme/femmes plus équilibré.

Moins d’emplois dans les services, et alors ? 

On parle d’ores et déjà de la destruction de 50 000 emplois dans la grande distribution. Le responsable CFDT d’Auchan a calculé que ces nouvelles méthodes s’étaient traduites par la destruction de 1000 emplois dans sa seule entreprise. Ces chiffres doivent être manipulés avec prudence. Ces destructions d’emplois se feront sans doute progressivement, par non remplacement de personnels partants et par fermeture de magasins qui auront cessé d’être rentables. Reste qu’elles se feront, et d’autant plus facilement que les Français sont, à l’inverse, par exemple, des Allemands, de gros utilisateurs des cartes de crédit, moyen de paiement indispensable au développement de ces formes d’automatisation.

Les professionnels nieront sans doute longtemps le phénomène au motif qu’ils continueront malgré tout d’embaucher massivement. Ce qu’ils feront ne serait-ce que parce que le taux de turn-over est dans cette profession très élevée, mais la relance des batailles commerciales, d’un coté, et l’automatisation de l’autre sonnent la fin de la partie : la grande distribution ne sera plus l’employeur massif qu’elle a été.

 Ajoutées à la décrue de l’emploi dans ces deux autres grands secteurs du service que sont la poste et les banques, ces perspectives sont inquiétantes. Elles devraient inciter à rechercher de nouveaux espaces de croissance pour l’emploi. Ce pourrait, ce devrait être la mission d’un prochain ministère du travail. Plutôt que d’essayer de protéger les emplois existants, forcément condamnés à terme, il devrait essayer de développer les nouveaux marchés du travail.

Reste, bien sûr, à les trouver.

 Ce ne sera pas du coté de l’industrie malgré tous les discours sur l’industrialisation que l’on entend ici ou là comme je l’expliquais ici même il y a quelques semaines. Ce sera probablement du coté des services, mais où ? l’équation est somme toute assez simple à écrire : il faut des emplois qui répondent à une demande en forte croissance, qui ne puissent être concurrencés par les pays à faibles salaires et qui soient solvables. Equation facile à formuler, plus difficile à résoudre même si l’on imagine bien que les premières pistes à explorer devraient être du coté de l’éducation, de la santé et des services aux personnes…

Le 10/01/2012