Les chroniques économiques de Bernard Girard

11.11.12

Gallois : un rapport décevant




Le rapport Gallois est sorti. Le gouvernement a surpris en reprenant la plupart de ses préconisations. Ce qu’il a fait au risque d’aller un peu vite parce que ce rapport n’est pas aussi important qu’on l’a dit. Pour l’avoir lu, je dirai qu’il est plutôt décevant et que les analyses qu’il fait de la situation sont marquées par un extrême conformisme, on a l’impression de les avoir lues mille fois, et, ce qui est peut-être plus gênant, par ce que je qualifierai d’absence de curiosité. Tout cela peut s’expliquer par la rapidité avec laquelle ses auteurs ont du travailler, mais tout de même.

Dans une libre-opinion publiée il y a quelques jours dans Libération, Philippe Askenazy disait qu’on croyait « lire un discours de Raymond Barre à la fin des années 70. » Il y a effectivement un peu de cela dans ce texte convenu. Mais il y a surtout un défaut d’analyse de la situation qui amène à s’interroger sur la pertinence des solutions proposées.

Le rapport commence de manière classique par le décrochage dans la compétition internationale de notre économie :
Tous les indicateurs le confirment : la compétitivité de l’industrie française régresse depuis10 ans et le mouvement semble s’accélérer. La diminution du poids de l’industrie dans le PIB français est plus rapide que dans presque tous les autres pays européens ; le déficit croissant du commerce extérieur marque nos difficultés à la fois vis-à-vis des meilleures industries européennes et face à la montée des émergents.
Soit, mais pourquoi ?

Dix ans de droite ?
Il y a dans ces premières lignes du rapport trois mots qui auraient du inciter à Gallois et ses collègues à approfondir ce diagnostic : « depuis 10 ans », depuis, en somme, que la droite est au pouvoir. Est-ce que ce sont les mesures prises par les gouvernements de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy qui sont en cause ? Et si oui, lesquelles ? Est-ce, a contrario, l’absence de mesures ? Mais alors pourquoi n’ont-elles pas été prises ? qu’est-ce qui s’y opposait ? quels étaient les blocages que leurs successeurs pourraient aussi rencontrer ? Et si les décisions prises par ces gouvernements ne sont pas en cause, faut-il remonter plus loin, plus haut ? On pense naturellement aux 35 heures tant rebattues. Et si celles-ci n’y sont pour rien comme il est probable, faut-il chercher ailleurs ?

Les hypothèses ne manquent pas. Je voudrais en signaler deux qu’on évoque rarement : la dualité de l’économie française et sa répartition géographique.

On souligne souvent que la France manque de ces sociétés de taille intermédiaire, de ces grosses PME qui font le succès de l’Allemagne, mais c’est  que nous avons, d’un coté, beaucoup de très grosses entreprises de taille internationale, et de l’autre, une multitude de petites entreprises qui ne réussissent pas à se développer. Et lorsque l’on parle de compétitivité, il faudrait se demander si elle a reculé partout également. Danone, Michelin, Areva, EADS, pour ne citer que ces quelques noms de grandes entreprises, ont-ils perdu en compétitive ? Cela ne se lit pas ni leurs résultats ni dans leurs positions dans les grands classements internationaux. Ce qui amène à se poser une question : si ces entreprises n’ont rien perdu de leur compétitivité, la dégradation massive de notre commerce extérieur ces deux dernières années ne vient-elle pas de ce qu’elles exportent moins depuis la France et plus depuis leurs usines installées ailleurs dans le monde ? Ce qui pourrait relever de la marche normale des affaires.
Prenons, pour être plus précis, le cas d’une entreprise qui exportait il y a dix ans en Asie. Ses ventes dans cette partie du monde ont fortement augmenté, ont tant augmenté qu’elle décide d’y construire une usine. Ses exportations vers cette région disparaîtront puisqu’elles se feront depuis la Chine, la Thaïlande ou la Malaisie. Les chiffres de notre commerce extérieur s’en ressentiront naturellement, mais on ne peut pas dire qu’elle ait perdu en compétitivité.

Mesurer des effets de ce type aurait sans doute évité cette confusion entre perte de compétitivité et dégradation du commerce extérieur. Ce sont deux phénomènes différents, même s’il est vrai que beaucoup d’entreprises vendent moins à l’étranger parce qu’elles sont moins compétitives que leurs concurrentes étrangères.

Deuxième phénomène qu’il aurait été intéressant d’étudier : la répartition géographique de l’industrie en France et son rôle dans nos difficultés.

Il n’est pas rare lorsque l’actualité met en évidence une entreprise en grande difficulté de découvrir qu’elle est installée dans des villes dont on entend à peu près jamais parler. Ce n’est pas un hasard. L’industrie française s’est, depuis les années soixante, éparpillée sur tout le territoire. Les villes, un peu partout, ont voulu leur industrie, on offert aux industriels qui venaient s’installer chez elles des conditions avantageuses. Cela a créé des emplois et contribué à la modernisation de la France dans ses profondeurs, mais cela a aussi isolé les entreprises, rendu plus difficile leur croissance. Difficile de trouver dans ces petites villes les services dont les entreprises ont besoin, difficile également de trouver les compétences qui leur permettraient de se développer. Thouars, pour ne prendre que l’exemple de cette petite ville des Deux-Sèvres, a deux entreprises de plus de 250 personnes, Loeul et Piriot, un spécialiste de la viande de lapin, et la CEE, un spécialiste des sacs papier. Deux belles PME qui ont ou pourraient avoir des perspectives de croissance. Mais pour cela il leur faudrait des compétences qu’elles ne peuvent pas trouver sur place. Recruter un ingénieur pour améliorer le process industriel ? ce sera difficile. Des techniciens, des spécialistes marketing, des professionnels de la vente ? pareil. Lorsque l’on dit que les entreprises ont du mal à recruter malgré le chômage, lorsque l’on ajoute qu’elles ne se développent pas autant qu’elles pourraient, on oublie cette dimension. Quel ingénieur de qualité ira s’enterrer dans cette petite ville qui n’est pas sans charme mais qui n’offre à son épouse que peu de chance de trouver un emploi, qui n’a pas de maternité et dont les établissements scolaires ne préparent pas aux études supérieures qu’il peut souhaiter pour ses enfants. La disparition des services publics, leur dégradation contribue à la diminution de la compétitivité de beaucoup d’entreprises installées loin des grands centres urbains.

Il ne suffit pas, comme fait le rapport, de regretter que les jeunes ingénieurs ne choisissent plus l’industrie, il faut aussi se demander pourquoi tant d’entreprises n’arrivent pas à recruter des professionnels.

La compétitivité hors coût
Cette réflexion sur la géographie aurait amené les rédacteurs de ce rapport à approfondir ce qui est son autre grande faiblesse : l’analyse de ce manque de compétitivité. Ils distinguent bien la compétitive par les prix et celle par la qualité. Mais ils ne vont pas au delà. Prenons la compétitivité par les prix. On a beaucoup parlé du coût du travail, mais il n’en qu’une des composantes. L’autre est la technologie, la qualité des processus de production. Si l’économie américaine est sortie de sa longue léthargie, c’est grâce à l’injection massive de technologie, d’informatique, d’électronique… dans ses processus de production.

Le manque de compétitivité des PME françaises vient de ce qu’elles n’ont pas su profiter autant que leurs concurrents en Allemagne ou ailleurs, de ces technologies qui permettent de réduire les coûts. Les auteurs le signalent, ils donnent même des chiffres : 34 500 robots industriels, avec une moyenne d’âge élevée, sont en service en France, contre 62 000 en Italie et 150 000 en Allemagne. Mais ils ne vont pas au delà. Pourquoi les entreprises françaises sont-elles si peu équipées ?

Est-ce parce qu’elles sont trop petites ? parce qu’elles n’en ont pas les moyens ? parce qu’elles manquent des compétences nécessaires pour investir dans des technologies qui demandent des savoir-faire pointus, rares, qu’on ne trouve évidemment dans aucune de ces petites villes dans lesquelles sont installées tant d’entreprises. 

On aurait aimé qu’ils mettent l’accent sur ce phénomène, qu’ils s’interrogent et se demandent comment amener ces PME à s’équiper de matériels plus modernes. Mais non rien. Alors même que se poser ces questions, c’est presque y répondre.

S’équiper de ces technologies, de ces robots demande des moyens financiers. Ces PME les trouveront peut-être demain auprès de la banque publique d’investissement. Cela suppose aussi des compétences, et à défaut de pouvoir les recruter directement, pour les raisons qu’on a vues, des services qui les apportent aux entreprises.

Ils auraient pu insister sur la modernisation des centres techniques, des instituts Carnot, de ces institutions qui ont pour vocation d’aider les entreprises à accéder à ces technologies nouvelles mais qui ne le font manifestement pas de manière suffisante. Ils auraient pu proposer la réorganisation de ces réseaux, des financements, le développement de mécanismes qui favorisent le partage des inventions et permettent surtout à ces organismes de mettre à disposition des entreprises petites et moyennes des ressources, compétences, bases de données, contacts… qui les aident à moderniser leurs produits ou leurs processus de production. Qui mettent, pour ne prendre que cet exemple, les dirigeants d’une petite entreprise un peu perdue dans une petite ville en contact avec des gens au fait des dernières technologies.

Des réflexions de ce type les auraient sans doute amenés à s’interroger sur la possibilité de créer ce que l’économiste Marshall appelait au début du 20ème siècle des districts industriels, ce que les économistes appellent aujourd’hui plutôt des clusters qui sont à l’origine des succès industriels de l’Asie. Il s’agit de regroupement dans une même ville, une même vallée, une même région d’entreprises qui font le même métier ou des métiers voisins et qui peuvent donc partager des services en commun, logistique, marketing, recherche, exportation… On en a en France plusieurs exemples, le décolletage en Haute-Savoie, qui a permis à la France d’être leader mondial dans ce domaine, le vêtement avec la concentration des ateliers textiles dans le Sentier…

Ils auraient pu enfin parler autrement de formation. Ils en disent un mot, ils lui consacrent même un chapitre et soulignent les gaspillages de la formation professionnelle mais ils n’apportent de solution à un problème lié, pour l’essentiel, au détournement des budgets de cette formation par les organisations syndicales, ouvrières et patronales, comme l’avait montré le rapport Perruchot.

Lorsque l’on aborde les questions de formation, on évoque en général le rapprochement de l’université et des entreprises. Les auteurs de ce rapport ne manquent pas à cette tradition. Peut-être aurait-il mieux valu qu’ils s’interrogent sur les échecs répétés des multiples tentatives faites ces trente dernières années et qu’ils proposent ce qui serait tout à la fois le plus simple et le plus efficace, tant pour les entreprises que pour l’université et pour l’emploi des jeunes diplômés : la mise en place de dispositifs qui donnent aux entreprises la possibilité de contribuer au financement de thèses d’étudiants en troisième cycle. Cela inciterait les étudiants à se tourner vers le monde de l’entreprise et cela donnerait à celles-ci la possibilité de nouer des liens avec de jeunes chercheurs susceptibles d’être recrutés. On se plaint beaucoup de ce que les entreprises pratiquent peu la recherche ou, plutôt, qu’il y a peu de recherche privée. Ce serait un moyen de la développer.

Pourquoi ce rapport est-il si décevant ?
On l’a compris, j’ai trouvé ce rapport très décevant, trop court dans ses analyses, trop conventionnel dans ses approches. Cela peut, pour une part, s’expliquer par le peu de temps laissé à ses auteurs. Mais cela tient aussi à la méthode retenue. Ses auteurs ont compilé les rapports existants, repris leurs analyses, leurs données. Pas étonnant que dans ces conditions ils tombent sur les mêmes propositions et les mêmes résultats.

Cela tient encore, et peut-être surtout, à une erreur de casting. Louis Gallois est un grand industriel, il connait bien le monde des grandes entreprises internationales, il sait ce que peuvent être leurs problèmes de compétitivité et comment les résoudre. Il connaît beaucoup moins bien le tissu industriel français, les problèmes de ces PME dispersées sur tout le territoire qui n’arrivent pas à croître malgré leur potentiel. Il aurait pu pallier tout cela s’il avait eu le temps de mener de véritables analyses, s’il avait pu s’entourer de spécialistes de ces secteurs, s’il avait pu aller rencontrer ces dirigeants, réfléchir avec eux à leurs problèmes. Il n'en a, évidemment, pas eu le temps.

Est-ce que tout cela condamne les propositions de ce rapport et les décisions que le gouvernement a prises à sa suite ? pas forcément. La réduction du coût du travail soulagera sans doute nombre d’entreprises dans la période de grande difficulté que nous traversons, cela leur permettra de mieux résister au choc de la concurrence extérieure et peut-être même pour certaines de reconquérir des parts de marché, cela atténuera les critiques du patronat à l’égard du gouvernement et aidera à la négociation d’accords avec les organisations syndicales sur le marché du travail, le gouvernement pouvant dire aux patrons, au Medef,  j’ai fait ma part, à vous, maintenant de faire des efforts, mais cela suggère que les ces mesures risquent de ne pas donner des résultats à la mesure des attentes. Et c’est dommage.