Les chroniques économiques de Bernard Girard

20.9.12

François Hollande n’est pas, ne sera pas Roosevelt. Sera-t-il Schröder ?



Un modèle Roosevelt ?
Depuis quelques semaines commentateurs et journalistes, en général de gauche, cherchent à comprendre Hollande, à le devenir, en le comparant, tantôt à Roosevelt, tantôt à Schrôder ?
La comparaison avec Roosevelt est toute à la fois élogieuse et taquine puisqu’elle conduit le plus souvent à conclure qu’il pourrait le devenir mais qu’il est probable qu’il ne le sera pas.

Celle avec Schröder est moins élogieuse et plus polémique : qui, à gauche, souhaite vraiment réformer le code du travail dans le sens avancé par l’ex-chancelier allemand ? Aujourd’hui, pas grand monde, du moins officiellement.

Mais restons un instant sur la comparaison avec Roosevelt.

La comparaison est tentante puisque les deux présidents sont arrivés au pouvoir en plein cœur d’une crise d’extrême gravité, la crise de 1929 pour le président américain, celle de 2008 pour son successeur français.

Les deux arguments le plus souvent avancés pour explique que non, décidément, Hollande ne sera pas Roosevelt relèvent, pour l’un, du caractère et de la personnalité des deux hommes et, pour l’autre, de la politique économique : celle que François Hollande a choisi va, disent ses critiques, mener conduira au delà de l’austérité à la récession, c’est-à-dire à l’exact contraire de ce que Roosevelt que l’on associe un peu rapidement au keynésianisme aurait fait.

La comparaison est tentante mais fallacieuse. Hollande ne sera pas Roosevelt, pas mais pour bien d’autres raisons que celles avancées qui tiennent aux conditions historiques dans lesquelles l’un et l’autre Président sont intervenus.

Pour mieux comprendre ce qui les distingue, il faut revenir à la situation qu’a trouvée Roosevelt lorsqu’il a pris le pouvoir.

Un allié inattendu pour le président démocrate : le grand capital réformiste
La crise de 1929 fut, on le sait, d’une extrême brutalité aux Etats-Unis, bien plus qu’en France en 2008. On se souvient tous de ces scènes de films nous montrant ces chômeurs traversant les Etats-Unis pour aller trouver du travail à l’autre bout du pays. Elle fut d’autant plus brutale que n’existait alors à peu près aucun filet de protection sociale. Ce sera l’une des réussites du New Deal que d’avoir su créer des dispositifs protégeant un peu mieux les salariés. On pense notamment à la création en 1935 de l’allocation chômage et de l’allocation vieillesse, ce qu’on appelle aux Etats-Unis sécurité sociale. Les mesures qu’a annoncées François Hollande, celles dont parlent ses adversaires à gauche ou ailleurs en Europe paraissent bien fades à coté.

C’est une première différence, mais ce n’est pas la seule. Si Roosevelt a pu si profondément modifier le paysage social et économique aux Etats-Unis, c’est qu’il a trouvé en arrivant au pouvoir un modèle élaboré et préparé de longue date, depuis une dizaine d’années, par des segments importants du capitalisme américain.

Ce programme que l’on trouve présenté de manière systématique dans un plan écrit par le directeur général de la General Electric, l’une des principales entreprises de ce qui étaient alors les nouvelles technologies dessine ce que sera la politique de Roosevelt pendant ses premières années de mandat. Ce que sera, disons plutôt, celle de l’administration qu’il met en place pour lutte contre la dépression : la NRA, la National Recovery Administration.

Le plan Swope : un compromis historique
Cette administration que l’on pourrait avec un peu de malice comparer au ministère du redressement productif d’Arnaud Montebourg, reprend donc pour l’essentiel les mesures du plan Swope et des travaux de tous ces industriels qui réfléchissent depuis quelques années aux mesures qu’il faudrait prendre pour sortir l’Amérique de l’ornière. On peut les résumer ainsi :
- création d’un système d’assurance chômage et vieillesse pour réduire l’inquiétude des salariés, les fidéliser et les stabiliser,
- transformation des salariés, dont le nombre a explosé depuis le début du siècle, en consommateurs : ce qui veut dire augmentation des salariés, création d’un salaire minimum obligatoire, réduction du temps de travail,
 allégement des mesures antitrust qui gênent le développement des grands groupes industriels en confiant à des organismes professionnels, du type chambre patronale ou chambre de commerce le soin de définir des pris, de planifier, éventuellement, la production,
- standardisation des méthodes comptables et plus grande transparence des comptes des entreprises qui corrigent les dérives observées dans les années qui ont précédé la crise.

On l’aura remarqué, ces mesures, proposées par le segment le plus progressiste du grand capital, n’ont rien de spécialement philanthropique : ces chefs d’entreprise veulent en finir avec les lois antitrust qui les gênent dans leur développement et avec toutes les mesures qui exacerbent la concurrence, ils souhaitent développer leur marché en augmentant le nombre de clients solvables susceptibles d’acheter leurs produits. Et tout ceci en en conservant le contrôle. Pas folles les guêpes !

Mais on l’aura également remarqué, ces mesures ne sont pas pour déplaire aux salariés : voilà que des patrons, pas tous, non, juste quelques uns, ceux qui sont spécialisés dans la production de produits de grande consommation, veulent augmenter les salaires et réduire le temps de travail pour que les salariés aient le temps de consommer. Le dirigeant d’une grande chaine de distribution, Filene, le disait explicitement dans les multiples conférences qu’il donne un peu partout aux Etats-Unis.

Un modèle adapté à la grande entreprise
Je le disais, ce plan a été développé par des représentants des industries spécialisées dans la production de masse. Si l’on entre un peu plus dans le détail, on s’aperçoit que tous ses promoteurs dirigent de grandes entreprises qui appliquent les méthodes modernes de management de Taylor, l’organisation scientifique du travail, et qui peuvent donc, ils le disent, financer ces hausses de salaires, les cotisations sociales qu’ils appellent de leurs vœux par des gains de productivité.

Ils s’intéressent tous à ces questions et ce n’est sans doute pas un hasard si Gerard Swope, l’auteur de ce plan qui a servi de modèle à la NRA, a aussi contribué au financement de travaux sur l’amélioration de la productivité, notamment ceux de l’équipe d’Elton Mayo à Hawtorne qui a permis de montrer, découverte fondamentale des années trente, que les salariés travaillaient d’autant mieux qu’on se préoccupait plus d’eux. Il s’agissait, à l’origine de prouver que l’amélioration de l’éclairage des ateliers entrainait des gains de productivité. Au cours de leurs travaux les chercheurs ont fait varier, à la hausse et à la baisse cet éclairage, et découvert qu’à chaque fois qu’ils le modifiaient la productivité augmentait : ce n’était pas l’éclairage qui comptait mais l’attention portée aux salariées.

Mais naturellement, tout cela n’est possible que si tous les acteurs jouent le jeu. Que quelques industriels décident de se comporter en passagers clandestins, de ne pas augmenter les salaires, de ne pas verser de cotisations sociales, et c’est tout l’édifice qui s’effondre.

D’où leur insistance sur l’abandon des mesures anti-trust et leur volonté de contrôler la concurrence.

Une chance historique unique ?
On l’a compris, Roosevelt a bénéficié d’une chance historique : avoir un programme élaboré par des capitalistes susceptible de satisfaire la classe ouvrière. Je devrais plutôt dire d’une double chance historique : non seulement il avait le soutien de pans entiers de l’opinion pour mener cette politique, mais celle-ci s’appuyait de plus sur le modèle économique qui allait sortir l’occident de la crise de 1929 et assurer sa croissance pendant les quarante ans qui suivent : la société de consommation.
Cette alliance n’a pas duré très longtemps. Deux ans après sa création la NRA est jugée anticonstitutionnelle par la Cour Suprême, son programme n’est pas abandonné mais repris dans des textes de loi, comme le célèbre Wagner Act, qui font la part belle aux syndicats ouvriers, plus question de corporatisme, d’ententes patronale, ce qui suscite l’opposition résolue du patronat réformiste.
Mais l’impulsion était donnée. Et, de fait, on a vu dans les années qui ont suivi, se développer tous les outils de cette société de consommation : le crédit à la consommation, le marketing, la grande distribution, le libre-service, l’obsolescence programmée, la planification de la production… Cela s’est, d’abord, fait dans le secteur privé, puis la guerre venue dans le secteur militaro-industriel qui a développé ce que les économistes appellent parfois le keynésianisme militaire avec une planification de la production toute entière tournée vers des objectifs décidés par le politique.

Cette chance historique, François Hollande ne l’a pas. On ne voit pas quelles entreprises puissantes développent aujourd’hui des projets, des plans qui pourraient séduire des pans entiers de l’opinion et contribuer à construire une force suffisante pour renverser les obstacles. On ne voit pas d’ailleurs ce que pourraient être ces plans. Les entreprises spécialisées dans les énergies vertes pourraient éventuellement proposer des pistes, et c’est probablement de ce coté que l’on trouvera un jour ou l’autre la solution, mais on sait combien ces industries sont fragiles, peu sûres d’elles-mêmes et encore dépendantes des aides publiques.

On ne voit pas non plus quel modèle économique pourrait se substituer à la société de consommation. On en devine bien ici ou là les prémisses avec, par exemple, le développement de la location de voitures ou de bicyclettes dans les grandes villes qui invitent à remplacer une société de la propriété par une société de la location de services, avec, autre exemple, la mise au point, dans une entreprise comme Google, de dispositifs qui lui permettent de croître sans passer par des politiques d’obsolescence programmée de ses produits, mais on voit aussi comment des entreprises aussi novatrices et puissantes qu’Apple ont bâti et continuent de bâtir leur succès sur, justement, le renouvellement de plus en plus rapide de leurs produits.

Ces nouveaux modèles économiques qui permettraient de concilier exigence écologique et satisfaction des consommateurs n’en sont encore qu’à leurs balbutiements.

On l’a compris, c’est parce que François Hollande n’a pas cette chance historique qu’il ne pourra, quoi qu’il fasse ou qu’il veuille, qu’elle que soit sa force de caractère, devenir un nouveau Roosevelt.

Est-ce que cela le condamne à devenir un nouveau Schröder ?
François Hollande ne sera donc pas un nouveau Roosevelt. Est-il pour autant condamné à devenir un nouveau Schröder, du nom de ce chancelier social démocrate allemand qui a profondément transformé le droit du travail outre-Rhin ? A droite, on le souhaite ardemment, il suffit pour s’en convaincre de lire les éditoriaux de la presse magazine mais aussi de quelques quotidiens que l’on range plutôt à gauche. Le risque existe évidemment : quoi de plus facile que de céder aux demandes du MEDEF quand on voit se multiplier les plans sociaux ? A gauche, on le craint.

Il est évidemment bien trop tôt pour le dire. Beaucoup va dépendre du contenu des négociations sociales qui vont se tenir dans les semaines et mois qui viennent. L’un des points d’achoppement sera la flexisécurité qui devrait, comme dans le modèle danois, tout à la fois fluidifier le marché du travail, pour utiliser cet euphémisme qui veut tout simplement dire faciliter les licenciements, et dédramatiser le chômage, grâce à des indemnités fortes et des formations. S’il n’y a que cela dans ce nouveau compromis historique dont parlait il y a quelques jours Hollande, alors nous aurons notre Schröder, sans que l’on soit sûr que cela puisse résoudre nos problèmes puisque, à l’inverse de l’Allemagne, nous n’avons pas à nos frontières de Pologne, de Slovaquie, de Tchéquie qui offrent une main d’œuvre abondante et bon marché.

Reste, évidemment, une troisième solution : que Hollande invente et impose une voie nouvelle. Ce n’est pas le plus probable mais ce n’est pas impossible. Les références de plus en plus fréquentes dans la presse et dans les commentaires à Mendès-France, figure tutélaire d’une gauche rigoureuse, austère et efficace, font penser que cette hypothèse, la plus flatteuse pour François Hollande, n’est pas à exclure.



11.9.12

Tant de pauvres !

François Hollande a donc annoncé un tour de vis fiscal rigoureux qui devrait, nous a-t-il assuré, épargner les plus modestes et contribuer à réduire les inégalités. On ne sait s’il réussira ce qui ressemble à un tour de force mais il se pourrait bien que cette réforme fiscale si elle est conduite dans l’esprit qu’il nous a dit modifie assez profondément le paysage de la société française qui a beaucoup évolué ces dernières années.

On en a eu une indication assez inquiétante ces derniers jours avec la publication d’une note de l’INSEE sur les niveaux de vie en 2010. Son introduction mérite d’être lue en son entier avant même d’être commentée : « En 2010, selon l’enquête Revenus fiscaux et sociaux, le niveau de vie médian s’élève à 19 270 euros annuels, soit une diminution en euros constants de 0,5 % par rapport à 2009. Les 10 % des personnes les plus modestes ont un niveau de vie inférieur à 10 430 euros ; celui des 10 % les plus aisées est d’au moins 36 270 euros, soit 3,5 fois plus. Le niveau de vie baisse ou stagne pour pratiquement toutes les catégories de population sauf pour les plus aisées. Le seuil de pauvreté, qui correspond à 60 % du niveau de vie médian de la population, s’établit à 964 euros mensuels en 2010. La pauvreté continue de progresser. Elle concerne 8,6 millions de personnes, soit 14,1 % de la population contre 13,5 % en 2009. Cette progression affecte davantage les enfants : le taux de pauvreté des moins de 18 ans atteint 19,6 %, en hausse de 1,9 point. La non-reconduction de mesures d’aides ponctuelles, mises en œuvre en 2009 afin de limiter les effets de la crise sur les ménages modestes, et le gel de barème des prestations familiales en 2010, expliquent pour partie que cette population soit plus affectée. »

Tout cela mérite d’être repris dans le détail.

Quatre tendances
Comme toute enquête statistique celle-ci repose sur des concepts construits avec la plus grande précision. La pauvreté, par exemple, y est définie de manière précise : sont pauvres tous les personnes dont le niveau de vie est inférieur à 60% du niveau de vie médian, soit 964 euros mensuels. Je rappelle que le revenu médian est celui qui divise la société en deux, la moitié des individus sont au dessus l’autre moitié en dessous.

La notion de niveau de vie est elle-même très précise : il s’agit du revenu disponible d’un ménage, salaire, allocations de toutes sortes… divisé par ce que les statisticiens appellent des Unités de Consommation. Le premier adulte d’un ménage représente une unité de consommation, les autres membres du ménage de plus de 14 ans, 0,5 unités de consommation et les enfants de moins de 14 ans, 0,3 UC ou unités de consommation.

Il s’agit, on l’a compris, en réalité d’artefacts qui ne correspondent pas forcément au vécu de chacun. Il faut en effet distinguer la pauvreté ainsi définie de la pauvreté subjective que l’on pourrait définir comme l’écart entre les revenus dont on dispose et ceux que nous jugeons nécessaires pour subvenir à nos besoins, revenus minimum qui dépendent de facteurs sociologiques et qui varient selon le lieu de résidence, l’âge, les habitudes de consommation. Mais oublions un instant ces nuances. Cette enquête met en évidence quatre tendances fortes :
- une dégradation du niveau de vie de l’ensemble de la population, sauf des plus fortunés,
- une augmentation des inégalités,
- une progression du nombre de pauvres. La pauvreté concerne 8,6 millions de personnes, soit un peu plus de 14% de la population, elle ne concernait que 13,5% de cette même population en 2009 ;
et surtout des enfants : la taux de pauvreté des enfants de moins de 18 ans atteint 19,6% et il a progressé de près de deux points en un an.

Tout cela, on en avait l’intuition, on le devinait au détour d’un reportage, d’une visite dans une grande surface en province, d’une conversation dans la rue, avec un médecin, un instituteur, une assistante sociale ou une infirmière. On en a, avec cette étude, une preuve chiffrée, tangible qui va bien au delà des notations impressionnistes que chacun peut faire.

Des éléments d’explication
Ces tendances expliquent plusieurs réactions et comportements qui font la une des journaux sans que les politiques et les commentateurs en mesurent toujours l’incidence.

Je pense, notamment, à l’extrême sensibilité aux hausses des prix. Si l’INSEE nous dit dans d’autres études que l’inflation est faible, les ménages dont le niveau de vie diminue sont particulièrement sensibles aux hausses des produits de première nécessité et vivent une inflation qui n’apparaît forcément dans les chiffres.

Les réactions aux hausses des prix des produits pétroliers et la déception devant les mesures prises par le gouvernement sur le sujet s’expliquent mieux lorsque l’on sait que le poids des consommations de carburants et de combustibles pèse d’autant plus lourd dans le budget des ménages qu’on est moins riche. Toujours d’après l’INSEE, les dépenses d’énergie, chauffage et carburant représentent en moyenne 8,4% des dépenses des ménages, mais ce poids est plus élevé pour les plus pauvres, 9,6% pour les 20% de ménages les plus pauvres, et plus faible pour les plus riches, 7%. Je donne là des chiffres calculés sur les données de 2006, qui se sont probablement dégradés, mais on comprend que les hausses à la pompe suscitent autant d’exaspération.

De la même manière, on comprend mieux, en lisant ces chiffres, les difficultés de l’industrie automobile. Si l’achat d’une auto est l’une des premières sources de dépense des ménages, la dégradation du niveau de vie ne peut qu’en affecter les ventes. Il suffit que les automobilistes retardent de quelques mois ou quelques années le renouvellement de leur voiture pour que de grandes entreprises comme Peugeot ou Renaul toussent voire attrapent la grippe. Et ceci d’autant plus facilement, que cette dégradation des conditions de vie invite à rechercher des véhicules bon marché sur lesquels la concurrence des nouveaux entrants, chome Hunday, est particulièrement et sur lesquels les marges sont faibles. Si les entreprises automobiles veulent s’en sortir, il leur faut vendre sur de nouveaux marchés, en Amérique latine, en Asie, en Afrique, mais ce ne sera pas avec des voitures fabriquées en France. Ce qui nous amène aux raisons de cette dégradation du niveau de vie et, d’abord, bien sûr, au chômage…
Pourquoi cette dégradation du niveau de vie ?

La dégradation de l’emploi est, naturellement, un des motifs majeurs de cette diminution du niveau de vie, mais ce n’est pas le seul tant s’en faut. Deux autres facteurs, plus politiques, ont joué un rôle déterminant. Il y a, d’abord, eu, pour les plus âgés la dégradation des pensions liée aux différentes réformes des retraites. Nous étions nombreux à annoncer que les réformes successives des retraites contribueraient au développement de la pauvreté chez les retraités. Nous y sommes. Les retraités ont contribué en 2010 pour 11% à l’accroissement du nombre de personnes pauvres. Leur niveau de vie médian a reculé de 1,1%. Et l’on peut craindre que ce ne sera pas terminé tant parce que les effets des dernières réformes de la retraite ne seront pas pleinement sensibles. Faut-il l’ajouter ? les longues périodes de chômage et de non activité qu’ont vécues beaucoup de ceux qui vont arriver dans quelques années à l’âge de la retraite ne vont rien arranger.

Mais il y a aussi la politique menée par les gouvernements de droite ces dix dernières années, et notamment celle engagée par Nicolas Sarkozy. On lui doit la montée des inégalités mais aussi à la suppression en 2010 de la prime de 150€ aux bénéficiaires de l’allocation de rentrée scolaire qui avait été versée en 2009 et qui ne l’a pas été en 2010 et de celle de 200€ dite « prime de solidarité active » versée en 2009 aux bénéficiaires du RMI, de l’allocation de parent isolé ou d’une aide au logement et abandonnée en 2010.

Le montant de ces primes était faible, 150, 200€ mais leur suppression a eu un effet direct sur les statistiques, ce qui fait penser que les budgets de ceux qu’elles concernent sont vraiment très serrés, qu’il suffit de peu de chose pour améliorer la vie de chacun. En ce sens, on peut espérer que l’augmentation des primes versées par le gouvernement Ayrault, même si elles ont pu paraître modestes, modifie dans le bon sens les choses, tout comme, à l’autre extrémité de l’éventail des revenus, les mesures fiscales annoncées devraient contribuer à réduire les inégalités.

On notera, mais on le savait déjà, que les mesures fiscales de Nicolas Sarkozy qui visaient au fond à réduire l’impôt des plus riches pour les inciter à financer de l’activité et donc à créer de l’emploi et de la richesse pour tous, selon un modèle emprunté aux néo-conservateurs américains, ne fonctionnent pas. Ce que les économistes appellent le « trickle down », on dit en français ruissellement n’existe tout simplement pas. On le savait déjà, on en a ici une nouvelle illustration. A réduire les impôts des plus riches, on les enrichit sans que cela profite en quoi que ce soit aux plus pauvres. Tout simplement parce qu’ils ne contribuent en rien à la production des services et des produits que consomment les plus riches.

Trop d’enfants pauvres
Le plus pénible dans cette enquête est ce qui concerne les enfants. Leur taux de pauvreté atteint près de 20%, ils étaient moins de 18% en 2009 et 2008. Ils ont contribué pour les deux tiers à l’augmentation du nombre de personnes pauvres. Plus que tout autre ces chiffres donnent la mesure de la dureté de la politique menée pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Cette pauvreté des enfants touche en priorité deux types de familles, les familles monoparentales et les familles nombreuses. Un peu plus de 32% des familles mono parentales sont pauvres, au sens de l’INSEE.

Ces chiffres donnent le vertige. Et invitent  une réflexion. Il faut tout faire pour renverser cette tendance qui s’est probablement aggravée en 2011 et 2012 se retourne, et cela relève tant de la lutte contre le chômage que des aides sociales, mais il faut également éviter que ces enfants pauvres ne s’enferment dans la pauvreté, dans des comportements alimentaires, scolaires qui les condamnent à rester pauvres.
Cette pauvreté est un problème mal connu dont on commence tout juste à cerner les effets mais dont les politiques n’ont probablement pas encore pris toute la mesure. François Hollande insiste dans tous ses discours sur la jeunesse, mais il ne parle jamais des enfants pauvres. Or, c’est dans leurs rangs que l’on retrouve les jeunes sans qualifications qui restent de longues années au chômage. C’est dans leurs rangs également que l’on retrouve ces enfants obèses dont l’espérance de vie est plus courte que celle de moyenne de leur génération.

Un rapport du CERC réalisé en 2004 indiquait, par exemple, que près d’un tiers des jeunes, qui sortent de l’école à 17 ans sans diplômes « se trouvent dans le dixième des ménages ayant le plus faible niveau de vie. Ce qui signifie que, dans ce dixième, la probabilité de sortir de l’école à 17 ans sans diplôme est trois fois plus forte que dans l’ensemble de la population. La moitié des jeunes sortis de l’école à 17 ans sans diplôme vit dans le cinquième des ménages les plus pauvres. » Ce même rapport indiquait que si 15 % des enfants de 2 à 16 ans souffrent de surpoids ou d’obésité, « c’est le cas de 21 % des enfants pauvres, quelle que soit la tranche d’âge étudiée. L’enquête santé scolaire confirme ce constat : la surcharge pondérale atteint 17,3 % des enfants de 5 ou 6 ans scolarisés en ZEP, contre 13,3 % pour les autres, et ceci n’est pas lié au fait que les ZEP soient essentiellement situées en zone urbaine. » La pauvreté est un destin et il est du devoir de la société de faire en sorte qu’elle cesse de l’être. Cela passe par une aide aux parents mais aussi sans doute par une action approfondie de l’école dont le rôle est d’autant plus important que les enfants viennent de milieux plus défavorisés.

Une enquête restée sous le coude ?
Ces chiffres qui se sont sans doute dégradés depuis 2010 sont accablants pour les gouvernements Sarkozy. Si la crise est pour partie responsable de ces difficultés, les politiques menées par la droite ont beaucoup contribué à les aggraver. Celle menée par la gauche devrait, si l’on en juge par les premières mesures, freiner ces tendances. Suffiront-elles pour les inverser ? ce n’est pas certain.

Ces chiffres sont publics, accessibles à qui souhaite sur internet, ils sont cependant restés confidentiels. Mediapart est, je crois, le seul journal qui leur ait consacré un long article. Libétration y fait une rapide allusion dans un éditorial ce matin. Les hommes politiques ne l’ont pas lu. A droite, on comprend tant ce rapport technique, qui ne prononce un mot plus haut que l’autre, est sévère pour ses politiques. A gauche, cela est plus surprenant. Lutter contre cette progression de la pauvreté, surtout chez les enfants donnerait du sens à une politique qui prend par ailleurs chaque jour un peu plus des allures de rigueur, voire d’austérité. Elle apporterait un contenu accessible à chacun dans ces notions d’effort dans la justice que François Hollande met régulièrement en avant. Mais peut-être ne veut-on pas voir cette société qui se dessine sous nos yeux ? Une société que l’on commence à deviner lorsque l’on se promène en province, que l’on voit, dans certaines villes se multiplier les enfants en surpoids, une société qui se sent abandonnée, qui s’abstient aux élections ou qui vote Front National.

Mais peut-être suis-je mauvaise langue. Cette note a été rendue publique le 7 septembre. Nous sommes le 11, les politiques et les journalistes ont encore le temps de la découvrir, de la lire et de la méditer avant que cette pauvreté massive ne se traduise par des comportements aberrants, fascisme ici, intégrisme religieux là, désengagement de la société civile ailleurs. 

4.9.12

Crise : quelques lueurs d’espoir, beaucoup d’inquiétudes



Pour l’écouter

La trêve estivale, ces deux mois pendant lesquels on s’éloigne, on pense à autre chose, est terminée. Et l’on redécouvre, à la rentrée un monde où rien ne s’est arrangé : la situation des pays en difficultés, la Grèce, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, ne s’est pas arrangée. La Grande-Bretagne s’est enfoncée chaque jour un peu plus dans la dépression. Les jeux Olympiques n’auront été qu’un bref moment de répit. Le seul qui ait vu un peu de rose dans le ciel, c’est l’Irlande. La situation des pays qui avaient jusqu’à présent échappé à la crise, l’Allemagne, la Chine, les pays émergents s’est dégradée. Quant à la France, on sait ce qu’il en est : si nous ne sommes pas entrés en récession, c’est tout comme et l’on a vu les chiffres du chômage exploser.

Mais puisque nous sommes au tout début de cette rentrée, je vous propose de faire le point sur ce qui s’est passé ces derniers mois. En commençant, peut-être, par l’Irlande, le seul pays qui semble, pour l’heure, deviner le bout du tunnel.

Seule ou presque l’Irlande a profité de la baisse de l’euro
Je disais à l’instant que l’Irlande avait vu un peu de rose dans son ciel. Un peu, juste un peu, mais assez pour soulager un instant ce pays qui a beaucoup souffert et qui est tombé, on le sait, de haut. Ce rose est venu avec la baisse de l’euro.

Cette baisse a été fêtée dans la presse économique comme une bonne nouvelle puisqu’elle rendait les industries européennes plus compétitives sur les marchés internationaux. Encore fallait-il compter avec le poids de ces marchés dans le chiffre d’affaires des entreprises. Une entreprise allemande dont les exportations se font pour l’essentiel en Europe n’a rien gagné à cette baisse puisqu’elle vend en euros. Elle peut même avoir perdu pour peu qu’elle achète des composants en dollars ou en livres sterling. Ce qui est vrai d’une entreprise allemande l’est, bien sûr, de toute autre entreprise européenne.

S’il en va autrement avec l’Irlande c’est que pour des motifs historiques et linguistiques, elle commerce beaucoup avec la Grande-Bretagne, pays en dehors de la zone euro. Ses produits, certains au moins, sont donc devenus plus compétitifs sur le marché britannique. Ce qui a permis à son secteur manufacturier de retrouver le chemin de la croissance. C’était de tous les pays d’Europe le seul dans cette situation. Cela ne veut pas dire que le chômage toujours très élevé, ait diminué, il frôle toujours les 15%, mais cela pourrait annoncer un début de sortie de crise pour ce pays : de meilleures statistiques sur le front industriel rassurent les investisseurs étrangers, une amélioration du chiffre d’affaires des entreprises manufacturières annonce, pour l’année prochaine, de meilleures rentrées d’impôts, même si les impôts sur les sociétés sont particulièrement faibles en Irlande. La balance commerciale s’améliore puisque les exportations progressent tandis que les importations continuent, du fait du chômage, à reculer. Ce qui allège les besoins de financement. Enfin, l’Europe, rassurée, pourrait donner plus de temps à ce pays pour se sortir de ses difficultés.

Un coin, un tout petit coin de rose dans le ciel pour ce pays donc, mais un rose qui tient au cours de l’euro, que celui-ci se redresse et les difficultés risquent de revenir. Comme le disait il y a peu un financier : « Les chiffres de l’Irlande ne sont pas terribles, mais comparés à ceux de l’Espagne ou du Portugal… Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. »

L’Allemagne commence à sentir les effets de la crise
L’Allemagne dont on sait la puissance industrielle aurait pu profiter de cette baisse de l’euro. Cela n’a pas été le cas. Pour deux motifs : d’abord, parce qu’une part importante de ses exportations sont à destination de la zone euro et qu’elle a fini par souffrir des difficultés de ses voisins. Et, ensuite, parce que ses clients à l’extérieur de la zone euro, notamment la Chine, ont commencé à souffrir de leurs marchés européens.

Jamais depuis 2009, les achats des industriels allemands n’ont été aussi faibles, ce qui est, bien sûr, un mauvais signe : une entreprise qui n’achète pas est une entreprise qui n’a pas de nouveaux clients ou qui n’a pas confiance dans l’avenir. Plutôt que de lancer de nouvelles fabrications, elle tente d’épuiser ses stocks.

Cela s’accompagne, mais sera-t-on surpris, d’un déclin de prises de commande de l’industrie allemande, moins 8% sur un an, et, ce qui est toujours un indicateur significatif, de l’optimisme des industriels allemands.

Toujours au royaume des signes inquiétants, il y a la dérive des CDS (Crédit default Swap) du gouvernement allemand. Il s’agit d’instruments financiers conçus pour couvrir les défaillances d’un emprunteur. Leur dégradation veut tout simplement dire que les investisseurs ne font plus autant confiance à l’Allemagne qu’il y a quelques années, que les plus prudents voient s’accumuler les nuages au dessus de son économie.

Il serait naturellement tout à fait excessif d’en tirer des conclusions définitives. L’économie allemande se porte bien, infiniment mieux que celle de tous ses voisins. Son taux de chômage est faible, en dessous de 7% et surtout, bien inférieur à ce qu’il pouvait être il y a quelques années encore, même s’il progresse régulièrement depuis le début de l’année. Ses entreprises sont toujours aussi compétitives. Mais la crise commence à la toucher. Et si l’on a pu un instant penser que l’Allemagne pourrait tirer seule son épingle du jeu, il semble que ce ne soit pas le cas. Ce qui pourrait modifier son point de vue, d’autant que la crise économique chez ses voisins de la zone euro commence à donner naissance à des inquiétudes géopolitiques.

La Russie pourrait-elle venir au secours de la Grèce
Les Allemands ont été à ce jour parmi les plus sévères avec la Grèce. Ils l’ont dit et répété : ils ne veulent pas payer pour un pays qui ne collecte pas les impôts, qui a laissé se développer la corruption et qui a longtemps vécu avec des comptes truqués. Mais cette position rigoureuse commence à inquiéter outre-Rhin du coté même des alliés d’Angela Merkel. Ce n’est pas le sort des Grecs qui inquiète Michael Meister ou Alexander Dobrindt, deux poids lourds de la coalition gouvernementale, mais la place que pourraient prendre les Russes dans cette région. Le raisonnement est simple et assez convaincant. Si la Grèce est abandonnée par l’Europe, on peut craindre que les Russes n’en profitent pour s’installer dans ce pays qui se situe au sud de sa zone traditionnelle d’influence (Bulgarie, Macédoine), qui pourrait lui donner un accès à la Méditerranée et faire pendant à une Turquie très engagée dans le camp occidental.

Cette crainte pourrait paraître un peu déplacée et démodée : la guerre froide est finie depuis longtemps, mais le comportement des Russes à l’égard de la Syrie, la manière dont ils défendent son gouvernement pour protéger la base qu’ils possèdent dans ce pays invite à la prudence. Les Russes ont perdu beaucoup de leur superbe, mais ils n’ont certainement pas abandonné toute ambition de redevenir la puissance mondiale qu’ils étaient du temps du communisme.

Le rapprochement de la Grèce et de la Russie n’est pas nouveau. Il y a quelques années les deux pays avaient envisagé la construction d’un pipeline permettant le transport du pétrole russe jusqu’au port grec d’Alexandroupoli. Cela n’a pas pu se faire du fait des Bulgares qui s’y sont opposés, mais à cette occasion les liens entre les deux pays se sont resserrés. Et la crise que traverse la Grèce contribue à les resserrer un peu plus. La Russie aurait proposé à la Grèce de lui prêter 25 milliards de dollars et serait, en cas de sortie de la Grèce de la zone euro, certainement disposée à faire des efforts supplémentaires. 

Un léger mieux pour la Grèce ?
Qu’Alexander Doblind, un des dirigeants de la CSU bavaroise s’inquiète de ces questions est d’autant plus intéressant qu’il avait fait, il y a quelques temps parlé de lui en indiquant que la sortie de la Grèce de l’euro était à ses yeux inévitable et qu’il était de ceux qui pensaient construire la prochaine campagne électorale en Bavière contre l’euro. Peut-être ses inquiétudes géopolitiques l’amèneront-elles à calmer un peu sa colère anti-hellénique largement partagée par la population allemande si l’on en croit un sondage publié hier selon lequel à peine plus d'un quart des Allemands pense que la Grèce devrait rester dans la zone euro, selon un sondage publié hier selon et selon lequel 54 % des Allemands sont contre un maintien de la Grèce dans l'euro (sondage réalisé l'institut Harris pour le Financial Times). 

Que les politiques se fassent sur le dossier plus prudent serait bienvenu et pas impossible dés lors que  d’autres signes, infimes, font penser que la situation pourrait lentement, progressivement s’améliorer. Soyons clairs, il ne s’agit que de signes minuscules presque invisibles à l’œil nu qui seront peut-être démentis dans quelques jours ou quelques semaines, mais les Grecs semblent commencer à reprendre confiance dans leurs banques. C’est le Spiegel qui l’annonçait il y a quelques jours en reprenant une information de la BCE : les dépots dans les banques grecques ont cessé de dégringoler, ils ont même progressé de 2%. C’est peu, bien sûr, mais cela semble suggérer que les Grecs craignent un peu moins l’avenir, doutent un peu moins des possibilités de leur pays de rester dans la zone euro. Un sentiment que semblent, d’ailleurs, partager les économistes qu’interroge régulièrement l’agence Reuters. Ils étaient 35 sur 64 à penser il y a un an que la Grèce resterait dans la zone euro, ils sont aujourd’hui 45. Cela reste encore peu mais témoigne d’un léger mieux. 

Dans ce même article, le Spiegel fait également état d’un léger mieux en Espagne et en Italie, deux pays qui peuvent aujourd’hui emprunter à des taux plus faibles qu’hier. Mais il est encore trop tôt pour parler de bonnes nouvelles.

Toujours dans le domaine de ce que l’on n’ose appeler de bonnes nouvelles mais qui va tout de même dans le bon sens, il faut souligner les pressions de la Chine sur l’Allemagne pour qu’elle contribue enfin à la résolution de la crise en Europe. C’est le quotidien britannique, The Gardian qui nous le dit, les plus hautes autorités chinoises et, d’abord, le premier ministre, Wen Jiabao, qui insistait, il y a quelques jours, pour que l’Europe et, d’abord, l’Allemagne prenne des mesures pour enrayer la crise qui frappe l’Europe.

Il est vrai que la Chine a de quoi s’inquiéter.

La Chine commence à sentir les effets de la crise
Après ces pays en grandes difficultés venons en à la Chine. A en croire ses dirigeants tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Plusieurs indicateurs font, cependant, douter de ce bel optimisme.
Il y a, bien sûr, le ralentissement de la croissance. L'activité manufacturière en Chine est tombée en août à son plus bas niveau depuis mars 2009,selon un indicateur publié lundi par la banque HSBC. C’est, selon la banque, le 10e mois de détérioration consécutive des conditions d'opération du secteur manufacturier chinois.

Pas surprenant dans ces conditions que la bourse de Pékin n’ait jamais été aussi faible depuis 2009. Plus inquiétant que cette baisse du cours des actions, il y a le comportement de ces entreprises chinoises qui s’étaient placées sur les marchés boursiers occidentaux notamment américains et qui tentent aujourd’hui de les quitter de crainte de devoir être d’autant plus sévèrement sanctionnées qu’elles ne respectent pas toujours les règles comptables des entreprises occidentales. Elles sont 36, qui s’étaient affiliées au Nasdaq new-yorkais, à s’être engagées depuis 2009 dans des opérations de désengagement de ce type. Ce comportement n’a de sens que si elles ont des inquiétudes pour le futur. Si elles pensaient qu’il ne s’agit que d’un ralentissement de quelques semaines ou quelques mois, elles seraient sans doute moins inquiètes.

Dans un tout autre domaine, l’effondrement des cours du minerai de fer, dont la Chine est grosse consommatrice, fait penser que l’activité de l’industrie chinoise est en recul. Ce minerai a perdu 11% de sa valeur depuis avril dernier. Et ce qui est vrai du minerai de fer l’est de l’aluminium, du cuivre, tous matériaux dont la Chine est grosse consommatrice.

Or, les entreprises chinoises se sont toutes développées dans un contexte de croissance rapide, elles ne sont pas adaptées à des périodes de stagnation voire de recul de leur activité. Elles n’ont pas mis au point des politiques de trésorerie qui les protègent en cas d’effondrement de leur activité comme font les entreprises habituées à vivre dans des environnements plus contrastés où périodes de crise et de croissance alternent.  Cela se complique de ce que les banques chinoises ne sont pas équipées pour apporter ces avances en trésorerie dont pourraient avoir besoin ces entreprises. Elles n’ont pas développé l’ingénierie financière nécessaire.

Ce qui est vrai de la Chine l’est des autres pays émergents, de l’Inde, dont le taux de croissance a reculé mais aussi du Brésil qui commence à voir l’inflation se développer du fait de la hausse des prix des produits alimentaires, ils ont augmenté de 10% en juillet sur les marchés internationaux, du fait des conditions climatique, et ont un impact partout et tout particulièrement dans les pays émergents. Or, qui dit inflation dit resserrement du crédit de la part des banques centrales et donc frein à la croissance.

Une sortie de crise dont on commence à deviner les contours ?
Je pourrai ainsi poursuivre et continuer d’égrener les nouvelles économiques de ces dernières semaines. Je pourrais parler des prévisions de récession en Grande-Bretagne, des provinces espagnoles qui les unes derrières les autres se tournent vers l’Etat pour échapper à la banqueroute, lequel ne peut évidemment pas grand chose. Je pourrais parler de la situation française, du chômage qui a passé ces derniers jours le seuil des trois millions, j’y reviendrai dans les prochaines semaines, mais nous sommes entourés d’indicateurs économiques, inondés d’informations et le plus difficile n’est pas tant de les trouver que de tenter d’identifier celles qui paraissent le plus significatives, le plus intéressantes, celles qui dessinent le futur.

C’est un exercice difficile, extrêmement risqué. On ne peut que se tromper, prendre ses désirs pour des réalités. C’est, cependant, en cherchant dans cette montagne de données que l’on a quelque chance d’y voir un peu plus clair sur notre avenir. Et, de toutes ces données qui me sont passées devant les yeux ces dernières semaines, il en est une qui me paraît plus importante que d’autres. Plus importante parce qu’elle signale tout à la fois une modification des comportements des consommateurs et qu’elle semble une réponse collective, des consommateurs, des travailleurs, de nous tous à la crise de l’endettement que nous vivons depuis quelques années.

Lorsque l’on parle d’endettement, on pense surtout à celui de l’Etat, mais il est étroitement lié à la dette privée, à notre endettement aux uns et aux autres. C’est en regardant les statistiques de l’Irlande, de cette Irlande dont j’ai déjà parlé, que j’ai trouvé cette donnée qui me paraît annonciatrice de nos lendemains.

L’Irlande est le pays européen qui a été le premier touché par cette crise, celui qui vit depuis le plus longtemps avec cette dette colossale. Et l’on y voit aujourd’hui les comportements changer : le nombre d’Irlandais propriétaires de leur logement a chuté, il est passé de 75 à 70%., ce qui correspond à une augmentation de 47% du nombre de ménages qui louent leur logement. Il y avait en 2006, 323 000 ménages qui louaient leur appartement, il y en a aujourd’hui 475 000.

C’est important parce que le logement est le premier facteur d’endettement des ménages. La meilleure manière de réduire son endettement est donc de louer son logement plutôt que de l’acheter. Or, ce phénomène n’est pas propre à l’Irlande. On le retrouve aux Etats-Unis où des experts évaluent que trois millions d’Américains pourraient abandonner la propriété de leur logement pour s’orienter vers la location. On parle d’une croissance de 25 à 30% du marché de la location selon les régions. Pour la plupart de ces nouveaux locataires ce n’est certainement pas de gaieté de cœur qu’ils abandonnent la propriété de leur logement, mais ce nouveau marché attire déjà des investisseurs. Il devrait donc se développer rapidement dans les années qui viennent.

En Espagne, pays de propriétaires  dont la législation est très défavorable à la location, de nombreux économistes militent pour une libéralisation qui favorise la location. On devrait sans doute trouver des phénomènes voisins ailleurs.

Le désendettement de nos sociétés semble s’amorcer par le bas, par le désendettement des ménages.
Ce changement de comportement n’est évidemment pas désiré, mais il n’est pas sans avantages : il favorise la mobilité, le transfert de l’épargne vers d’autres activités que le logement, vers l’industrie, notamment, et annonce un autre rapport à la consommation. Rapport que l’on voit se dessiner dans nos villes avec l’apparition de ces transports collectifs d’un nouveau type que sont velib ou Autolib. Pourquoi être propriétaire d’une bicyclette ou d’un véhicule quand on peut en louer un ?
C’est le modèle de la société de consommation, nourri par le crédit, que des économistes comme Keynes ont théorisé au lendemain de la crise de 1929 et qui s’est vraiment développé au lendemain de la seconde guerre mondiale qui commence à se défaire au travers de cette crise qui devrait nous amener à inventer de nouveaux modes de consommation. Ces quelques signes que je soulignais à l’instant pourraient en être les prémisses.