Les chroniques économiques de Bernard Girard

26.6.12

Ecologie : que de reculs !




Le départ de Nicole Bricq, l’échec de Rio n’ont pas grand chose à voir. Et, cependant ces deux événements auxquels on pourrait en ajouter d’autres, ailleurs dans le monde, signalent un retour de l’indifférence à l’égard des questions touchant à l’environnement.

Indifférence symbolisée par l’absence de dirigeants politiques à Rio, à l’exception de François Hollande et, bien sûr, du Président du Brésil.

Cette indifférence est d’autant plus surprenante qu’on avait le sentiment que les préoccupations écologistes s’étaient imposées, que les spécialistes de l’environnement avaient sinon gagné la bataille sur le front des idées, du moins marqué de nombreux points. Même les climato-sceptiques paraissent avoir mis tant d’eau dans leur vin qu’on n’en rencontre plus qui doutent vraiment du changement climatique ou du rôle des activités humaines dans ce changement.

Or, on voit bien qu’il n’en est rien, que malgré les catastrophes multiples occasionnées par les forages en mer, un gouvernement socialiste, qui comporte plusieurs ministres écologistes, recule et cède à la pression de l’industrie. Pourquoi ?

Des engagements antérieurs
L’affaire Bricq est un bon exemple qui permet de mieux comprendre ces reculs.
Revenons donc sur les faits. Le 13 juin dernier, la ministre de l’écologie décide de geler de manière temporaire les permis de forage pétrolier au large de la Guyane détenus par le groupe Shell et un consortium où l’on retrouve Total. Considérant que le permis exclusif de recherche n’apporte pas de« contrepartie suffisante pour l’intérêt national », et que « la prise en compte des problématiques d’environnement n’est pas satisfaisante », elle veut procéder à « une remise à plat » des permis concernés. Les deux arrêtés préfectoraux qu’attendait Shell pour démarrer ses forages exploratoires ne devraient donc pas délivrés avant plusieurs mois.

Plusieurs mois parce que ce gel devait permettre de revoir un code minier, vieux de plus de deux siècles, qui accorde tous les droits aux détenteurs de permis. Le précédent gouvernement s’en était déjà inquiété et avait commandé à un avocat un rapport qui lui a été remis en octobre dernier. Rapport qui concluait à “une nécessaire et profonde réforme de la régulation juridique des ressources minières” mais aussi à la nécessité d’améliorer un dialogue environnemental aujourd’hui quasi-inexistant. 
Ce rapport concluait également, je le cite, à “la nécessité d’assurer la participation du public en amont des projets, non pas uniquement au moyen d’une multiplication des procédures d’enquêtes publiques mais par le recours à un panel de mesures qui assurent une participation continue, directe et indirecte, à tous les échelons territoriaux pertinents.

Il recommandait encore de “renforcer l’évaluation environnementale des projets au moyen du recours plus fréquent à l’étude d’impact et ce, dès l’instruction d’un permis exclusif de recherches.” Et il demandait que “la protection de l’environnement, la prévention des risques écologiques et sanitaires (soient) plus expressément et systématiquement inscrits au nombre des critères d’attribution des titres miniers et des autorisations de travaux miniers.” 

On comprend que tout cela aurait demandé du temps, beaucoup de temps et qu’il aurait été difficile de concilier celui de la conception et de la mise en place de ces changements et celui de l’industriel qui souhaitait démarrer au plus tôt ses opérations.

Il n’y a pas que l’économie
Nicole Bricq et son équipe, dont son directeur de cabinet, proche d’Arnaud Montebourg, ont voulu aller vite et anticiper. D’où cette décision de geler les permis accordés à Shell. Mais cette décision n’allait pas de soi : le gouvernement pouvait-il vraiment revenir sur ces permis sans se lancer dans une confrontation juridique dont il n’était pas certain de sortir gagnant? Les juristes pensent qu’un tribunal l’aurait selon toutes probabilités condamné puisque les permis avaient déjà été donnés. Si tel est bien le cas, ce gel n’aurait servi à rien.

On a, naturellement, donné d’autres explications à ce retournement. On a, notamment, mis en avant l’intervention des élus de Guyane, la volonté des pouvoirs publics d’assurer une production pétrolière nationale et des activités dans un département au taux de chômage très élevé. Ces élus seraient intervenus d’autant plus vivement qu’ils ont une représentante au gouvernement en la personne de Christiane Taubira, ce qui leur donne une visibilité qu’ils n’ont pas toujours eue, et que les réserves découvertes au large de la Guyane tout récemment, l’annonce en a été faite en septembre dernier, paraissent très prometteuses, tant en volume qu’en qualité.

On ne peut évidemment exclure cet argument. Lorsque l’on parle de ces questions, surtout en période de crise, on met toujours l’accent sur cette dimension économique, sur la conjonction des intérêts économiques des grandes firmes et de l’intérêt des politiques qui peut aussi être, comme dans cet exemple, celui des populations, mais l’économique n’est pas forcément le premier motif. Il faut aussi faire, comme semble-t-il ici, avec les contraintes juridiques. La volonté politique de protéger l’environnement, même lorsqu’elle est affirmée, et cela n’a sans doute pas été le cas, ne peut pas tout.
Et l’on touche là, sans doute, à l’une des raisons de ces reculs de l’écologie et de la défense de l’environnement : les institutions, et j’entends par là le droit, les procédures, les règles, tout ce qui, en un mot, encadre les décisions des agents économiques, n’ont pas évolué aussi vite qu’il aurait fallu. S’il est une leçon que l’on peut tirer de l’affaire Bricq, c’est que si l’on veut aujourd’hui faire bouger dans un sens favorable à la protection de l’environnement le fonctionnement de nos sociétés, il ne suffit plus de se battre sur le plan des idées ou sur celui de la politique, il faut aussi agir sur ce qui oriente, guide les actions des agents économiques et, d’abord, des entreprises : le droit, les procédures, les méthodes, les instruments de gestion.

Mais comment faire ?

Monétiser les externalités négatives
Plusieurs pistes peuvent être explorées. Le cas de la Guyane indique que des efforts doivent être réalisées du coté du droit.

C’est à l’occasion des discussions sur les gaz de schiste que l’on a découvert qu’il fallait revoir le code minier qui permet l’attribution de permis d’exploration sans prendre en compte la charte de l’environnement et le principe de précaution. Mais le code minier ne concerne que les entreprises spécialisées dans l’exploration et l’exploitation de richesses minères. Ce ne sont certainement pas les seules à polluer. Il faut certainement aller plus loin.

L’une des pistes les plus prometteuses en ce domaine est, pour employer le vocabulaire des économistes, l’intégration des externalités négatives dans le calcul économique. Ce qu’on appelle ainsi, ce sont, tout simplement, tous les coûts de la pollution. Lorsqu’une entreprise fait aujourd’hui ses calcul coût-bénéfice, elle ne s’en préoccupe pas, elle ne prend pas en compte l’impact de ses décisions sur l’environnement. Elle s’en préoccupe d’autant moins qu’elle l’ignore le plus souvent. Et lorsqu’elle l’envisage, c’est sous l’angle des assurances ou des risques: quelles amendes en cas d’accident ? quelles condamnations ? éventuellement, quelle atteinte à sa bonne réputation ?

Pour que cela change, il faudrait que les dirigeants soient amenés à intégrer dans leurs décisions les coûts de ces externalités pour la collectivité, qu’ils aient sous les yeux, lorsqu’ils prennent une décision les bénéfices que leur entreprise peut tirer d’un investissement, mais aussi ses coûts en matière d’environnement. Ce qui n’est pas aujourd’hui le cas mais ce pourrait le devenir demain.

C’est, en tout cas, ce que demandent les industriels les plus engagés dans la réflexion sur l’environnement, je pense notamment à ceux qui participent au WBCSD, le World Business Council for Sustainable Development. Ce qu’un des membres de cette organisation, Philippe Joubert, l’un des dirigeants d’Alsthom, expliquait de la manière suivante dans un entretien donné tout récemment à la Tribune : « Devant les changements auxquels les entreprises sont confrontées, elles ont besoin d’un reporting fiable, qui permette aux PDG de prendre des décisions sur de bonnes bases. Cela n’est pas le cas aujourd’hui. Pour y parvenir, il faut d’abord mesurer, en donnant les vrais prix, ce qui permet ensuite de corriger puis de contrôler. Pour chaque item, il faudrait indiquer dans le reporting à la fois ce que ça coûte et ce que ça devrait coûter si l’on prenait toutes les externalités en compte. Les prix du pétrole et du charbon, par exemple, ne se réduisent pas à leur coût d’extraction ! Les vrais coûts permettraient également de distinguer les bons et les mauvais élèves. »

Donner un prix à la nature?
Tout cela est bel et bon, mais comment procéder ?

On le devine, les industriels membres du WBCSD ne souhaitent pas des régulations très contraignantes. L’intervention de Philippe Joubert l’indique : il ne s’agit pas de forcer les dirigeants, juste de leur donner des informations qui offrent, à ceux qui le souhaitent, la possibilité de prendre de meilleures décisions.

Non que ces industriels soient naïfs, ils savent bien que cette seule information sur les coûts ne suffira pas à modifier les comportements, mais ils se méfient comme de la peste des régles trop contraignantes et parient plutôt pour un renforcement des sanctions. Il faudrait, à les entendre rendre ces externalités négatives tellement coûteuses que les entreprises soient amenées à innover pour échapper à des coûts trop élevés. Il s’agirait, au fond, d’augmenter tellement les coûts des sanctions pour pollution que les entreprises n’aient d’autre solution que de les prendre en compte dans leurs calculs. Et pour inciter les entreprises à faire des efforts, ils proposent que les investissements consentis en faveur de l’environnement soient compensés par une diminution des charges qui pèsent sur l’emploi. Ceci, disent-ils, pour éviter la progression du chômage. Ce qui reviendrait, en somme, à échanger l’environnement contre le social. Ce qui n’est évidemment pas satisfaisant.

Mais au delà de cette première critique, on peut s’interroger, se demander si cette seule mesure suffirait ? ce n’est pas évident et pour une raison toute simple : le temps de la décision économique est celui du court terme, des bénéfices à la fin du trimestre ou de l’année. Celui de la pollution est de long terme.
Non seulement la pollution est cumulative et ne se révèle souvent que bien après qu’elle ait été entamée, mais l’accident aux conséquences irréparables peut se produire des années après que la décision a été prise. Quoiqu’informées du coût pour la collectivité de leurs décisions, les entreprises pourraient donc continuer à préférer le futur immédiat des bénéfices de leur entreprise au bien être futur de la collectivité. Surtout si les donneurs d’ordre, je veux dire les actionnaires, restent à l’abri des sanctions. Parce qu’aujourd’hui, si l’on sanctionne les entreprises, il est bien rare que les actionnaires aient à en souffrir. Du fait des logiques de la responsabilité limitée, on ne peut les atteindre. Et comme ils sont très mobiles, les plus habiles partent avant que l’entreprise ne soit sanctionnée. Agir sur l’irresponsabilité des actionnaires serait une des mesures à prendre, mais j’en ai, je crois, déjà dit un mot la semaine dernière.

A cette première difficulté s’en ajoutent bien d’autres. Politiques, d’abord : comment évaluer les coûts de la pollution ? sur quelle base ? comment prendre en compte les probabilités d’accident ? philosophiques, ensuite : est-il bien sage de donner un coût à la nature ? à l’air que l’on respire ? ne risque-t-on pas de s’engager, avec ces méthodes, dans une marchandisation de la nature ? dès lors que l’air pur a un prix, pourquoi ne pas le vendre ? pourquoi ne pas en faire un produit commercial ?
On sait que pour ces motifs plusieurs ONG sont hostiles à toute solution qui reviendrait à donner une valeur monétaire à la nature. Ce que l’on comprend bien mais qui rend en même temps difficile la construction de ces instruments de gestion qui seuls permettraient d’intégrer la question environnementale dans le quotidien des entreprises.

Introduire le coût environnemental dans le calcul économique
La solution serait, en effet, d’introduire dans la comptabilité des entreprises, les coûts environnementaux, un peu à l’image de ce que l’on a fait au 19ème siècle lorsqu’on les a amenés à introduire dans leurs calculs économiques les coûts sociaux, la maladie, la vieillesse, le chômage, les accidents du travail… On peut imaginer de multiples solutions basées sur l’assurance, en obligeant les entreprises à s’assurer contre les risques industriels à long terme, sur la modification des droits de propriété en les rendant responsables des produits qu’elles commercialisent  lorsqu’ils ont cessé d’être utilisés, en introduisant dans le calcul des cotisations maladies l’impact des productions de l’entreprise. Le tabac étant responsable de nombreux cancers, les entreprises qui le commercialisent pourraient être taxées à hauteur de son coût pour la société… 

L’objectif est simple : amener les entreprises à intégrer dans leurs calculs économiques le coût de leur activité pour l’environnement et la société.  Et, ce faisant, les inciter à rechercher des solutions qui réduisent l’impact de leur activité sur le milieu.

L’objectif est simple à formuler, il est certainement bien plus difficile à mettre en musique. D’autant plus difficile que les résistances seront, on le devine, fortes. Mais c’est à cela que devraient aujourd’hui s’attacher les écologistes et, avec eux, tous les défenseurs de l’environnement.