Les chroniques économiques de Bernard Girard

10.4.12

L'écologie est en crise



Le paradoxe de l'écologie

C’est l’évolution des rapports de forces à gauche dans cette campagne qui est à l’origine de cette chronique. Que le parti socialiste soit haut dans les sondages est une chose qui ne surprend guère, mais que, d’un coté, le front de gauche obtienne un tel succès alors que la candidate écologiste s’est effondrée surprend. Il surprend parce que l’on sait que le projet de Mélenchon ressemble trop, dans son esprit sinon dans le détail des mesures, au programme commun de 1981, pour ne pas être lourd, dans l’hypothèse où il serait appliqué, de déception. Et parce que l’on sait aussi que l’écologie, la protection de l’environnement, la lutte contre les excès de l’industrialisation, sont une des questions centrales de nos sociétés. Les rapports de force des uns et des autres dépendent peut-être des personnalités, de l’engagement de leur entourage, du positionnement du principal candidat de gauche qui a, probablement, siphonné les voix écologistes et favorisé, par son positionnement résolument modéré, la reconstitution d’une force importante à sa gauche. Et c’est moins, donc, sur cette dimension politique que je voudrais insister que sur ce paradoxe, dont l’effondrement dans les sondages d’Eva Joly n’est qu’un symptôme, qui voit le projet écologique prendre l’eau de toutes parts alors même que nous voyons sous nos yeux les effets du dérèglement climatique, de la prolifération des déchets, de tous ces risques que les écologistes ont été les premiers à mettre en avant.

L’écologie prend l’eau de toutes parts 

En fait, l’effondrement d’Eva Joly s’inscrit dans une séquence très négative pour ceux qui s’intéressent aux questions d’écologie. Il y a quelques jours, on nous annonçait que les jugements sur la catastrophe de l’Erika pourraient être renversés, un peu plus tôt Nicolas Sarkozy s’en est pris aux règlements qui, sous couvert de protéger l’environnement, créeraient trop de contraintes pour l’agriculture, son gouvernement a annoncé son intention d’autoriser, sous prétexte de recherche scientifique, l’exploration des gaz de schiste dont chacun connaît les dangers pour les nappes phréatiques. Et ce phénomène n’est pas propre à la France. On le retrouve ailleurs. En Amérique du Nord, la Western Climate Initiative qui devait inciter des Etats américains et des provinces canadiennes à lutter ensemble contre le changement climatique est entré en sommeil, plusieurs Etats américains l’ayant abandonnée au profit d’une association moins exigeante. Et ceci probablement sous l’influence des républicains et des conservateurs qui nient le changement climatique.

 On peut être tenté d’expliquer cette évolution paradoxale par la crise économique qui modifie l’ordre des priorités. Lorsque plus rien ne va le futur proche passe devant le futur plus éloigné, les lobbies se déchaînent.

 Mais justement, la crise climatique ne relève plus du futur lointain, elle ne relève même plus du risque comme l’a longtemps été le nucléaire, c’est une réalité d’aujourd’hui. La multiplication des accidents climatiques, des ouragans et autres tornades paraît de plus en plus liée au réchauffement de la planète. Tout le monde le dit, y compris l’OCDE, dont le dernier rapport sur le sujet est sans appel. Alors pourquoi?

 La crise est certainement l’une des explications : il suffit aux lobbies de toutes sortes d’agiter la menace de licenciements massifs en cas d’application d’un règlement trop contraignant pour que les gouvernements cèdent. C’est ce que vient de faire Air France qui a invité le gouvernement à agir auprès de Bruxelles pour abandonner la taxe carbone. Mais d’autres facteurs entrent en ligne de compte :

 - Les erreurs stratégiques des écologistes, des partis verts, de tous ceux qui portent le drapeau de la lutte contre les pollutions,
- et, l’efficacité réduite des solutions jusqu’ici mises en œuvre qui conduisent à une certaine déception.

L’obsession nucléaire 

On peut reprocher aux écologistes de ne pas avoir hiérarchisé risques et problèmes. A les entendre, la question nucléaire est aussi importante que le dérèglement climatique. Que le nucléaire présente des inconvénients majeurs, c’est une évidence que Fukushima nous a douloureusement rappelé, mais c’est aussi de toutes les productions de masse d’énergie, celle qui produit le moins de CO2 , et de loin, et a donc le moins d’impact sur le climat. Toutes les études le montrent. Et lorsque les organisations écologiques veulent le contester, elles utilisent des arguments que l’on pourrait, avec euphémisme, qualifier de faibles. En voici quelques uns développés dans un rapport de Wise pour le WWF :

- le nucléaire absorbe des investissements qui pourraient être mieux utilisés ailleurs,
- il incite à développer des réseaux électriques massifs,
- les pays utilisateurs de nucléaire sont aussi les plus gros émetteurs de CO2,
- le nucléaire ne produit que de l’électricité alors que le plus gros de nos besoins énergétiques concernent la chaleur,
- le nucléaire est une énergie qu’on ne maîtrise pas et qui pose, par ailleurs, les problèmes de déchets.

Le dernier argument est tout à fait sérieux, mais les autres ne valent pas grand chose. Dire que les pays utilisateurs de nucléaire sont aussi de gros émetteurs de CO2 relève de la tautologie : ce sont les pays les plus développés qui utilisent le plus le nucléaire, mais ce sont aussi par définition ceux qui ont le plus de voitures, d’usines et qui, donc, produisent le plus de CO2.

A mettre ainsi en avant la lutte contre le nucléaire, les écologistes en viennent à négliger ce qui devrait être les batailles majeures : la lutte contre le dérèglement climatique, celle contre la prolifération des déchets et celle, enfin, contre les pesticides, les OGM et tout ce qui dégrade notre environnement naturel.

On l’a bien vu lors des négociations avec les socialistes : c’est sur le nucléaire qu’elles ont peiné, c’est sur ce sujet (et, bien sûr, celui des candidatures aux législatives, mais c’est une autre histoire) que les négociateurs se sont le plus accrochés, c’est celui qui a retenu toute l’attention, laissant dans l’ombre les mesures à prendre pour mieux lutter contre le dérèglement climatique et les catastrophes industrielles.

Une confiance trop aveugle dans les énergies nouvelles 

 L’autre erreur stratégique concerne les énergies nouvelles. Les écologistes insistent beaucoup sur l’éolien ou le solaire, dont chacun sait bien qu’ils ne sont pas à ce jour très efficaces, alors même qu’ils suscitent déjà les protestations de tous ceux qui n’en veulent pas dans leur jardin. Parce que ces énergies sont aussi très polluantes. Qui a envie de vivre à coté de champs de capteurs solaires dont le développement supprimerait des milliers d’hectares de terres agricoles ? qui souhaite voir installée une éolienne dans son environnement ?

Il aurait été beaucoup plus utile de mettre l’accent sur les économies d’énergie qui peuvent être réalisées dans les secteurs industriels. L’informatique est un bon exemple. Elle représente aujourd’hui, tous ordinateurs confondus, à peu près 4% de la consommation mondiale d’électricité. Google a donné il y a quelques mois des chiffres sur ses consommations d’électricité en 2010 : 2, 6 milliards de kWh, soit l’équivalent de la consommation de 200 000 foyers américains. L’essentiel de cette énergie est utilisée pour refroidir les centres informatiques. Or, il parait possible de les faire tourner sans les réfrigérer. C’est ce qu’expérimente actuellement Google en Belgique, ce qui ne pose, semble-t-il, guère de problème pour les machines, mais interdit aux employés d’y circuler tant la chaleur peut y être élevée en été, entre 68 et 72° en moyenne qui peut monter dans certaines journées très chaudes jusqu’à 95°, mais ceux-ci peuvent être remplacés par des automates.

Mettre les économies d’énergie en avant permettrait de plus réfléchir à l’effet rebond et au moyen de l’éviter. On appelle ainsi ce phénomène qui fait que les progrès réalisés en matière d’économie ne conduisent pas forcément à des baisses globales de consommation. Les voitures modernes consomment moins d’essence au 100km, mais si, grâce à la réduction du budget carburant, on fait plus de kilomètres, on en consomme plus. Cet effet, connu depuis longtemps puisque c’est un économiste du 19ème siècle, Jevons, qui l’a, pour la première formulé, est massif et il est nécessaire d’en tenir compte.

Les entreprises récupèrent et instrumentalisent la RSE 

Il y a donc les effets de la crise, ces erreurs stratégiques des écologistes mais aussi le manque d’efficacité des mesures jusqu’ici prises. Et je pense notamment à celles que l’on associe, dans le monde des entreprises, à la RSE, à la Responsabilité Sociale des Entreprises, un mouvement qui incite les entreprises à se préoccuper de leur impact social et environnemental et à mener des politiques en faveur du développement durable.

Beaucoup de choses ont été faites dans le domaine. On a réglementé, toutes les grandes entreprises ont créé des départements spécialisés, les universités forment des professionnels, une norme, ISO 26000 a été éditée et toute une série d’outils et concepts sont aujourd’hui à la disposition des entreprises : rapport annuel, agences de notation spécialisées, investissement socialement responsable, éco-conception… Et pourtant, on a le sentiment que les accidents industriels sont toujours aussi nombreux et que l’industrie produit toujours plus de CO2. Qu’est-ce qui ne va pas ?

On en a une première idée en lisant les rapports sur la RSE que produisent toutes les grandes entreprises. Lorsque l’on regarde dans le détail et, surtout lorsque l’on lit les études qui leur sont consacrées, comme celle réalisée il y a quelques mois par l’AMF, l’autorité des marchés financiers, sur ceux d’ une trentaine de sociétés cotées, on découvre qu’ils sont très hétérogènes. Si certains, très copieux, font jusqu’à 80 pages, d’autres n’en ont pas plus de 5. 27% n’affichent aucun objectif et 50% n’ont pas d’objectifs chiffrés. Plus grave, peut-être, il semble que les soucis majeurs des entreprises qui se lancent dans des politiques de développement durable sont d’éviter les risques financiers, risques liés, par exemple à la condamnation au versement de dommages et intérêts en cas de catastrophe, et de séduire leurs collaborateurs. C’est un thème qui revient régulièrement dans les rapports des sociétés analysés par l’AMF, mais que l’on trouve également dans les propos des dirigeants des multinationales qu’a interrogés  Carol Adams,  une universitaire britannique. Des travaux réalisés sur le même sujet sur des entreprises japonaises montrent qu’il s’agit pour elles, surtout, de satisfaire les attentes de leurs partenaires ou clients occidentaux. Ces rapports sont moins des photographies des risques et des efforts réalisés que des outils de communication.

 On peut craindre que les politiques menées dans les entreprises ne se situent dans la même logique. Elles ont bien conscience des risques, mais ne font pas grand chose pour lutter contre. Les trois quarts des répondants à une enquête de l’OCDE reconnaissent les risques liés au changement climatique, mais seulement deux cinquièmes indiquent qu’ils effectuent des évaluations.

On fait, bien sûr, des choses, mais certainement pas autant qu’il conviendrait. Bien au contraire, dans nombre d’industries, les évolutions des processus de production vont à l’encontre de la lutte contre le CO2.

Des processus de production plus gourmands

On sait que de gros efforts ont été faits dans de nombreux pays, notamment en Europe, pour inciter les entreprises à réduire leurs émissions de polluants. Mais en même temps, le processus de production paraît en avoir favorisé la production.

La plupart des produits que nous utilisons aujourd’hui sont des assemblages de pièces qui viennent d’un peu partout dans le monde. Le téléphone portable en est un bon exemple. Cette fragmentation du processus de production augmente les consommations d’énergie comme on le découvre lorsque l’on analyse cette consommation sur tout le cycle de vie d’un produit. Nokia l’a fait avec l’un de ses téléphones portables et découvert qu’un peu plus de 10% de l’énergie consommée l’est par les transports. Transports des composants vers les usines de montage et transports de ces usines de montage vers les magasins qui les distribuent et les vendent. Ces transports se faisant pour l’essentiel par avion leur impact sur le réchauffement global est de l’ordre de 16% de l’impact potentiel global d’un portable.

Autre facteur qui contribue à la production de polluants : l’obsolescence programmée. Dans son étude,  Nokia donne une durée de vie de 2,5 ans à ses téléphones. Ce qui correspond à peu près à l’expérience de chacun. Si les produits électroniques, téléphones, ordinateurs… duraient deux fois plus longtemps, leur impact écologique serait naturellement plus faible, tant en matière de consommation d’énergie ou de produits rares qu’en production de déchets souvent toxiques. (voir sur ce sujet : Robinson,  E-waste: An assessment of global production and environmental impacts).

La miniaturisation, autre caractéristique des produits contemporains, va dans le même sens. Je ne prendrai qu’un exemple : ces semi-conducteurs, les puces que l’on trouve dans les ordinateurs. On pense souvent que la dématérisalisation de nos économies, le passage à une économie de service favorise la lutte contre les pollutions. Ce n’est pas si simple. Plus les semi-conducteurs sont performants plus il faut d’énergie et de matériaux de base pour les fabriquer. On estime qu’il faut de 1, 2 kilo à 2,3 kilos de combustible fossile pour produire un semi-conducteur de deux grammes, soit 600 fois son poids dans la meilleure des hypothèses (The 1,7 kilogram chip). A titre de comparaison, il faut de 1500 à 3000 kilos de combustible fossile pour construire une voiture, soit à peu près deux fois son poids. On estime, dans le même ordre d’esprit, qu’un écran de télévision plat produit trente fois son poids en déchets.

Pourrait-on faire mieux ? bien sûr. Une modification de l’architecture de nos systèmes informatiques, ce que l’on appelle le « thin computing » qui consiste à déporter sur un serveur central disque dur et mémoire réduirait, de manière significative tous ces coûts. Et ce qui vaut pour l’informatique vaut, naturellement, pour bien d’autres secteurs de l’industrie qui gagneraient à appliquer ce qu’on appelle l’éco-conception.

L’irresponsabilité organisée

La structure des multinationales favorise, par ailleurs, leur irresponsabilité. A mesure qu’elles se sont développées, les grandes entreprises ont multiplié les filiales à l’étranger, ont signé des accords des joint-ventures avec des concurrents, ont fait appel à la sous-traitance. Ces structures sont nécessaires tant pour être présent sur les marchés étrangers que pour accéder aux fournisseurs qui offrent les meilleurs conditions, mais elles donnent aux entreprises bien d’autres souplesses. Elles leur permettent de pratiquer massivement l’évasion fiscale et d’échapper à leurs responsabilités en cas d’accident ou de catastrophe. Elles utilisent pour cela deux angles d’attaque : la compétence des tribunaux et la responsabilité limitée.

Prenons le cas d’une entreprise qui a un accident industriel dans un pays pauvre. Les victimes cherchent à obtenir des dommages et intérêt. Si elles portent plainte dans leur pays, il y a fort à parier qu’elles n’obtiendront pas grand chose : le droit de la responsabilité n’y est pas très développé, les tribunaux n’accordent que peu de dommages et intérêts. Le feraient-ils même qu’ils buteraient sur les capacités de paiement de la filiale locale qui est en général peu capitalisée. La maison mère a de l’argent ? sans doute, mais elle est protégée par le principe de responsabilité limitée. On ne peut pas remonter jusqu’à elle.

Pour échapper à cela, les avocats des victimes peuvent décider de porter plainte dans le pays de la maison mère. Mais ils risquent alors de buter sur des tribunaux qui se disent incompétents et invoque ce que l’on appelle, dans les pays anglo-saxons, le « forum non conveniens ». C’est ce qui est arrivé aux victimes de la catastrophe de Bhopal, à celles de Shell au Nigeria. C’est ce qui devrait arriver demain aux victimes de BP en Louisiane : seule la filiale américaine paiera des dommages et intérêts. Elle ne le fera qu’en fonction de ses ressources.

Ce n’est pas qu’une affaire de juristes et d’avocats spécialisés dans les poursuites en dommages et intérêts. Les entreprises dont les activités peuvent être dangereuses prennent des assurances, font des provisions pour risques… qui ont un impact sur les résultats et qu’elles cherchent naturellement à réduire. Les quelques travaux sur le sujet montrent qu’il y a une utilisation stratégique de ces outils comptables (voir là dessus Maurice & Plot, Double diffusion des entreprises dans le rapport annuel). Les entreprises minimisent ces provisions lorsque l’accident n’est qu’un risque, elles les augmentent lorsqu’il y a eu une catastrophe pour réduire leurs bénéfices et éviter une sanction politique.

Pour conclure 

L’écologie politique a eu l’immense mérite de porter sur le devant de la scène la question de l’environnement, elle a modifié profondément notre regard sur le monde industriel et fait évoluer nos valeurs. Si elle est aujourd’hui autant en difficulté, c’est sans doute qu’elle s’est arrêtée en chemin, qu’elle manque d’audace et n’a pas su proposer des réformes qui touchent à ce qui fait aujourd’hui défaut : - la transparence de l’information, - le processus de production, - la responsabilité des entreprises. C’est d’autant plus regrettable que sur chacun de ces sujets, il suffirait de piocher dans la littérature académique que les écologistes ont inspirée pour trouver des idées et des propositions.