Les chroniques économiques de Bernard Girard

26.3.12

Sur la fiscalité des entreprises





Et si l’on parlait également de l’imposition des sociétés
Depuis le début de la campagne électorale on a beaucoup parlé des impôts, des impôts des particuliers, de la proposition de François Hollande de créer un taux marginal de 75% pour les revenus supérieurs à 1 million d’euros, mais on a peu parlé des impôts des sociétés, alors que ceux-ci représentent, en France, une part importante des recettes de l’Etat, à peu près 17%, et qu’un peu partout dans le monde ces impôts sur les sociétés sont engagés dans une course au moins disant. Que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, on entend très souvent dire qu’il faudrait les diminuer. Et nombreux sont ceux qui le font. Il y a quelques jours seulement, le ministre des finances britanniques, Osborne, a annoncé des mesures qui baisseront, d’une part, le taux d’imposition des plus riches et, d’autre part, diminueront les impôts que paient les entreprises, et d’abord les multinationales. Tout cela surprend un peu alors même que les Etats luttent contre des déficits croissants et mérite que l’on y regarde de plus près.

Les impôts que paient les sociétés
Avant d’aller plus loin peut-être faut-il dire un mot des impôts que paient les entreprises. Ils sont de deux types. Il y a l’impôt sur les sociétés, l’IS dont le taux est, en France, de 33, 3% et il y a les impôts locaux, la Contribution économique territoriale qui remplace la taxe professionnelle, auxquels il convient d’ajouter quelques taxes basées sur les salaires (taxe d’apprentissage, contribution à l’effort de construction…) qui représentent à peu près 1,5% de la masse salariale. Mais plus que ces chiffres et taux, c’est la tendance qu’il faut regarder. Et partout dans le monde, sauf, pour l’instant aux Etats-Unis, elle est à la baisse. En 10 ans, de 1999 à 2008, dernière année pour lesquelles nous avons des statistiques globales, le taux d’imposition des entreprises est passé, dans le monde, de 31,4%  à 25, 9% et l’Europe est la région dans laquelle cette baisse des impôts sur les sociétés a été la plus rapide et la plus forte puisqu’il est passé de 34,8% à 23, 2%.

Cette baisse très significative est pour beaucoup liée à la concurrence fiscale qui s’est installée entre pays en Europe. On pense, notamment, à la politique menée par l’Irlande qui, pour attirer les entreprises internationales, notamment les grandes entreprises américaines, a pratiqué un véritable dumping fiscal. Dumping qui a naturellement incité les pays voisins à faire de même pour retenir leurs entreprises. Sans que cela soit le moins du monde efficace. Cela n’a pas empêché les délocalisations et, malgré sa politique l’Irlande n’a pas échappé à la crise. Bien au contraire, elle est de ceux qui ont été le plus durement touchés. D’autant plus durement touchés que les entreprises qu’elle avait attirés n’ont pas hésités à la quitter lorsqu’ils ont trouvé mieux ailleurs.

Cette concurrence fiscale a pris de nombreuses formes. On a baissé les taux d’imposition des entreprises, on a aussi multiplié les niches fiscales et laissé se développer ce que les spécialistes appellent l’optimisation fiscale. Il s’agit de techniques comptables, fiscales qui permettent aux entreprises les mieux armées d’échapper à tout ou partie de l’impôt en jouant des niches fiscales mais aussi de leur internationalisation.

L’impôt sur les sociétés, une assiette en voie de contraction ?
Il faut ajouter que ces impôts sur les sociétés ne concernent pas toutes les entreprises. Un tiers seulement des entreprises françaises en relèvent. Et ce n’est pas une spécificité française. Moins de 20% des entreprises allemandes y sont soumises et la même chose vaut aux Etats-Unis ou pas plus de 50% des entreprises sont soumises à cet impôts sur les sociétés. Les autres  ont des statuts tels que leurs dirigeants sont imposés sur leurs revenus. C’est le cas des sociétés en nom collectifs, des auto-entrepreneurs…
Cette question est rarement traitée, mais elle mériterait d’être approfondie. Il semble que dans de nombreux pays, le nombre d’entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés tende à diminuer alors même que le nombre d’entreprises ne fait que progresser. C’est le cas aux Etats-Unis. Il y avait, en 1978, 1,9 millions de sociétés soumises à l’impôt des sociétés sur un total de 15 millions d’entreprises. En 2008, le chiffre avait légèrement diminué, on était passé de 1,9 million à 1,8 mais le nombre total d’entreprises était passé de 15 à 33 millions. Dit autrement, on était passé de 12 à 5,4%. Tout simplement parce qu’à force de réduire les impôts sur le revenu des plus riches, il était devenu plus intéressant, pour les patrons de petites et moyennes entreprises, de passer sous le régime de l’impôt sur le revenu.

De cela, il convient de retenir que l’on ne peut traiter séparément les questions liées à l’impôt sur le revenu et celles liées à l’impôt sur les sociétés. Lorsque les impôts sur les revenus les plus élevés, pour les tranches les plus hautes, sont supérieurs à l’impôt sur les sociétés, les propriétaires ont intérêt à laisser leur argent dans l’entreprise où il peut être réinvesti. Lorsque c’est le contraire, ils ont intérêt à changer le statut de leur entreprise, à rapatrier sur leur propre compte les bénéfices. Est-ce que cela a des conséquences sur l’activité des entreprises, sur leurs investissements ? on peut le supposer. Ce n’est pas la même chose de laisser de l’argent dans l’entreprise et de le verser à ses propriétaires. On ne peut exclure qu’une partie des difficultés des PME à croître vient de ce que leurs dirigeants s’approprient les bénéfices quand ils pourraient être affectés à des investissements. Ne serait-ce, d’ailleurs, que parce qu’une partie des aides publiques aux entreprises leur échappent, étant souvent réservées à celles qui sont soumises à l’impôt sur les sociétés.

Si l’on peut observer des cas de transfert de l’impôt sur les sociétés sur l’impôt sur les revenus, lorsque le premier est plus faible que le second, on remarque aussi, le transfert d’une partie des bénéfices vers les salaires des dirigeants lorsque les impôts des plus fortunés sont réduits. 

Mais laissons de coté ce phénomène qui mériterait d’être analysé plus à fond puisqu’il permet à des institutions qui ont tout, dans leur fonctionnement d’entreprises classiques, d’échapper à l’impôt sur les sociétés.

L’optimisation fiscale
Revenons à l’impôt sur les sociétés. Comme tout contribuable, les entreprises tentent d’en payer le moins possible. Certaines fraudent, la plupart, les plus importantes au moins pratiquent l’optimisation fiscale, technique qui permet de réduire son imposition en respectant au plus près le texte de la loi. Le texte et pas forcément son esprit, mais tout cela obéit un principe que les juristes britanniques appellent du duc de Westminster, tout bêtement parce que dans les années trente un jugement dans un procès qui l’opposait à la Couronne a conclu qu’un contribuable était tout à fait dans son droit d’organiser ses affaires de manière à réduire autant que possible le montant de ses impôts.

Et c’est bien ce principe que les entreprises appliquent au point que les plus habiles peuvent échapper complètement à l’impôt sur les sociétés. On a beaucoup dit que c’était le cas, en France, de Total, et de quelques autres sociétés du CAC 40. Il faut, si l’on veut être précis, distinguer plusieurs cas de figure.
-       - il y a des entreprises internationales qui ne paient pas d’impôt sur les sociétés en France parce qu’elles n’y font pas de bénéfices parce que leur activité y rencontre des difficultés. C’est le cas de Total qui a des pertes en France, n’y fait donc pas de bénéfices et n’y donc pas d’impôt sur les sociétés, mais qui fait des bénéfices ailleurs, dans les zones où elle produit du pétrole, en Norvège, par exemple, où elle paie des impôts qui peuvent être élevés. Ce qui permet au directeur financier de Total de dire que son entreprise a, au niveau global, un taux d’imposition élevé, de l’ordre de 56%. Cette notion d’imposition globale est sans doute celle que l’on devrait, d’ailleurs, retenir dans les analyses parce que s’il ne sert à rien de faire payer deux fois une entreprise il ne faut pas non plus que cet argument serve, comme c’est trop souvent le cas, à échapper à l’impôt ;

-       - il y a les entreprises qui ne paient pas d’impôt en France parce qu’elles exploitent un mécanisme, le bénéfice mondial consolidé, qui leur permet de soustraire de leur impôt en France, les pertes réalisées dans les filiales étrangères, c’est un dispositif dont bénéficie notamment Vivendi ;

-       - et puis il y a les entreprises qui jouent des taux d’imposition différents selon les pays pour transférer leurs bénéfices là où les impôts sont le plus faibles et leurs dépenses là où ils sont le plus élevés. C’est ce que fait, par exemple, Google qui ne paie vraiment d’impôt pour ses activités européennes qu’en Irlande, pays qui a, en Europe, le taux d’imposition le plus faible puisqu’il n’est que de 12,5%.

C’est ce dernier cas qui est de loin le plus problématique…

Des structures conçues pour échapper à l’impôt 
Quand on regarde dans le détail la structure des entreprises internationales, leur organisation, on découvre que trois facteurs prédominent :

-       - le souci de la compétitivité : on installe les établissements industriels là où la main d’œuvre est tout à la fois la plus compétence et le meilleur marché,

-       - le souci de la protection juridique : les entreprises qui ont des activités susceptibles d’entraîner des catastrophes se protègent des poursuites judiciaires en mettant dans des filiales ou chez des sous-traitants leurs activités les plus problématiques,

-       - le souci de l’optimisation fiscale. On crée des filiales multiples qui permettent de jouer avec les pertes et les bénéfices, d’affecter les pertes aux sociétés installées dans les pays à forts taux d’imposition et les bénéfices aux sociétés installées dans des pays aux taux d’imposition faibles.

Ces techniques d’optimisation fiscale ou de fiscalité agressive consistent à attribuer les bénéfices aux filiales opérant dans des pays à faible taux d’imposition grâce au jeu des prix pratiqués dans les transactions interentreprises, à imputer la dette ainsi que les frais d’intérêt aux filiales opérant dans des pays à taux d’imposition élevé (Hajkova, Nicoletti, Vartia et Yoo, 2006, p. 18). Cette pratique n’est pas nouvelle, comme le démontrent les travaux de plusieurs chercheurs dès le milieu des années 1990, mais elle s’est généralisée.

Elle profite aujourd’hui pleinement des facilités qu’offrent aux grandes entreprises les paradis fiscaux dont le rôle dans l’économie mondiale n’a jamais été plus important. Un rapport publié par l’ONG internationale ActionAid, révélait que 98 des 100 plus grands groupes inscrits à la bourse de Londres les utilisent de manière systématique au point que 38% de leurs filiales étrangères y opèrent. Et pas en petit nombre puisque les auteurs de ce rapport ont compté 600 filiales à Jersey, 400 aux Iles Caïman et 300 au Luxembourg. C’est le secteur bancaire qui y a le plus recours. Les quatre grandes banques britanniques y cumulent 1 649 entreprises.

Ce mécanisme permet de réduire les taux d’imposition des grandes entreprises. Une étude québécoise a montré que les banques canadiennes n’ont payé que 10,6 milliards de $ d’impôt entre 2007 et 2009 sur des profits de 46,1 milliards, ce qui est largement inférieur à leur taux d’imposition officiel. Pour ne prendre que cet exemple, la Banque de Montréal n’a payé que 6,2% d’impôts sur ses bénéfices alors qu’elle aurait du, si elle avait respecté le taux officiel, en payer 33,1%. 

Certaines entreprises sont passées maitres dans cet exercice de l’optimisation fiscale. L’agence de presse Bloomberg a ainsi récemment révélé que Google a réussi à réduire son taux d’imposition à tout juste 2,4%, alors que les pays où elle opère appliquent un taux moyen de 20%. Le succès de Google en la matière est tel que le directeur financier de Facebook a indiqué dans une interview qu’il allait examiner de très près ses méthodes pour s’en inspirer.

Et Google ne se contente pas de transférer ses bénéfices dans des zones à fiscalité faible, elle cherche également à profiter des formes juridiques qui lui permettent de mieux jeter un voile sur ses résultats. Je citais Google et Facebook mais Apple, fait de même au point de s’être constitué à l’étranger un véritable trésor de guerre.

On remarquera pour la petite histoire qu’il s’agit d’entreprises qui jouissent d’une très bonne réputation et qui n’hésitent pas à mettre en avant leur sens civique.

Des conséquences très négatives
Quand ils ne mettent pas en avant la concurrence fiscale, tous ceux qui défendent les baisses d’impôts des entreprises mettent en avant le rôle de l’entreprise comme créatrice de richesses et d’emploi. Il serait, à leurs yeux, légitime de réduire ses impôts parce qu’elle crée des richesses. C’est oublier que l’entreprise n’existe et ne se développe que parce qu’existe tout autour d’elle un milieu, des infrastructures, routes, écoles, hôpitaux, services divers financés par la collectivité. Sans eux, elle ne pourrait pas travailler. Et à trop réduire les impôts des sociétés on risque surtout de dégrader ce milieu. Parce qu’il y a des limites au transfert du financement des infrastructures par les particuliers ou les consommateurs.

Comme, par ailleurs, ces mêmes entreprises qui échappent à l’impôt ne refusent jamais les aides diverses que peuvent leur apporter les pouvoirs publics, qu’il s’agisse de l’Etat ou des collectivités locales, on pourrait très bien parler pour certaines au moins, de comportements de prédateurs, qui accaparent pour leur seul profit des richesses produites par la collectivité.

J’ajouterais que toutes les entreprises ne sont pas, dans ces affaires, sur un pied d’égalité. Les entreprises internationales, qui ont de nombreuses filiales à l’étranger peuvent assez facilement optimiser leurs impôts. C’est beaucoup plus difficile pour celles qui exercent leur activité uniquement sur le territoire national. Il y a là une forme de déséquilibre qui mérite d’être signalée.  

Dans une période de déficits publics massifs, il serait légitime que les entreprises contribuent plus qu’elles ne font aujourd’hui à la réduction de celui-ci. Dans la mesure où elles se sont internationalisées et sont devenues habiles dans l’exploitation des différences entre législation, ce ne sera possible que si les Etats se mettent d’accord sur une harmonisation de leurs politiques fiscales. Il est complètement anormal, pour ne pas dire scandaleux que la France et l’Allemagne n’aient pas obtenu de l’Irlande qu’elle rapproche son taux d’imposition des sociétés du taux moyen européen alors qu’elle venait, en grande difficulté, frapper à la porte de l’Europe pour qu’on l’aide financièrement. Il est, de la même manière, absolument scandaleux qu’on laisse les grandes entreprises internationales continuer d’user et d’abuser des paradis fiscaux. Les Etats ne sont pas sans ressources. Ils devraient faire preuve de bien plus de fermeté en la matière.
La grave crise que nous venons de traverser et dont nous ne sommes pas encore sortis aurait du, devrait faciliter ces évolutions. Il ne semble malheureusement pas que ce soit le cas.






25.3.12

Peut-on être heureux quand plus rien ne va?


(texte d'une conférence donnée à Enhein les Bains le 25/03/2012 dans le cadre du festival eau'zen)

Lorsque l’on m’a demandé de vous parler du bonheur, j’ai hésité tant le sujet me paraissait plein d’embûches. Autant, je me sentais à l’aise pour parler de la crise pour avoir fait ici et ailleurs plusieurs exposés dans lesquels  j’expliquais combien celle que nous traversons est différente d’autres, combien elle est plus profonde ce qui en fait une véritable crise de mutation de notre environnement économique, à l’image de celle de 1929 dont l’Occident n’est sorti, profondément transformé, que dans les années cinquante, autant donc je me sentais à l’aise pour parler de la crise que nous traversons, autant je me sentais un peu désarmé pour parler du bonheur.

Vous l’avouerai-je? J’ai d’abord craint la niaiserie, celle des chansons d’amour à la Claude François, vous vous souvenez “Le chanteur malheureux”, celui qu’on n’écoute plus, que les gens n’aiment plus, celle des campagnes publicitaires qui nous expliquent que le bonheur est sur les plages de sable fin et qui nous montrent des mannequins riant à gorge déployée, celle également de certains discours religieux qui nous invitent à chercher le bonheur au delà des misères quotidiennes.

Et puis, je me suis souvenu que dans ma jeunesse, en 1965, on dansait sur l’air de I can’t get no satisfaction, alors même que tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nous étions heureux ou nous aurions dû l’être et, cependant, nous nous reconnaissions dans une chanson qui disait : je n’arrive pas à trouver de quoi me satisfaire. Autant dire que cette notion de bonheur ne va pas de soi. Et que la question posée : peut-on être heureux quand plus rien ne va peut être pertinente puisqu’il apparaît que l’on ne peut ne pas l’être quand tout va.

Et quand j’ai commencé à réfléchir à ce sujet, il m’est revenu que j’avais rencontré cette notion de bonheur à plusieurs reprises dans mes lectures et qu’elle avait été abordée, pour ce que j’en savais, de points de vue assez différents.

Celui des poètes d’abord, et je pense notamment à Baudelaire qui à deux reprises au moins dans les Fleurs du Mal, présente le bonheur dans des situations peu engageantes :
La femme au corps divin, promettant le bonheur
Par le haut se termine en monstre bicéphale (Le Masque),
ou encore dans le Bateau ivre :
Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ;
Une voix retentit sur le pont : « Ouvre l’œil ! »
Une voix de la hune, ardente et folle, crie :
« Amour... gloire... bonheur ! » Enfer ! c’est un écueil !   
Mais je pense aussi à Alfred de Musset pour qui “Le mensonge anonyme est le bonheur suprême” (Dupont et Durand) et qui parle à plusieurs reprises d’apparence du bonheur. Ou à Mallarmé pour lequel “le bonheur d’ici-bas est ignoble”. On l’a compris, pour les poètes, pour ceux-ci du moins, le bonheur ne va pas de soi.

Les philosophes sont plus nuancés. On trouve le mot chez la plupart de ceux qui se sont intéressés aux questions morales, chez Nietzsche, notamment, qui fait dire à Zarathoustra : “Nous avons inventé le bonheur, disent les derniers hommes et ils clignent de l’œil.” Mais ce sont les philosophes de l’Antiquité qui l’ont le plus systématiquement analysé et notamment Aristote qui s’est beaucoup interrogé sur ce qu’est une bonne vie, ce que l’on pourrait effectivement traduire par une vie heureuse. Beaucoup partagent, en fait, le sentiment mitigé de Kant qui disait :  “Le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu'a tout homme d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut.

Pour les économistes les choses sont simples ou l’ont du moins longtemps été. Il est vrai que fidèle à leur tropisme arithmétique, ils s’exercent, depuis Jeremy Bentham, le père de l’école utilitariste, à le calculer. Tout récemment encore les spécialistes de l’OCDE ont repris, cette ambition et mis au point des baromètres pour le mesurer.

La subtilité revient avec les psychologues et sociologues qui s’intéressent à nos petits bonheurs et à nos pratiques les plus quotidiennes. Je pense notamment à Jean Viard, qui vient de publier un livre dans lequel il revient à plusieurs reprises sur le bonheur, non pas tel que le mesurent les économistes, ni tel que l’analysent les philosophes mais tel que nous l’exprimons lorsque nous répondons à des enquêtes. Cette attention au détail de nos vies les amène à s’intéresser à nos stratégies pour échapper à l’angoisse, aux médicaments que nous prenons pour oublier un instant nos malheurs et retrouver sinon le bonheur, du moins l’apparence de celui-ci.

Ce qui frappe à la lecture de ces différents textes est combien cette question, que l’on renverrait assez volontiers au courrier des lecteurs de la presse féminine, dessine des projets politiques différents.
Pour Aristote, on ne peut mener une bonne vie, je veux dire une vie heureuse que si l’on réussit à concilier son intérêt personnel, son égoïsme, et la qualité des relations avec autrui, ce qu’il appelle l’amitié, une formule dont on trouve l’écho chez Hegel qui, bien plus tard, au début du 19ème siècle, expliquait que “je ne puis réaliser mon bonheur sans celui des autres.” Mais, ajoutait-il aussitôt, le bonheur ne saurait être notre objectif ultime. Le but final du monde n’est pas le bonheur mais la “liberté réalisée”. Une pensée qui a nourri tous les utopistes qui ont suivi et tous ceux qui les ont suivis, jusqu’aux dirigeants totalitaires du vingtième siècle.

A lire Aristote, on devine qu’il associe également le bonheur et la vertu, un concept qui est un peu un faux ami. Les vertus aristotéliciennes ne sont pas tout à fait chrétiennes, il s’agit plutôt de la capacité à trouver le juste milieu entre deux passions, deux émotions, entre, lorsque l’on est insulté, la colère et l’indifférence. L’homme heureux est, en somme, celui qui sait se maîtriser, une idée que l’on retrouve chez Descartes mais dont les stoïciens et les épicuriens étaient également familiers puisque le bonheur était, pour les uns et les autres, associés à ce qu’ils appelaient l’ataraxie, mot un peu savant qui veut dire absence de trouble, de passion ou, si l’on préfère, quiétude de l’âme. Dans une lettre à l’un de ses disciples, Ménécée, Epicure écrivait : “Quand nous disons que le plaisir est notre but, nous n'entendons pas par là les plaisirs des débauchés ni ceux qui se rattachent à la jouissance matérielle, ainsi que le disent ceux qui ignorent notre doctrine, ou qui sont en désaccord avec elle, ou qui l'interprètent dans un mauvais sens. Le plaisir que nous avons en vue est caractérisé par l'absence de souffrance corporelle et de troubles de l'âme.

Je disais à l’instant que l’on pouvait traduire ataraxie par “quiétude de l’âme”, et c’est bien ainsi, en effet, que l’ont traduite de nombreux théologiens. Mais on voit bien comment ce qui chez Aristote associait la maîtrise de soi et la qualité des relations avec autrui, avec nos amis, a progressivement dérivé vers le domaine privé, domaine dans lequel nous enferment les économistes pour lesquels le bonheur peut faire l’objet d’un calcul somme toute assez simple puisqu’il s’agit d’additionner les peines et les plaisirs.
Cette approche les a conduits, de manière assez prévisible, à confondre bonheur et richesse ou, si l’on préfère, pour utiliser leur vocabulaire, le PIB. Les pays les plus heureux sont, ou devraient être ceux qui ont le PIB le plus élevé. Et plus un pays connaît de croissance, plus ses citoyens, ses habitants devraient être heureux. Or, catastrophe, ce n’est pas ce que nous disent les enquêtes de satisfaction. Bien au contraire, on s’aperçoit que  nous ne sommes pas plus heureux aujourd’hui qu’il y a quarante ans, alors même que notre PIB a fortement augmenté. Et ce qui est vrai des Français l’est des habitants de tous les pays développés. Ce qui a d’ailleurs amené un économiste réputé, Tibor Scitovski, à écrire dans les années 70, un livre qui a eu un certain retentissement : The Joyless Economy, l’économie sans joie. Par ailleurs, ces mêmes enquêtes montrent que les plus heureux n’habitent pas forcément les pays les plus riches.

Il y a là un mystère que les économistes s’expliquent si peu qu’ils en ont conclu que leurs outils de mesure n’étaient pas satisfaisants. D’où leurs efforts pour trouver de meilleurs indicateurs. Ce sont les britanniques qui sont allés le plus loin dans cette direction. Au point que le gouvernement Cameron a demandé à l’équivalent de l’INSEE de construire un indicateur du bonheur dont les premiers résultats ont été publiés il y a tout juste un an, en mars dernier. Venant d’un gouvernement qui a choisi de serrer très fort la ceinture de ses concitoyens, on ne peut exclure un projet politique, une volonté de retirer un argument à ses adversaires politiques. Ce que ceux-ci n’ont, évidemment, pas manqué de dénoncer.

Le gouvernement britannique est le premier, en occident, à s’être lancé dans cette aventure. D’autres ont suivi. Nicolas Sarkozy y a fait une ou fois ou deux allusion. Il a même fait plus puisqu’il a demandé à des économistes célèbres, Armatya Sen, Joseph Stiglitz, Jean-Paul Fitoussi, il y avait dans ce comité cinq prix Nobel d’économie, de travailler au développement de nouveaux indicateurs de richesse qui seraient plus sensibles à la qualité de nos vies. Ils ont remis un rapport dont on ne sait ce qu’il est devenu, ce qui est dommage puisqu’il y avait dedans quelques bonnes idées comme celle qui d’introduire dans ces indicateurs de richesse des notions relatives à la qualité de l’environnement.

Mais c’est dans un tout petit royaume du Népal, le Bhutan, que cette idée a été pour la première fois mise en oeuvre en 1972. Le roi de ce petit pays plutôt pauvre a voulu savoir ce qui rendait ses sujets heureux et ceci parce qu’il avait le projet d’ouvrir son pays à la modernité et qu’il souhaitait que cela se fasse sans trop de casse.

Il a, je crois, assez bien réussi puisqu’une étude récente classait le Bhutan dans les dix pays les plus heureux du monde loin devant la France qui n’arrive qu’en 62ème position, loin derrière l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, les Etats-Unis, la Belgique, la Grande-Bretagne. Il n’y a parmi tous les pays développés que le Japon qui fasse plus mal que nous dans cet index du bonheur que réalise régulièrement une université britannique (Leicester). On peut évidemment critiquer cet indice, comme on peut critiquer tous les indicateurs, mais il nous donne tout de même quelques indications et pose des questions.
Il serait évidemment intéressant de comprendre pourquoi certains pays, certaines sociétés sont plus heureux que d’autres. Pourquoi nous sommes plutôt plus malheureux, collectivement, que nos voisins. Plusieurs chercheurs travaillent actuellement sur le sujet. Ils testent plusieurs hypothèses. De toutes celles qu’ils étudient, il en est une qui sort du lot. Il semble qu’il y ait une corrélation entre ces indices de satisfaction ou, si l’on préfère, de bonheur et les indicateurs qui mesurent la confiance et la qualité des relations avec autrui.

Vous le savez peut-être, des instituts comme l’américain Gallup réalisent régulièrement des enquêtes internationales sur la confiance que l’on éprouve pour ses voisins, son gouvernement, les institutions comme la police, les étrangers. Ils posent des questions du type : vous perdez votre portefeuille dans la rue, croyez vous qu’on vous le rapportera? Et l’on s’aperçoit lorsque l’on compare les courbes qu’elles sont très souvent voisines : les pays les plus heureux sont ceux dans lesquels les citoyens se font le plus confiance. Ce qui nous renvoie évidemment à Aristote et à l’amitié. La confiance est une mesure de la qualité du lien social. Là où celui-ci est solide, on est heureux, là où il est fragile, là où l’on se méfie des autres, où l’on s’enferme derrière ses grilles et ses barrières, on est plutôt malheureux.

D’autres études ont montré que la qualité du lien social était un meilleur prédicteur de la satisfaction que le niveau des revenus.

On a également remarqué que l’on rencontrait plus de satisfaction chez les gens qui avaient des activités altruistes, qui travaillaient dans des associations caritatives que chez ceux qui se préoccupaient exclusivement de leur carrière et de leurs revenus. Ce qui est un peu paradoxal : celui qui s’occupe d’activités de type charitable ou caritative est plus souvent en contact avec le malheur que celui qui se préoccupe uniquement de son portefeuille.

Toujours dans le même ordre d’idée, on a découvert que le niveau de satisfaction individuel n’était pas fonction de la capacité à consommer chez les retraités, sinon en matière de loisir. Avoir une plus belle voiture, une plus grande maison ne les rend pas plus heureux, par contre avoir plus de loisirs, c’est-à-dire plus d’activités collectives, plus de relations sociales contribue à améliorer le niveau de satisfaction. Ce qui explique peut-être que les retraités paraissent, dans les sondages, plutôt plus heureux que les gens en activité : ils ont plus de loisir et donc plus d’opportunités d’entretenir des relations sociales.

Bref, on ne peut faire abstraction du capital social. On peut être riche et très malheureux si l’on se méfie de tout le monde, de ses proches, de ses voisins, des étrangers. Cela ne veut évidemment pas dire que les relations sociales suffisent. Il est des niveaux de pauvreté qui interdisent d’être satisfait de sa vie, et on observe d’ailleurs une amélioration significative du degré de satisfaction chez les plus modestes lorsque leurs revenus progressent, mais cet effet richesse s’estompe dés que l’on passe un certain seuil que les économistes ont, bien sûr, tenté de calculer. Il aurait été aux Etats-Unis de l’ordre de 15000$ par an dans les années 80.

Ce qui nous ramène, par une voie un peu détournée, à la question initiale : peut-on être heureux dans un monde en crise? et à l’actualité.

Les sociologues qui se sont penchés sur le cas de la Grèce, sans doute le pays le plus frappé par la crise, ont mis en évidence la montée des suicides, de la consommation d’anxiolytiques et des cas de dépression. Selon les statistiques du ministère de la Santé grec, un homme sur quatre et une femme sur trois y sont atteints de dépressions alors que la moyenne mondiale est bien plus faible : un homme sur huit et une femme sur cinq. Mais la crise que traverse la Grèce est particulièrement profonde. Qu’en est-il dans les pays dans lesquelles cette crise est atténuée? Et bien aussi étrange que cela puisse paraître, le pire n’est pas sûr.

Une étude publiée en 2000 réalisée à partir de données américaines des années 70 et 80 montrait que les périodes de récession économique y avaient été en général associées à une baisse sensible de la mortalité. Cette baisse portait sur la plupart des causes de décès. La seule exception concernait le taux de suicide qui, comme le remarquait déjà Emile Durkheim il y a un siècle, augmente en période de crise économique. A cela, bien sûr, des explications économiques : en période de crise, on conduit moins, ce qui limite les accidents de la route, on fume moins surtout lorsque le tabac coûte cher, on boit éventuellement moins. Et comme on a plus de temps libre, du fait de la disparition des heures supplémentaires, on fait plus d’exercice, de sport, de marche à pied, ce qui aide à réduire son poids… Tout cela ne se sent peut-être pas au niveau individuel, mais apparaît dans les statistiques de manière significative. L’auteur de cette étude, Christopher Ruhm, a même calculé qu’une réduction de 1% du chômage permettait de prédire une augmentation de 1,3% des décès d’origine cardiaque, et que les plus touchés étaient dans la tranche d’âge 20-44 ans. Ce que l’on conçoit bien : qui dit travail dit stress, conflits avec ses collègues, ses supérieurs hiérarchiques… (A Healthy Economy Can Break Your Heart). Ces résultats valent pour les Etats-Unis mais plus largement, si l’on en croit d’autres études pour l’ensemble des pays développés.

Je précise, pour éviter toute confusion que ces résultats ne valent que pour les récessions économiques courtes. Lorsque celles-ci durent, les effets pervers s’accumulent : les périodes de chômage s’allongent, l’anxiété grandit, on va moins chez le médecin, on se soigne plus mal, et les effets positifs des récessions courtes s’effacent progressivement. Mais vous me direz que ces statistiques sur la santé ne nous disent pas grand chose du bonheur. Ce qui est exact. Ce qui me ramène à Aristote.

Si ses analyses et celles qui s’en inspirent sont pertinentes et exactes, on doit pouvoir être heureux en période de crise pour peu que celle-ci nous amène à renouer, à resserrer les liens avec nos proches, nos voisins, les étrangers sans trop nous pénaliser sur le plan économique. Est-ce le cas? Il et assez difficile de le dire.

Les quelques études dont nous disposons suggèrent que les dons aux associations caritatives diminuent dans les classes populaires, les plus touchées par la crise. Faut-il en conclure que la générosité, l’altruisme diminuent? Ce n’est pas certain. On peut faire preuve d’altruisme de bien d’autres manières, en donnant, par exemple, un coup de main à ses proches en difficulté.

Je vais vous livrer une intuition que je serais bien en peine de prouver faute d’études et d’enquêtes. Il me semble que dans les périodes les plus difficiles, on a tendance à se rapprocher des siens assez naturellement.

Parce qu’on a moins confiance dans les institutions, dans les pouvoirs publics, dans les banques, dans les politiques, dans les entreprises, on se rapproche de ceux que l’on connaît le mieux.

Parce qu’on a moins d’argent pour envoyer les enfants en vacances loin, on les envoie chez ses parents, chez des cousins, chez des amis. On remplace le week-end en couple à Venise par une fête dans la maison de campagne d’un collègue ou d’un ami. On va moins au restaurant mais on organise plus de dîners.

Les difficultés économiques amènent à renouer des liens dont tous profitent, ceux qui doivent effectivement se serrer la ceinture et ceux qui n’y sont pas contraints. En ce sens, je dirais que nous vivons une période étrange et paradoxale où l’on est peut-être plus heureux alors même qu’on n’a jamais autant parlé de malheur.

S’il est vrai qu’être heureux c’est apprendre à concilier égoïsme et amitié, souci de l’autre, alors on ne peut exclure que les périodes de crise n’aident à retrouver ce que nous perdons dans les périodes de forte croissance qui incitent plutôt à privilégier l’égoïsme, la cupidité et tout ce qui permet de mieux profiter de richesses plus abondantes. Pour peu, faut-il le préciser une nouvelle fois, que ces périodes de crise ne durent pas trop longtemps.

Au début de cette intervention, j’ai fait allusion à une chanson des Rolling Stones qui me paraissait bien illustrer la situation des années soixante, années de forte croissance économique, je vous propose de la conclure avec une autre chanson, pratiquement contemporaine, de Gilles Vignault, un chanteur québécois qui me parait bien symboliser combien la période que nous traversons peut être paradoxale : Tout le monde est malheureux. Tout le monde est malheureux mais vous remarquerez combien ce malheur parait bien joyeux. Cette chanson nous donne des fourmis dans les jambes, elle nous donne envie de danser, c’est-à-dire de nous retrouver ensemble dans une activité qui nous permet tout à la fois de prendre un plaisir individuel, danser est agréable, et collectif, on ne danse jamais mieux que lorsque l’on est à plusieurs.


20.3.12

Trois débats sur la fiscalité

Nous avons les semaines dernières évoqué à plusieurs reprises la question de la fiscalité. En France, l’essentiel du débat a porté sur les propositions de François Hollande de taxer à 75% les revenus supérieurs à 1 million d’euros. Mais d’autres débats sur la fiscalité se déroulent actuellement ailleurs, en Allemagne et dans le monde anglo-saxon qui abordent la question sous d’autres angles. Je ne dirai pas, comme font si volontiers les journalistes, que ce qui se passe ailleurs est tellement mieux que ce qui passe en France, c’est naturellement inexact, mais il est intéressant de voir comment cette même question est abordée dans d’autres pays, dans d’autres contextes.

Je commencerai cette promenade dans les débats fiscaux par les Etats-Unis. Depuis quelques semaines, les pages éditoriales de la presse sérieuse, du Wall Street Journal et du New-York Times, celles des meilleurs blogs économiques sont occupées par une question toute simple : la fiscalité a-t-elle contribué à la montée des inégalités. C’est une thèse que je développais moi-même la semaine dernière dans une chronique où je mettais en relation les inégalités et la crise. Mais c’est une thèse qui est contestée vivement depuis la publication d’une étude comparative des inégalités dans plusieurs pays aux régimes fiscaux différents. Le débat fait donc rage.

Les régimes fiscaux et les inégalités
C’est, je le disais à l’instant, une étude publiée en 2009 et récemment redécouverte de deux économistes suédois, Jesper Roine and Daniel Waldenstrom, qui a lancé cette polémique (Common Trends and Shocks to Top Incomes : A Structural Breaks Approach ). Ces deux chercheurs ont comparé les taux d’inégalités dans sept pays connus pour avoir des politiques fiscales très différentes. Certains ont fortement réduit les taux d’imposition des plus riches, d’autres les ont maintenus à des taux élevés. Et, d’après leurs travaux, les inégalités ont progressé de manière à peu près parallèle partout. Ils suggèrent même que la Suède, pays où les riches sont particulièrement imposés, est un pays plus inégalitaire que les Etats-Unis. Pain béni, naturellement, pour tous ceux qui pensent qu’il ne faut surtout pas augmenter les impôts des plus riches. Comme on l’imagine, ils se sont précipités sur les pages éditoriales des grands journaux pour expliquer tout le mal qu’ils pensent des hausses d’impôts des multimillionnaires.
Leurs adversaires, je veux dire les libéraux, ont évidemment fait valoir que l’on pouvait tirer de ces résultats une toute autre conclusion : si l’augmentation des impôts ne réduit pas vraiment le poids des plus riches dans la richesse nationale, c’est bien qu’une fiscalité lourde ne les empêche pas de faire de continuer de s’enrichir. Mais le plus utile est de lire leur texte.

On y apprend, d’abord, que leurs conclusions ne valent que si l’on prend en compte la fraude et l’évasion fiscale. Si on les laisse de coté, les 1% de Suédois les plus riches possèdent 20% de la richesse nationale tandis que les 1% des Américains les plus riches en possèdent 35%, un montant que l’on retrouve en Suède lorsque l’on intègre dans le capital des plus riches ce qu’ils réussissent à cacher au fisc. Ce qui fait penser que si la politique fiscale n’est pas plus efficace pour lutter contre les inégalités, c’est qu’elle ne s’attaque avec assez de fermeté à la fraude et à l’évasion. 

Mais revenons au texte de nos deux économistes. Ce qui est vrai de la Suède, l’est, nous disent-ils, de tous les autres pays développés, y compris la France. Partout, les inégalités se sont creusées de la même manière ou à peu près ces trente dernières années. On trouve, d’ailleurs, dans leur papier, un graphe très suggestif qui le montre bien.



Le mouvement vers plus d’inégalités est donc général. L’idée selon laquelle, s’opposeraient un modèle anglo-saxon, très favorable aux inégalités, et un modèle continental, plus égalitaire, ne tient donc pas la route même si l’on observe un décalage. Les pays anglo-saxons mènent la course, mais les autres le suivent de près.

Il y a, cependant, une différence entre les pays qui ont, à l’image des Etats-Unis, fortement diminué les impôts des plus riches et ceux qui, à l’image de la Suède, ne l’ont pas fait qui a échappé aux conservateurs : la collecte de ces impôts a permis de financer toute une série de services publics qui donnent aux plus modestes une qualité de vie qu’ils n’ont pas ailleurs : ce n’est pas la même chose de vivre dans un pays dans lequel l’éducation publique est gratuite et de qualité et un pays dans lequel, cette éducation publique est très médiocre. Même chose pour la santé et pour bien d’autres prestations. Les inégalités ne sont pas seulement économiques et financières. Si l’on prenait en compte la capacité à s’éduquer, se soigner… elles seraient certainement bien plus élevées dans les pays qui ont réduit massivement les impôts des plus riches et ceux dans lesquels on a conservé des taux d’imposition relativement élevés.
Mais venons-en au débat français…

Le débat français : l’impôt et le système d’incitation
Le débat a pris en France une toute autre tournure avec les propositions de François Hollande d’imposer à 75% la tranche des revenus supérieure à 1 million d’euros et de taxer de la même manière revenus du capital et revenus du travail.

Très  vite, les spécialistes ont souligné que la première mesure rapporterait peu, 100 millions d’euros au maximum, ce que François Hollande n’a pas nié, mais il a insisté sur la dimension morale. Et lorsqu’on lui reproche d’avoir changé d’avis puisqu’il s’y était opposé il y a quelques mois dans un débat avec Thomas Piketty, il indique que ce sont les informations sur les hausses de 34% des revenus des patrons du CAC 40 qui l’ont convaincu qu’il fallait faire quelque chose. "Je fais primer la morale" a-t-il notamment expliqué, argument qui peut avoir une certaine efficacité politique mais qui n’a pas beaucoup de sens économique.

Il faut, en fait, lire plus attentivement ce que dit François Hollande pour y voir une autre dimension infiniment plus intéressante. « Que vont faire les entreprises ?, s’est-il demandé. Elles n'augmenteront plus au-delà d'un million d'euros leurs principaux dirigeants et donc j'aurais atteint mon objectif. Ces patrons là ne pourront plus s'augmenter ou bien s'ils s'augmentent il y aura la fiscalisation. » Cette tranche nouvelle d’imposition a donc pour lui une valeur incitative. Elle devrait inciter les entreprises à limiter les hausses des rémunérations de leurs dirigeants.

L’argument renvoie aux analyses de John Kenneth Galbraith qui soulignait combien des taux d’imposition élevés avaient amené ce qu’il appelait la technostructure à rechercher d’autres satisfactions. En ce sens, un impôt élevé sur les rémunérations les plus importantes, qu’elles se présentent comme des salaires ou comme du capital (stock-options, distribution gratuite d’actions…), peut inciter les intéressés à réviser leurs ambitions et leurs objectifs. La cupidité peut prendre différentes formes qui ne sont pas toutes monétaires.

Sa deuxième proposition, taxer de la même manière revenus du capital et revenus du travail, devrait aller dans la même direction : l’une des méthodes les plus communément utilisées par les dirigeants pour échapper à l’impôt a été de substituer du capital, sous forme notamment d’actions, à des rémunérations classiques. Si les deux sont taxés de la même façon, cette échappatoire disparaîtra, ce qui sera certainement plus efficace qu’une promesse d’interdiction, comme cela a été évoqué par d’autres candidats.

Cela dit, ces mesure ne seront que de peu d’effet si les pratiques d’optimisation fiscale des grandes entreprises ne sont pas mieux contrôlées au plan international. Parce que c’est là que se joue en définitive l’essentiel, comme l’a déjà suggéré le débat américain.

L’évasion fiscale des plus riches n’est que l’exploitation par les dirigeants de techniques que les grands groupes utilisent pour échapper à l’impôt. On a souvent cité le cas de Total qui ne payait pas d’impôts en France, mais il est loin d’être isolé.

Le fisc américain publie régulièrement des statistiques qui montrent que, selon les années, de 30 à 50% des grandes entreprises américaines et des filiales des groupes étrangers aux Etats-Unis échappent à l’impôt sur les sociétés. Et ce qui est vrai de Total et de tant de grandes entreprises américaines l’est de bien d’autres originaires d’autres pays, notamment européennes.



Je citais tout à l’heure deux économistes suédois. L’entreprise suédoise la plus populaire, Ikea, transférerait, d’après un reportage diffusé il y a quelques mois sur la télévision publique suédoise, 3% de son chiffre d’affaires à une fondation installée au Lichtenstein, paradis fiscal qui permet aux entreprises d’échapper à l’impôt. Interrogé sur ces pratiques, le fondateur de cette entreprise qui insiste toujours sur son souci de l’environnement et sur la responsabilité sociale de son entreprise, a répondu : « Une structure d'optimisation nous donne la possibilité et la flexibilité d’utiliser notre capital qui a déjà été imposé sur le marché, vers de nouveaux marchés en vue d'un développement de nos affaires sans avoir à subir le joug d'une double taxation. » Remarque qui témoigne de ce que certains auteurs appellent la culture de l’évasion fiscale (voir notamment Ordower, The culture of tax avoidance). Non seulement, on échappe à l’impôt mais on est convaincu de le faire pour de bonnes raisons.

Le débat en Allemagne, impôt ou don ?
Le débat français sur la taxation des plus riches a traversé le Rhin puisqu’il y a quelques jours, Oskar Lafontaine, le leader de la gauche radicale, un peu l’équivalent de Mélenchon en Allemagne a repris la même idée, mais sans susciter beaucoup d’inquiétude, il est vrai que son parti est en troisième position, loin derrière la CDU et le SPD.

Lorsque l’on pense, en Allemagne, à un débat sur l’impôt on pense aujourd’hui plutôt à celui qui a opposé dans la presse, il y a quelques mois, plusieurs philosophes réputés.  

C’est un auteur célèbre, un peu sulfureux, Peter Sloterdijk, qui l’a lancé dans une série d’articles récemment traduits en français sous un titre explicite : Repenser l’impôt. Dans la préface de ce livre qui regroupe plusieurs entretiens avec des journalistes, il attaque vivement l’impôt en en faisant l’héritier des pratiques de pillages. Les Etats, explique-t-il en substance, ont longtemps vécu de pillages de leurs voisins ou de leurs colonies, lorsque cela n’a plus été possible, ils se sont tournés vers leurs citoyens.
Il ne nie pas la nécessité de l’impôt, il en faut pour financer la dépense publique, en ce sens, il n’a rien à voir avec les libertariens à la Hans Hope, un philosophe autrichien dont on a pu lire récemment une interview dans Philosophie Magazine, rien non plus avec les partisans de l’Etat minimal, mais l’impôt devrait, nous dit-il, prendre, dans des sociétés démocratiques, la forme d’un don. Nos sociétés ne seront, ajoute-t-il, vraiment démocratiques que lorsque nous aurons transformé l’impôt en don volontaire.
Chacun, nous explique-t-il, devrait être en mesure de payer ce qu’il souhaite. Ce qui, assure-t-il sans vraiment convaincre, ne conduirait pas forcément à une réduction des recettes de l’Etat. Quand on l’interroge sur ce point, il répond que le capitaliste est condamné à la philanthropie, « la richesse, explique-t-il, embarrasse, parce que d’un point de vue moral, il n’est pas possible de la classer dans une catégorie sans autre forme de procès. » Ce qui reste, naturellement, à vérifier.

Cette pensée pourrait être simplement réactionnaire, une variante des révoltes contre l’impôt, c’est bien d’ailleurs ce que ses critiques lui ont reproché, mais ce n’est pas, je crois, lui faire pleinement justice. Dans ses analyses Peter Sloterdijk  met le doigt sur deux questions rarement traitées : celle, d’une part, des relations entre la démocratie et l’impôt et celle, d’autre part, de la participation citoyenne à la résolution des problèmes que rencontre la société.

Dans les régimes démocratiques contemporains, l’impôt est voté par le Parlement, c’est-à-dire par des représentants du peuple et ventilé par les parlementaires en fonction des besoins des différentes fonctions de l’Etat. Mais le citoyen, surtout s’il paie beaucoup d’impôts, peut avoir le sentiment d’être laissé de coté et pas vraiment consulté sur l’usage fait de son argent. A l’inverse celui qui, riche ou pas, fait de plein gré un don à une organisation philanthropique choisit les causes qu’il souhaite défendre, et cette liberté de choisir est sans doute pour beaucoup dans le plaisir qu’il éprouve à donner. Il a le sentiment d’être utile à la société, de contribuer à résoudre un problème qui lui paraît déterminant. Il a le sentiment d’être un acteur, impression que partagent peu de contribuables.

On lutterait sans doute plus facilement contre l’évasion fiscale des particuliers et des entreprises si l’on réussissait à rendre au contribuable ce sentiment d’être un acteur de ses choix, de ses dépenses lorsqu’il paie l’impôt. Aller jusqu’au don, comme le suggère Peter Sloterdijk, est certainement absurde mais l’on pourrait imaginer des systèmes fiscaux qui laissent au contribuable la possibilité d’affecter une partie de son impôt aux dépenses qui lui paraissent le plus utiles. On pourrait, par exemple, donner au contribuable qui paie 10 000€ d’impôts la possibilité de choisir l’affectation d’une partie de ceux-ci, mettons 10%, qu’il pourrait choisir de voir investie dans la réduction de la dette, l’éducation, la santé, la justice, la sécurité, la défense… Mieux qu’un sondage que l’on peut interpréter comme on souhaite et que l’on n’est pas forcé de suivre, on aurait une photographie en direct des attentes de ceux qui financent la collectivité et l’obligation de s’y plier. On me dira que ce ne serait pas juste puisque ceux qui ne paient pas d’impôts n’auraient pas leur mot à dire. Sans doute. Mais cet argument n’est jamais que le symétrique de celui selon lequel ceux qui ne paient pas ou peu d’impôts votent pour les partis qui promettent de faire payer les plus riches…

Trois débats, trois approches, un souci nouveau…
Trois débats, donc, trois approches très différentes d’une même question longtemps négligée tant elle paraît technique et complexe. Sans doute y a-t-il ailleurs d’autres débats sur le même sujet que je n’ai pas identifiés. Reste que l’on devine à travers ceux-ci, et à travers les personnalités qui l’engagent, économistes, politiques, philosophes, l’amorce d’une réflexion sur la contribution des citoyens aux dépenses collectives qui ne se limite pas seulement à la définition d’un montant. Bien au delà de la technique fiscale, se dessinent des questions de justice, de bien commun, de propriété… toutes questions hautement politiques.


13.3.12

Les inégalités et la crise




Le retour des inégalités
Emmanuel Saez, un économiste spécialiste des revenus, qui produit, en compagnie de Thomas Piketty et de quelques autres une très utile base de données internationale sur les revenus des plus riches vient de publier des chiffres qui montrent que les écarts entre les plus riches, les 1% de plus riches, et le reste de la population se creuse de nouveau aux Etats-Unis. Après avoir légèrement diminué en 2008, 2009 au cœur de la crise. Pour ce qui est de la France, nous n’avons pas encore de chiffres qui permettent de dire si on observe le même phénomène, mais il est vrai que les inégalités y sont moins bien moins importantes qu’outre-Atlantique.

Si je parle, cependant ce matin de ce sujet qui a, on s’en souvient, nourri tout le mouvement des indignés, c’est que l’on peut s’interroger sur le rôle des inégalités, notamment dans la première puissance économique mondiale, sur la crise. Ont-elles contribué à cette crise ? l’ont-elles accéléré et approfondi ?
La question fait aujourd’hui débat chez les économistes. Certains assurent que  c’est bien le cas, d’autres sont plus sceptiques. Reste que les écarts se creusent de nouveau, ce qui veut - dire :
-        - que rien n’a été fait pour réduire les inégalités,
-       - et que si ces inégalités ont effectivement joué un rôle dans le déclenchement de la crise, alors peut se reproduire.

Des gains de productivité accaparés par les plus riches
Que rien n’ait été fait pour réduire les inégalités, on le sait puisqu’il faudrait si on le voulait vraiment utiliser l’arme fiscale, ce qui n’a pas été fait aux Etats-Unis, l’utiliser pour donner des recettes à l’Etat mais aussi pour modifier profondément le partage des richesses au sein des entreprises.

La montée des inégalités a, en effet, correspondu aux Etats-Unis à deux mouvements parallèles : la baisse des impôts qui a favorisé les plus riches et des gains massifs de productivité liés, pour une part à la révolution informatique et, pour l’autre, à la restructuration des grandes entreprises qui, confrontées à la concurrence asiatique, japonaise et chinoise, se sont recentrées sur leur métier de base.

Ces gains de productivité ont contribué à faire exploser les profits des entreprises, des profits qui n’ont pas été partagés entre les différentes parties prenantes mais confisqués par les actionnaires et, surtout, les dirigeants.

Traditionnellement, lorsqu’il y a des gains de productivité dans une entreprise ou un secteur, tout le monde en profite, actionnaires, dirigeants, salariés. Là, les salariés n’ont rien vu venir. Bien loin de profiter de ces gains de productivité, ils ont vu leurs revenus stagner, voire lorsqu’ils perdaient leur emploi, diminuer.

La première cause de cette confiscation des gains de productivité par les dirigeants est à chercher du coté des facilités que leur offre la politique fiscale depuis une trentaine d’années. Lorsque le fisc vous confisque l’essentiel de vos revenus au delà d’un certain seuil, vous n’avez pas intérêt à gagner plus, cela ne sert à rien. Et vous allez donc chercher d’autres satisfactions, vous allez demander à l’entreprise de vous offrir des services, des bureaux aux murs tapissés de tableaux de maitres pour ne prendre que quelques exemples au hasard. Et du coup, ces sommes que vous ne vous appropriez pas peuvent être redistribuées aux autres salariés. Et comme vos revenus ne sont plus directement liés au cours de la bourse, vous pouvez arbitrer en faveur des investissements plutôt qu’en faveur des dividendes.
Lorsqu’à l’inverse, on réduit les taux d’imposition, comme ont fait massivement les gouvernements américains depuis Reagan, vous avez intérêt, si vous êtes au sommet de la pyramide à demander et obtenir les augmentations les plus fortes et tant pis si cela se fait aux dépens de vos collaborateurs et de l’avenir de l’entreprise. De fait, vos revenus gonflent, alors même que ceux de vos salariés stagnent. La politique fiscale initiée par le gouvernement Reagan a favorisé le développement de la cupidité des dirigeants, une cupidité que les chercheurs commencent aujourd’hui à mesurer. (voir Paul K. Piff, Higher social class predicts increased unethical behavior)

L’expansion du crédit pour compenser la stagnation des salaires
La mondée des inégalités aux Etats-Unis est donc le fruit de deux phénomènes : l’explosion des revenus des plus riches et la stagnation de ceux des salariés qui ont conservé leur emploi (ou la baisse pour ceux qui l’ont perdu, se sont retrouvés au chômage et ont du accepter des emplois moins bien rémunérés). Les deux vont de pair : la stagnation des revenus des salariés a augmenté les profits dont ont profité les actionnaires mais aussi les dirigeants dont les revenus sont indexés, au travers de divers mécanismes, sur les cours boursiers.

Et l’on a là, un premier moteur de cette crise : le développement de l’endettement privé. Dès lors que les revenus des salariés n’augmentent plus, voire diminuent, l’économie ne peut se développer que si l’on trouve le moyen de les aider à financer leur consommation, l’achat de voiture, d’électro-ménager, d’immobilier.

La stagnation des revenus des classes moyennes a été, aux Etats-Unis, masquée, compensée par le développement de l’endettement. On a prêté de plus en plus facilement. Y compris à des gens qui n’étaient pas solvables. Comme l’explique Rajuan Rajan, la réponse politique à la montée des inégalités a été l’expansion du crédit qui a permis aux travailleurs de continuer de consommer (Fault Lines). Jusqu’à ce que la machine explose lorsque trop d’emprunts ont été consentis à des ménages non solvables.
Et lorsque cette crise de la dette privée a menacé, les institutions financières, les pouvoirs publics sont intervenus, transformant une crise de la dette privée en crise de la dette publique.

La montée des inégalités a contribué à gonfler la sphère financière
La montée des inégalités a, par ailleurs, contribué à gonfler la sphère financière. Les plus fortunés se sont retrouvés à la tête de sommes considérables qu’ils n’ont pas consommées, il y a des limites à leur capacité de dépenser pour leur usage privé, mais qu’ils ont investies dans des produits financiers, des produits qu’ils pouvaient se permettre de choisir risqués tant ils étaient riches. Et, de fait, on a vu se développer les comportements que l’on pourrait qualifier d’audacieux.

L’aversion au risque des plus riches, pour parler comme les économistes, a diminué. Dit autrement, leur appétit pour le risque a progressé, un appétit que deux chercheurs de la banque d’Angleterre, Prasanna Gai and Nicholas Vause, ont tenté de mesurer. Et leurs calculs ont montré que cet appétit pour le risque s’est développé de manière continue tout au long des années 2000 alors même qu’il s’était réduit dans la deuxième partie des années 90. (Measuring Investor’s Risk Appetite)




Cette réduction de l’aversion au risque a tenu à tenu à trois grands motifs :
-       d’abord, et je l’indiquais à l’instant, au fait que l’on prend plus facilement des risques lorsque l’on est très riche,
-      mais aussi parce que cette accumulation de richesses chez quelques uns a favorisé la montée des cours de la bourse, réduisant ainsi le sentiment de risque. Un peu comme un acheteur de biens immobiliers acceptera de payer très cher un appartement dans Paris parce qu’il sait que depuis des années les prix montent et qu’il est convaincu qu’il en sera encore longtemps ainsi,
-       mais encore parce que le monde financier a inventé toute une série de produits conçus pour réduire le risque pris par chacun.

Le recul de cette aversion au risque a un aspect positif : il favorise le développement de nouvelles activités, de start-up dont les risques d’échec sont importants. Si les fondateurs de Google n’avaient pas trouvé sur leur chemin des business angels capables de financer leurs premiers pas, ils n’auraient jamais pu créer leur entreprise.

Mais il y a à cela un revers : le gaspillage de ressources. Pour quelques entreprises qui ont bien réussi combien d’échecs prévisibles ? et lorsque l’argent ne va pas dans les start-up, qu’il reste investi dans des titres boursiers, il contribue tout simplement à créer des bulles spéculatives qui font très mal lorsqu’elles explosent.

Les inégalités sont donc doublement dangereuses : elles favorisent l’endettement des ménages au delà du raisonnable et donnent du combustible à la spéculation. 

La montée en puissance chaotique du monde de la finance
Je le disais en commençant, tous les économistes ne sont pas d’accord avec ces analyses ; beaucoup doutent du lien entre inégalités et crise. Ils font valoir, à juste titre, que les inégalités n’ont pas, historiquement, nourri les crises. C’est vrai, mais ce qu’il y a de nouveau, cette fois-ci, c’est l’articulation entre inégalités et industrie financière.

Ce qui distingue cette phase des précédentes est la présence d’une industrie financière puissante qui a pleinement profité de cette montée des inégalités à laquelle elle a vivement contribué tant en inventant de nouveaux produits, qu’en donnant l’exemple en versants aux plus brillants de ses salariés des rémunérations extravagantes qui ont tiré vers le haut toutes celles des dirigeants des autres secteurs.

Elle a été le chaudron où les inégalités ont d’abord été masquées avant de se transformer en bombes pour l’ensemble de l’économie. Bombes à multiples ressorts. Nous en avons vu les premiers effets avec l’explosion de la dette privée et sa transformation en dette publique, mais nous sommes loin d’avoir épuisé toutes les conséquences de la montée en puissance désordonnée, brouillonne, chaotique de cette industrie.

Mais entrons dans ce chaudron. On a tendance, lorsque l’on parle de la finance de jeter le bébé avec l’eau du bain. A l’inverse de ce que l’on dit trop souvent, la finance est utile, j’irais même jusqu’à dire que la spéculation l’est lorsqu’elle étale les risques et donne aux plus audacieux la possibilité de réduire l’inquiétude des plus timides, mais ce que nous venons de vivre est d’une nature différente. C’est un phénomène que nous avons déjà vécu à plusieurs reprises dans l’histoire et que l’on peut résumer d’un mot : la dissonance organisationnelle.

Je m’explique : nous avons assisté dans les années 90 et 2000 à la multiplication des innovations dans le monde de la finance. Innovations produites par des équipes d’ingénieurs, de mathématiciens de haut vol qui ont inventé des produits permettant, je le disais tout à l’heure, d’étaler le risque, de continuer de prêter à des gens auxquels on n’aurait pas prêté il y a quelques années. En ce sens, ils ont permis à la machine économique de continuer de tourner. C’est ce que l’on attendait d’eux, et ils l’ont plutôt bien fait. Mais les  banques qui employaient ces ingénieurs, ces petits génies de la finance, étaient, sont dirigées par des gens d’une autre génération, formés à d’autres techniques qui ne comprenaient pas les nouveautés qu’on leur proposait, qui se sont révélés incapables de les contrôler. Et lorsque la machine a trop chauffé, ils ne l’ont pas vu, ils ne l’ont pas compris. Ils auraient pu encadrer ces innovations, prévoir des freins et des amortisseurs. Ils l’ont laissé chauffer jusqu’à l’explosion par ignorance, incompétence. Nous en avons eu en France un bel exemple avec l’affaire Kerviel. La direction de la Société Générale a laissé faire parce qu’elle ne comprenait, en réalité, pas grand chose aux modèles et techniques utilisées dans ses salles de trading. Et c’est la même chose qui s’est produite ailleurs. Qui s’est produite d’autant plus facilement que pour attirer tous ces  petits génies de la finance, les banquiers leur ont consenti des ponts d’or, ont conçu des systèmes de rémunération qui les incitaient à aller toujours plus loin sans garde-fou, sans protection.

Le monde de la finance a inventé les outils permettant à une économie de consommation, une économie de petits propriétaires de continuer de se développer malgré la montée des inégalités, mais il s’est révélé incapable de les maîtriser, de les contrôler, de les gérer. Et comme rien ne suggère qu’il ait pris la mesure de ses faiblesses, une nouvelle montée des inégalités est inquiétante.



6.3.12

Evasion fiscale


 La fiscalité en une…

François Hollande a, cette semaine, pris la main avec sa proposition de porter à 75% le taux marginal d’imposition des revenus annuels supérieurs à 1 million d’euros. La mesure a fait couler d’encre, elle a renvoyé la droite à ses préférences pour les plus riches et suscité beaucoup de scepticisme chez les experts qui insistent sur son rendement qui devrait être faible tant ceux qu’elle concernerait disposent de moyens d’y échapper. En fait, cette mesure se justifie pleinement d’un point de vue économique et sera, si elle est appliquée, beaucoup plus efficace qu’on ne dit. Elle devrait notamment contribuer à réduire les inégalités et inciter les entreprises à revoir le mode de rémunération de leurs dirigeants. Mais j’ai expliqué tout cela dans un billet publié sur mon blog auquel je renvoie ceux que cela intéresse. Je préférerais ce matin parler d’évasion fiscale.

Parce que c’est un sujet en soi intéressant mais aussi parce que qu’on a assisté, dans l’offensive de la droite un glissement passé inaperçu et cependant majeur.

Impôts, évasion fiscale, désir de ne pas travailler

Traditionnellement, les adversaires de l’impôt insistent sur son impact sur le désir de travailler. Trop d’impôts, nous disent-ils, tuent l’impôt tout simplement parce que ceux qu’ils incitent les plus productifs, ceux qui gagnent le plus d’argent à préférer les loisirs, les vacances au travail. C’est la thèse classique que l’on trouve dans toute la littérature économique et que reprennent très volontiers à leur compte tous ceux qui se plaignent de payer trop d’impôts. Pourquoi, disent-ils en gros, ferais-je des efforts si c’est pour que je n’en voie pas la couleur. L’argument est naturellement contestable. Et probablement largement inexact. Steve Jobs ne serait pas arrêté de travailler s’il avait du payer plus d’impôts. Il aurait, bien plus sûrement, essayer d’y échapper. Et c’est bien d’ailleurs ce que font les entreprises, ce que fait notamment Apple qui dispose d’une trésorerie considérable stockée à l’extérieur des Etats-Unis pour justement ne pas payer l’impôt sur les sociétés.

Or, cette thèse classique n’a pas été reprise par l’opposition de droite qui a plutôt insisté sur les risques d’évasion fiscale. Cette mesure nous a-t-on dit va inciter les plus riches à s’expatrier pour échapper à l’impôt. L’argument n’est pas non plus tellement convaincant ne serait-ce que parce que je le disais à l’instant, les plus riches ont mille moyens d’échapper à l’impôt, mais il met justement en évidence ces pratiques d’évasion fiscale que l’opinion, surtout à droite, tolère et que les économistes ont longuement négligée alors même qu’elle s’affiche régulièrement devant le grand public.

 On se souvient encore des déclarations arrogantes de Florent Pagny, ce chanteur exilé en Argentine qui venait narguer sur tous les plateaux de télévision ceux qui paient des impôts, les imbéciles qui achetaient ses disques pour mieux faire la promotion d’une chanson dans laquelle il s’en prend justement à l’impôt. Cette évasion fiscale peut prendre plusieurs formes :

- la fraude et la sous-déclaration,
- la transformation des revenus du travail en capital (bonus, actions, dividendes…) moins taxés puisque non affectés par les différentes cotisations sociales (santé, vieillesse, chômage…), toutes techniques le plus souvent légales qui relèvent de ce que l’on appelle l’optimisation fiscale,
- la délocalisation dans des pays aux fiscalités plus accommodantes voire dans des paradis fiscaux qui peut être légale, comme dans le cas des multinationales qui pratiquent l’optimisation fiscale ou illégale.

Ces pratiques concernent aussi bien les entreprises que les particuliers. Les entreprises internationales pratiquent cette évasion fiscale de manière systématique tant pour leur propre compte que pour celui de leurs dirigeants. Ainsi, pour ne prendre que cet exemple, Google facture depuis l’Irlande, pays à la fiscalité légère, les prestations de publicité qu’il vend en Grande-Bretagne, faisant ainsi perdre au fisc britannique des sommes considérables.

Une difficile mesure 

Cette évasion fiscale représente des sommes considérables qu’il est difficile d’évaluer. Beaucoup de chiffres circulent. Tous sont très importants. En voici quelques uns glanés au fil de mes lectures :

- Valérie Pécresse parlait il y a quelques mois de 16 milliards d’euros de fraude décelée, mais il y a à coté, toute celle qui ne l’est pas et je le répète, ce n’est qu’un bout de l’évasion fiscale,

- Le ministère de l’économie britannique estimait il y a quelques mois que l’évasion fiscale, calculée en comparant les recettes fiscales effectivement perçues à ce qu’elles auraient du être, a coûté à la Grande-Bretagne 42 milliards de £, soit un peu plus de 50 milliards d’€, soit 17,5% des taxes dues, un ratio que l’on retrouve probablement dans bien d’autres pays. Et on peut imaginer que dans certains, ces ratios sont largement dépassés. L’ONG Transparency International estime ainsi que l’évasion fiscale représente 30% du PIB de la Grèce.

- 800 contribuables quitteraient la France chaque année d'après Bercy. 5000 étaient installés en 2008 en Suisse où ils bénéficient d’un statut fiscal très avantageux. L’un de ceux-ci, Paul Dubrule, fondateur du groupe Accor, expliquait à un journal suisse qu’il économisait chaque année plus de 2 millions d’impôts grâce à son installation en Suisse: son forfait fiscal lui coûte environ 300 000 francs suisses alors qu’il devrait payer douze fois plus en France.

- 280 milliards d’€ d’origine grecque, soit 120% du PIB de ce pays terriblement endetté seraient cachés en Suisse, d’après le ministre du budget grec. Tous ces chiffres méritent naturellement d’être maniés avec précaution puisqu’il s’agit de compilations de données qui ne sont pas toujours très fiables, mais le phénomène est massif et a un impact direct sur l’économie que l’on néglige trop souvent.

Un impact économique majeur 

L’impact économique de cette évasion fiscale est évidemment très important mais il n’est pas le même pour toutes ses formes. La fraude, le travail non déclaré n’ont pas les mêmes effets que l’expatriation ou l’optimisation fiscale.

L’économie parallèle, la non-déclaration appauvrit l’Etat mais l’essentiel des sommes qui ne lui sont pas versées sont réinjectées rapidement dans l’économie. Le salarié qui travaille au noir ne paie pas d’impôts sur ses revenus non déclarés, et en ce sens, il contribue à gonfler la dette publique ou, du moins à rendre son remboursement plus difficile, mais il les utilise pour vivre et les dépense. Et dans les périodes de crise, ces revenus non déclarés allègent le poids de la précarité…

Il en va tout autrement des sommes placées dans les paradis fiscaux. Sommes importantes. Un économiste de l’Ecole de Paris, Gabriel Zucman a évalué qu’elles représentaient 8% des revenus des ménages. Il a fait ce calcul en partant des données suisses, la banque nationale helvétique publie en effet régulièrement des statistiques sur les avoirs de non résidents.

Ces sommes sont doublement détournées : non seulement, elles échappent à l’impôt mais elles ne sont pas réintroduites dans l’économie du pays qui les a générées. Lorsqu’un Français dépose de l’argent en Suisse, il y a de fortes chances que celui-ci soit réinvesti ailleurs qu’en France, aux Etats-Unis, par exemple…

Pour ce qui est de l’optimisation fiscale que pratiquent les entreprises, elle appauvrit l’Etat mais elle peut, dans un certain nombre de cas se retrouver dans l’économie réelle sous forme d’investissement. Mais elle peut également détourner des sommes qui devraient revenir aux actionnaires sous forme, par exemple, de dividendes. Le cas d’Apple que je citais tout à l’heure est caractéristique. Grâce à sa politique d’optimisation fiscale, cette entreprise que tout le monde admire tant a un taux d’imposition de 24%, soit dix points de moins que les entreprises américaines ordinaires. Mais cette habileté fiscale a un revers : il l’oblige à conserver les deux tiers de sa trésorerie à l’étranger, en dehors des Etats-Unis, ce qui l’empêche, en pratique, d’en reverser un partie à ses actionnaires sous forme de dividendes, ce qui ne va pas sans susciter l’agacement de beaucoup. D’autant que cette trésorerie ne peut rester éternellement inactive et qu’elle peut demain amener Apple à investir dans des sociétés étrangères sans véritablement en avoir la nécessité.

Une indulgence coupable 

Quelque forme qu’elle prenne, cette évasion fiscale est largement tolérée. Je faisais tout à l’heure allusion à la manière dont les télévisions faisaient la promotion des chansons de Florent Pagny. Personne, sur le service public n’a imaginé lui dire qu’après tout, il en faisait la promotion sur une chaine financée par ces impôts qu’il ne paie pas.

 Cette indulgence est d’autant plus surprenante que l’évasion fiscale a un coût pour tous ceux qui ne la pratiquent pas. Lorsqu’un artiste, un sportif, un industriel s’installe à l’étranger pour payer moins d’impôts, il ne réduit pas les besoins de routes, d’hôpitaux, d’écoles du pays qu’il quitte. Il ne paie plus ses impôts, mais les besoins de recettes fiscales ne diminuent pas d’autant. Ce qui veut tout simplement que ce qu’il ne paie pas, d’autres le paient, ceux qui ne trichent pas, ne fuient pas. Tous ces Français qui vont s’installer en Belgique, en Suisse ou ailleurs pour ne pas payer d’impôts chez nous s’enrichissent aux dépens de ceux qui restent et qui en paient. Ils prennent dans nos poches pout mettre dans les leurs. Cela s’appelle tout simplement du vol et ne mérite certainement aucune complaisance.

Cette indulgence se devine partout : dans les propos du public. Le Parisien Libéré faisait hier sa une sur le sujet et interrogeait, comme il fait de manière systématique, quelques citoyens. Il en trouvé au moins deux qui trouvaient des excuses à ces Français qui s’exilent. « Si j’avais la moindre possibilité de partir pour profiter davantage de ce que je gagne, je le ferais volontiers, dit une musicienne de 35 ans que l’on ne devine pas très riche. Il y en a marre d’être toujours pris à la gorge. Le système d’imposition actuel est trop confiscatoire. Et les Français sont trop assistés. »

On retrouve cette indulgence dans les propos de nos politiques. Quand a-t-on entendu Nicolas Sarkozy ou ses ministres s’en prendre à ceux qui partent à l’étranger ? Il est tellement plus facile et plus agréable de taper sur ceux qui n’ont rien, sur les chômeurs, les étrangers… On retrouve enfin et surtout cette indulgence dans les textes. Les sanctions pour évasion fiscale sont extrêmement faibles. Un compte ouvert à l’étranger sans être déclaré en France ne coûte, s’il est découvert, que 1500€, quelque soit le montant des sommes déposées dessus. Une misère ! Et les amendes sur les sommes non déclarées au fisc français restent modestes.

Plus grave : pour lutter contre cette fraude fiscale, les pouvoirs publics cherchent moins à la poursuivre et à la punir qu’à la prévenir. C’était l’objet initial du bouclier fiscal. On sait qu’il n’a convaincu personne pour un motif qu’expliquait très bien, il y a quelques mois, un avocat spécialiste dans un journal suisse : pourquoi prendre le risque d’une amende, même modérée, et changer de banquier quand on est content du sien ? Et les banquiers suisses sont plutôt efficaces. Surtout dans une situation de crise où le pouvoir politique peut à tout moment changer son fusil d’épaule. C’est l’instabilité des politiques fiscales qui favorise l’exil des plus riches bien plus que le montant des impôts.

Il faut lutter contre l’évasion fiscale 

L’évasion fiscale n’est pas une nouveauté, mais elle s’est développée avec la mondialisation, avec la concurrence fiscale que se livrent les grands pays qui donnent aux grandes entreprises la possibilité de pratiquer l’optimisation fiscale mais aussi avec les politiques conservatrices qui, depuis Reagan et Thatcher, dénigrent l’impôt.

 Cette évasion présente plusieurs inconvénients :

- elle réduit les recettes des Etats, ce qui est particulièrement dommageable dans les périodes de crise économique et financière. Les crises de la dette souveraine qui épuisent aujourd’hui l’Europe du sud seraient certainement bien moins graves si l’évasion fiscale était maîtrisée, prise au sérieux et combattue : ce sont aujourd’hui les Grecs moyens, ordinaires qui paient les pots cassés par les armateurs et industriels qui déposent leur fortune en Suisse et ailleurs,

- elle introduit une distorsion entre les multinationales qui peuvent échapper à l’impôt et les entreprises plus petites pour lesquelles c’est plus difficile, amenant à une situation où, en proportion, les PME paient plus que les grandes entreprises,

- elle augmente l’impôt des classes moyennes qui ne peuvent y échapper,

- elle rend illisibles les statistiques,

- elle dégrade le sens civique des dirigeants et de ceux qui profitent de ces facilités. Comme l’ont montré les travaux récents de Paul Piff, plus on est riche, plus on est cupide et susceptible de tricher,

- elle favorise la concentration des richesses dans quelques régions plus à l’abri, mieux protégées.

 Pour tous ces motifs il faut lutter contre de manière énergique. Non pas, comme font les gouvernements impuissants en augmentant les sanctions de ceux qui se font prendre, non pas non plus en baissant les impôts les plus riches comme a fait le gouvernement français, ce qui ne fait qu’augmenter les inégalités, mais en négociant des accords internationaux qui réduisent la concurrence fiscale, qui évitent, par exemple, que l’Irlande puisse attirer des entreprises internationales sur son territoire aux dépens de ses voisins européens, en supprimant les niches qui favorisent l’optimisation fiscale et en imposant la transparence aux paradis fiscaux de toutes sortes.

 Ce sont des opérations compliquées à mettre en œuvre, qui demandent du temps, de longues négociations et un consensus dans les pays victimes de ces pratiques mais qui donnent des résultats. J’indiquais tout à l’heure que la banque nationale suisse publie régulièrement des statistiques. Leur lecture montre qu’une action concertée comme celle menée depuis quelques mois par quelques Etats dont l’Allemagne et les Etats-Unis portent leurs fruits.

 En 2007, les avoirs étrangers en Suisse représentaient 3072 milliards de francs suisses, soit 2500 milliards d’€. En 2011, suite aux pressions de ces pays qui ont imposé aux Suisses un peu plus de transparence, ils ne représentaient plus que 2162 milliards de francs suisses, soit 1700 milliards d’€. En quatre ans, grâce à l’action internationale, les fonds étrangers déposés en Suisse ont donc fondu en moyenne de près de 30%. Et ceux détenus par des particuliers de près de 50%. Ces sommes ne sont pas rentrées dans leur pays d’origine, elles ont probablement transité vers d’autres paradis fiscaux, mais ce qui est possible avec la Suisse devrait l’être avec les Antilles, les Barbades, les Bermudes et toutes ces îles qui permettent aux plus riches de se protéger du fisc aux dépens des classes moyennes.

Tout cela suppose une action concertée des pouvoirs publics, action qui ne prendra forme que lorsque les opinions seront convaincues que l’évasion fiscale nous coûte bien plus cher que les fraudes aux allocations familiales et aux allocations chômage dont on nous rebat en permanence les oreilles.